Filature
246 pages
Français

Filature , livre ebook

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246 pages
Français

Description

Filature retrace l'histoire des deux derniers mois de 1944 dans une Hongrie livrée à la terreur nazie. L'armée s'approche de la capitale, la plupart des Juifs hongrois ont été déportés et assassinés, mais grâce à l'intervention des puissances neutres, ceux de Budapest, quoique gravement menacés, réussissent parfois à échapper à leur sort. À l'image de l'errance de ce jeune juif racontée par le vieil homme qu'il est devenu et qui est, au cours de son enquête, confronté aux difficultés de la remémoration.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2012
Nombre de lectures 13
EAN13 9782296509627
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ilature
Iván Sándor
Filature
Traduit du hongrois par Georges Kassai et Gilles Bellamy
Filature
Lettres
Danubiennes
Collection dirigée par Maguy Albet Déjà parus Camil MOISA,L’Histoire du petit Dieu. Roman, 2012. Miklos DALLOS,Souvenirs d’un monde disparu. Une vie hongroise avant et pendant la seconde guerre mondiale, 2011. Margit KAFFKA,Couleurs et années, 2010. Cornelia PETRESCU,Semper Stare,2006.
Iván SANDORFilature Traduit du hongrois par Georges Kassai et Gilles Bellamy
© L'Harmattan, 20125-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00621-5 EAN : 9782336006215
INTRODUCTIONLauréat du prestigieux prix Kossuth, Iván Sándor est l’auteur de quatorze romans et de vingt recueils d’essais, consacrés notamment à Proust et à Camus. Dans ce roman, il retrace l’histoire d’une Hongrie, livrée, au cours des deux derniers mois de 1944, à la terreur des nazis allemands et hongrois. L’armée rouge s’approche de la capitale, les troupes alliées ont libéré une grande partie de l’Europe occidentale, mais les Allemands tiennent encore l’Europe centrale et la bataille fait rage en Hongrie. La situation des Juifs hongrois s’est considérablement aggravée depuis le 15 octobre 1944, date de la prise du pouvoir desCroix fléchées. Elle n’en présente pas moins quelques aspects paradoxaux. « A la fin des années 1930 et au début des années 1940, dit l’Encyclopédie multimédia de la Shoah, éditée par le Musée de l’Holocauste des Etats-Unis, Budapest était un havre de sécurité pour les réfugiés juifs… La communauté juive de Budapest demeura en relative sécurité jusqu’à l’occupation de la Hongrie en mars 1944. Pendant l’occupation, les Allemands ordonnèrent la création d’un conseil juif à Budapest et limitèrent strictement la vie des Juifs. Entre avril et juillet 1944, les Allemands et les Hongrois déportèrent environ un demi million de Juifs de province. Les autorités hongroises suspendirent les déportations en juillet 1944, épargnant ainsi, au moins temporairement, les Juifs qui restaient à Budapest. De nombreux Juifs cherchèrent à se cacher ou à obtenir une protection. Ils furent aidés par le diplomate suédois Raoul Wallenberg et d’autres diplomates étrangers qui leur procurèrent une protection diplomatique. En octobre 1944, l’Allemagne orchestra un coup d’Etat et installa un nouveau gouvernement hongrois dominé par le parti fasciste des Croix fléchées… Le 8 novembre 1944, les Hongrois réunirent des dizaines de milliers de Juifs (hommes, femmes et enfants) dans la briqueterie Újlaki à Óbuda, et à partir de là, les forcèrent à gagner à pied les camps d’Autriche. Des milliers d’entre eux furent abattus, et des milliers d’autres moururent de faim et de froid… En novembre 1944, le parti des Croix fléchées donna l’ordre aux Juifs qui restaient à Budapest d’entrer dans un ghetto fermé. Les Juifs qui ne disposaient pas de papiers de protection délivrés par une puissance neutre durent s’y installer au début décembre. Jusqu’à la fin de janvier 1945, les Croix fléchées raflèrent plusieurs milliers de Juifs du ghetto, et les
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abattirent sur les rives du Danube, avant de jeter leurs corps dans le fleuve » Cependant, quelques désaccords se manifestent au sein des autorités militaires allemandes, certains dignitaires, comme Kurt Becher, et même Himmler, négocient en secret avec les représentants de la communauté juive de Budapest. Becher autorise l’industriel juif Weisz Manfred (dont il confisque les usines) à gagner la Suisse. De son côté, Himmler permet le départ pour la Suisse de 1 700 Juifs hongrois et, le front s’approchant de la capitale, arrête, par un ordre du 27 novembre, l’extermination des Juifs du ghetto de Budapest. Raoul Wallenberg, de la Légation de Suède, et Carl Lutz, vice-consul de Suisse distribuent par milliers des lettres de protection et interviennent personnellement pour empêcher l’assassinat par les Croix fléchées de Juifs hongrois. Les généraux allemands s’estiment incapables de défendre Budapest contre les Russes, mais Hitler ne veut pas les écouter, la destruction de la capitale semble donc inéluctable. C’est dans ce contexte, aussi confus que tragique, que le principal protagoniste du présent roman, un jeune Juif de quatorze ans, lutte pour sa survie. Si la description de ses tribulations constitue la charpente de l’ouvrage, la construction de celui-ci ne manque pas de complexité. C’est que l’errance du jeune garçon à travers la ville martyrisée est vue à travers les yeux du vieil homme qu’il est devenu, et qui cherche donc à le mener en filature, en conduisant son enquête sur son propre passé. « Garçon de quatorze ans, je vois le visage d’un homme âgé qui m’observe et, penché sur une feuille de papier, cherche à noter ce qu’il voit. », dit-il, p.19Se pose donc inévitablement non seulement le problème de la mémoire, plus exactement, de la remémoration, mais aussi celui de la distance – tantôt soulignée, tantôt niée – entre le narrateur et le personnage (« le texte nie la distance entre auteur, sujet et lecteur », p.9), d’où un effet de flottement que signale le fréquent emploi d’éléments linguistiques indéterminés. Ajoutons que le Temps lui-même est objet de méfiance (Sándor a placé en exergue de son roman cette phrase d’ « En attendant Godot » de Beckett : « Vous n’avez pas fini de m’empoisonner avec vos histoires de temps ? C’est insensé ! ») « Laissons donc les questions relatives au Temps, elles n’ont aucun sens, le Temps est toujours au présent, le présent du passé est constitué de nombreuses strates de présents passés ; dans le présent de la description, j’entends toutes ces voix en même temps que celles qui m’entourent », écrit-il, p.30« Lutz sent l’espace se dilater, le temps devient comme indéterminé » (p.56), le flou colore la narration, les longues phrases condensant faits et dires simultanés étant censées traduire le « flux de conscience » du narrateur. Mais en même temps, ce roman, comme d’ailleurs toute l’oeuvre d’Iván Sándor est une lutte contre l’oubli, contre l’indifférence (incarnée ici par
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la serveuse de l’hôtel Astoria), et contre la négation de ce passé hongrois que ses compatriotes n’ont pas encore eu le courage d’affronter, au contraire – Sándor a pu s’en convaincre lors de la présentation de son ouvrage dans différentes villes d’Allemagne et d’Autriche – de ses lecteurs allemands et autrichiens. Le roman se compose de plusieurs strates. Première strate : la relation des faits, l’« intrigue » proprement dite, à savoir l’errance à travers la ville du protagoniste et de la fillette de douze ans qui l’accompagne. Seconde strate : les longues citations empruntées aux documents de l’époque – affiches publiques, décrets, communiqués de guerre, etc. – qui viennent étayer l’intrigue. Troisième strate : la représentation du mécanisme de la mémoire, les diverses notations concernant l’acte de l’écriture. Le tout forme une unité indissociable, grâce, notamment au croisement des différents regards. « Les regards sont plus importants que les événements. Car ce sont eux qui reflètent les événements. A condition que l’on sache les interpréter, que l’on sache lire en eux les sentiments, et, retrouver, dans les sentiments, les faits. » Parmi les personnages de ce roman, le vice-consul de Suisse, Carl Lutz, occupe une place privilégiée. Désavoué par ses supérieurs hiérarchiques à cause de son action courageuse en faveur des Juifs de Budapest, Lutz est présenté ici comme un personnage complexe, dévoré de doutes. Dans tous ses écrits, Iván Sándor combat les tentatives de falsifier l’histoire ainsi que le racisme renaissant. « Au fond de la nuit, 1914 », son dernier roman, évoque un certain nombre d’opérations militaires dont le continent européen a été le théâtre lors de la première guerre mondiale. Les antagonismes que l’Europe cherche à surmonter depuis un siècle y apparaissent comme des éléments encore déterminants du sort actuel de l’homme européen.
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UNAprès que le cycliste m’eut heurté au coin de la rue Halász et du quai Bem, nous échangeâmes un regard par lequel chacun de nous reconnut sa faute. Le guidon de sa bicyclette, en forme de corne de taureau, me fit penser à cet autre cycliste qui pédalait sur ce même quai – à l’époque, on l’appelait le quai Margit –, cinquante-huit ans auparavant. Je revis tout à coup ce jeune garçon de quatorze ans, qui, dans un convoi, cherchait à croiser le regard du cycliste qui avançait à ses côtés. Or il ne verra que la fente de ses yeux. Une ligne scintillante encadrée de paupières enflées et de poches sous les yeux. Le regard des gardiens armés. Comme autrefois, des ordres retentissent. Une fois de plus, il faut courir entre les haies formées par des nervis. Pourquoi me suis-je rendu à l’angle de la rue Halász et du quai Bem ? Cinquante mètres plus loin, la rue Pala, une rue en escalier, débouche sur le Danube. En haut des marches s’élève l’immeuble vieillot où habite P., l’illustrateur de mes livres. Depuis des jours, je cherchais une idée pour mon dernier ouvrage. Mon choix s’est fixé sur une reproduction de Bosch. Est-ce pour cette raison, que, dans un rêve, j’ai vu ce petit monstre : pattes d’insecte, ailes de sauterelle, visage humain ? Le nez chaussé de lunettes, il me fait signe, nous nous mettons en marche. Un instant plus tôt, nous étions encore deux. A présent, je continue seul. Le petit monstre, c’est moi. J’ai choisi un détail duChar de foin: des malheureux sont coincés entre les énormes roues du véhicule, deux d’entre eux sont déjà écrasés, d’autres emmêlés, d’autres encore, les mains en l’air, semblent supplier pour leur vie, ou, en se piétinant, essaient d’arracher de quoi se nourrir. Autour d’eux : des monstres, jambes humaines, corps de bêtes. Au-dessus d’eux : quatre personnages, deux avec des instruments de musique, le troisième, une jeune fille coiffée d’un fichu, avec, sur ses genoux, une feuille de papier couverte d’une écriture serrée qu’un garçonnet, derrière elle, déchiffre, en suivant du doigt les lettres. Le détail semble suggérer que le texte nie la distance entre auteur, sujet et lecteur. Sur un autre tableau, Saint Jean, sur l’île de Patmos, écoute, un livre à la main, les paroles de l’ange. 9
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