Les Marins russes en France
160 pages
Français

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Les Marins russes en France , livre ebook

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Description

CRONSTADT. — TOULON. — ORGANISATION DES FÊTESLE 1er septembre 1893, l’empereur d’Allemagne se rendait en Alsace-Lorraine pour présider aux grandes manœuvres des corps d’armée de la frontière ; et, le 3, il faisait son entrée solennelle dans Metz, ayant à ses côtés le prince royal d’Italie en uniforme de hussard hessois. Le jour de l’arrivée de Guillaume II dans les anciennes provinces de France annexées, la Chancellerie russe communiquait à l’ambassadeur de la République française à Saint-Pétersbourg l’ordre donné par le Tsar « à l’escadre russe, sous le commandement de l’amiral Avellan, de se trouver vers le 13 octobre (1er octobre russe) à Toulon, pour rendre la visite faite à Cronstadt par l’escadre française ».Fruit d’une sélection réalisée au sein des fonds de la Bibliothèque nationale de France, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques dans les meilleures éditions du XIXe siècle.

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782346120154
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

À propos de Collection XIX
Collection XIX est éditée par BnF-Partenariats, filiale de la Bibliothèque nationale de France.
Fruit d’une sélection réalisée au sein des prestigieux fonds de la BnF, Collection XIX a pour ambition de faire découvrir des textes classiques et moins classiques de la littérature, mais aussi des livres d’histoire, récits de voyage, portraits et mémoires ou livres pour la jeunesse…
Édités dans la meilleure qualité possible, eu égard au caractère patrimonial de ces fonds publiés au XIX e , les ebooks de Collection XIX sont proposés dans le format ePub3 pour rendre ces ouvrages accessibles au plus grand nombre, sur tous les supports de lecture.
Marius Vachon
Les Marins russes en France
PRÉFACE
Il y a dans le Boris Godounof de Pouchkine une très belle scène, page classique de la poésie russe, que tous là-bas savent par cœur comme nous savons notre Songe d’Athalie ; c’est le monologue du moine chroniqueur Pimène, alors qu’il écrit dans sa cellule, sous la lampe nocturne, le récit des faits de son temps. Le vieillard lutte contre la fatigue, il s’encourage à continuer en méditant sur la grandeur de sa tâche  : tant d’événements remontent dans sa mémoire et se pressent sous ses yeux, « tumultueux comme les flots de la mer océane », qui vont périr sans laisser de trace, s’il ne les inscrit pas sur le parchemin ! Il pense à ses successeurs, « au moine laborieux qui dépliera un jour ce rouleau tout chargé de la poudre des siècles », et y trouvera les leçons du passé, le témoignage du perpétuel effort des ancêtres pour laisser une patrie à leurs descendants. Saisi d’une respectueuse terreur devant le mystère qu’il célèbre, Pimène achève d’écrire l’Histoire, jusqu’à l’aurore.
Je suppose que les mêmes sentiments ont agité le consciencieux auteur du Mémorial des fêtes russes, tandis qu’il classait et fixait dans ce volume les visions dont nos yeux sont encore emplis. L’émotion patriotique y vibre : à cela rien de surprenant, nous l’avons tous ressentie  ; mais cette émotion intellectuelle dont parle Pouchkine, et qu’il prête à l’historien chargé de retracer les grands faits de la vie des nations, comment ne pas l’éprouver devant l’événement historique dont nous avons été témoins ? Cette rencontre de deux peuples, si différente des anciens accords internationaux, nous a révélé une transformation profonde dans les ressorts traditionnels de la politique. Des sentiments instinctifs se substituant aux calculs des chancelleries ; toutes les prévisions, optimistes ou pessimistes, déjouées par la crue soudaine et irrésistible de ces sentiments  : l’introduction de l’amour dans la politique, comme l’a dit un homme d’esprit, c’est là, semble-t-il, l’aspect le plus frappant, parmi tant d’aspects nouveaux qui nous furent ouverts sur le versant inconnu où descend la vieille Europe.
Soyons francs. Quand la visite des marins russes nous fut annoncée, nul ne douta de l’enthousiasme qu’elle provoquerait  ; mais on donnait d’avance à l’allégresse populaire une signification restreinte et précise : le rapprochement intime des deux nations semblait n’avoir qu’un mobile, l’union défensive contre des adversaires communs. Et le contentement n’allait pas sans appréhensions, en Russie comme en France, chez tous ceux qui ont mission de sauvegarder l’ordre, la paix, la dignité nationale, les bonnes relations avec le dehors. N’aurait-on pas à regretter quelque intempérance chauvine dans les manifestations de notre joie, quelque fanfaronnade provocante pour d’autres, humiliante pour nous ? Nos amis redoutaient ces défaillances possibles  ; on les tenait pour certaines, on les escomptait, partout où la malveillance nous épie.
L’événement a donné tort aux timides et aux malveillants. Il ne s’est pas produit un hoquet déplacé dans cette ivresse si bien réglée. On fait honneur au bon sens populaire de sa retenue méritoire : certes, je souscris à cet éloge, et je ne veux pas diminuer la victoire qu’ont remportée sur eux-mêmes certains cœurs dont le patriotisme est d’habitude turbulent. Mais on s’expliquerait mal le caractère des fêtes franco-russes, si l’on n’y voyait que la surveillance attentive d’une passion dissimulée. La vérité, c’est que le mobile auquel on rapportait d’abord la ferveur du rapprochement a passé au second plan. Les deux peuples s’étaient recherchés à l’origine pour se protéger mutuellement contre un troisième ; mis en contact, ils ont oublié cette préoccupation initiale, ils y ont substitué un rêve de fraternité touchante, une explosion d’espérances indéfinissables, sans le moindre mélange d’animosité contre des tiers.
Je ne me charge pas d’analyser cet enchantement vague, cette attente d’une nouvelle aurore dans l’histoire, ce besoin d’aimer pour aimer, qui donnèrent aux foules accourues sur le passage des Russes une physionomie si particulière. Nous l’avons tous constatée, sans pouvoir la définir ; les sceptiques en ont souri d’abord, bientôt ils ont été gagnés comme les autres par l’état d’esprit universel. Paroxysmes du sentiment, inexplicables chez un peuple comme chez un individu  ; qui dira pourquoi, à certaines heures, à la suite de quelque incident futile en apparence, un convalescent se réveille tout à coup avec un tressaillement de joie et de force, un élan d’attendrissement vers tout ce qui l’entoure, une confiance dans la vie revenue qui lui ouvre mille horizons nouveaux ?
La meilleure explication, elle est peut-être dans la vue pénétrante de Michelet, lorsqu’il dit que « la grande entreprise commune du moyen âge, celle qui fit de tous les Francs une nation, la croisade, révèle la profonde sociabilité de la France ». Cette sociabilité de notre race a trouvé dans le rapprochement franco-russe l’occasion de se manifester, occasion d’autant plus vivement saisie que nous étions condamnés depuis longtemps à un isolement contraire à notre nature et à notre mission dans le monde. Ajouterai-je que cette apothéose triomphale assouvissait enfin des besoins d’imagination et de sentiment trop comprimés, mal satisfaits par la régularité bourgeoise de notre vie politique ? Les romanciers ont pour meilleure clientèle des personnes sages, tout appliquées au travail de la semaine, qui lâchent la bride le dimanche à la folle du logis  : durant ces journées d’octobre, la France a lu un beau roman.
Après le banquet de l’Hôtel de Ville, nous regardions ce peuple heureux, gai, si doux dans sa force, qui roulait sur la vieille Grève des vagues humaines sans cesse renouvelées  ; j’échangeais mes observations avec un historien à qui les scènes de la Révolution sont familières ; les mêmes mots nous vinrent aux lèvres  : « C’est la fête de la Fédération ! » Oui, j’ai mieux compris ce soir-là les récits et les estampes qui nous représentent la société française dans son exaltation d’espérance, à l’aube des temps nouveaux ; quand les mains se cherchaient instinctivement, parce que l’humanité s’élargissait et que le lendemain allait être très beau. A quoi les gens qui ont lu l’histoire, et qui partant sont moroses, répondent en hochant la tête que ces crises de sensibilité durent peu, finissent mal, et que le lendemain fut 93.  —  Je ne dis pas non ; raison de plus pour savourer ces rapides minutes. Qui voudrait priver l’adolescent de son premier rêve, sous prétexte qu’il l’achèvera en douloureuses folies ? Ces instants où l’on est dupe de son imagination et de son cœur, ils font pour l’homme tout le prix de la vie, et ils font dans l’univers le prix de la France.
Et de l’autre côté, dans les profondeurs énigmatiques de la Russie, la commotion populaire a-t-elle eu la même intensité ? N’ont-ils apporté dans l’alliance qu’un calcul, une force au service d’une haine, où se sont-ils abandonnés comme nous à je ne sais quel souffle de rédemption et de millénium  ! Tandis que Paris en liesse, sous les drapeaux et les lanternes aux couleurs russes, offrait à ses idoles son âme répandue, je me demandais souvent ce qui filtrerait de cette âme jusque dans les mornes solitudes, steppes et forêts, où le moujik coule sa rude vie. Il est si loin

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