LES NOYAUX D ABRICOTS ITINERAIRE D UN ENFANT D ALGERIE
290 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

LES NOYAUX D'ABRICOTS ITINERAIRE D'UN ENFANT D'ALGERIE , livre ebook

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290 pages
Français

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Description

Suivre les pérégrinations d'Adrien, cet adolescent de 16 ans qui accompagne son père à dos de mulet dans les montagnes de Kabylie, c'est découvrir quelques aspects de l'Algérie coloniale dans cette région, mais également la vie de quelques jeunes dans la première moitié du 20e siècle.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juin 2011
Nombre de lectures 124
EAN13 9782296462205
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les noyaux d’abricots
Adrien Caraguel


L ES NOYAUX D’ABRICOTS


Histoire d’un enfant d’Algérie


L’H ARMATTAN
© L’H ARMATTAN, 2011
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-55009-4
EAN : 9782296550094

Fabrication numérique : Socprest, 2012
C OLETTE
La rue Caraman à Constantine débouche, comme de nombreuses autres, sur la Place de la Brèche, véritable centre géographique et névralgique de cette vieille cité, qui, à l’origine berbère devint romaine vers l’an 300, puis finit par tomber aux mains des Français en 1837, après une longue domination turque.
En tout début de rue, chaque dimanche, une pâtisserie tient lieu de rendez-vous. On ne s’y attarde pas, on s’y rencontre juste le temps de se mettre d’accord sur un projet. Mais entre onze heures et midi le « Poussin Bleu », tel est le nom de la pâtisserie, est pris d’assaut et il est rare de voir dans les parages un passant sans une boîte de gâteaux à la main. Pour ma part je suis chargé de rapporter un millefeuille, un éclair au chocolat, deux tartelettes aux fraises et un puits d’amour – mon gâteau préféré.
La rue Caraman resterait dans l’anonymat le plus total si une métamorphose surréaliste ne venait la transformer le dimanche matin à la sortie de la messe. À peine le dernier tintement de cloche évanoui, la rue, peu passante d’ordinaire, voit au fil des minutes sa densité augmenter, s’enfler pour devenir une véritable ruche humaine organisée. En effet, le flot qui occupe l’entière largeur de la rue est parfaitement divisé en deux courants, l’un montant Sud-Nord, c’est-à-dire Place de la Brèche, vers la Rue de France qui prolonge la rue Caraman, l’autre descendant en sens inverse.
On vient là pour être vu, pour être remarqué ou pour voir quelqu’un, parfois pour transmettre, en secret, un message. Cela ressemble à une parade comparable à celle dont se servent les oiseaux à la recherche d’un partenaire à la saison des amours. Chacun s’est soigneusement préparé : tenue vestimentaire, coiffure, attitude ; tout a été étudié avec un soin méticuleux, chez certains une tactique a même été élaborée.
Malgré une température estivale élevée, j’ai, quant à moi, choisi un costume classique plutôt qu’une tenue sportive qui aurait pu mettre en évidence une anatomie honorable.
Je suis venu voir Colette, à qui je dois transmettre un message et dans quelques minutes je vais croiser ce regard si particulier qui est le sien.
Ma première rencontre avec Colette a eu, sur le cours de ma scolarité en cette année 1941, un retentissement décisif. Un jeudi après-midi, mon copain Claude Ferrandi et moi avions décidé de nous rendre chez moi afin d’effectuer des révisions en vue des compositions trimestrielles prochaines. Au lieu de suivre la route habituelle j’empruntai un itinéraire différent qui nous conduisit vers une petite place publique, la place Baudin, que nous nous apprêtions à traverser lorsque je remarquai, arrivant en sens inverse, deux jeunes filles qui venaient vers nous. Claude, qui les avait aperçues en même temps que moi, m’entraîna vers elles : « Viens, je vais te les présenter : … Jacqueline, … Colette, … Adrien… »
Les présentations achevées, je fus l’objet d’un examen bref et discret et je fis de même. Ce qui était remarquable chez Colette, ce joli brin de fille, c’était la couleur indéfinissable de ses yeux qui pouvaient passer du gris bleuté à un vert sombre donnant à son regard une expression de froideur inattendue sur cet agréable petit minois. La conversation passa d’un sujet à l’autre abordant les projets, les études, les lointaines vacances, les joies et les tourments de cœur, où chacun s’ingéniait à travestir la vérité le plus élégamment du monde provoquant des éclats de rire et des exclamations du genre : « Quel menteur tu fais ! » Eh ben, c’est du propre ! Je remarquai dans le regard de Colette des éclats malicieux, voire provocateurs.
« Passons aux choses sérieuses, coupa Jacqueline après avoir posé sur sa sœur un regard appuyé... S’adressant à Claude puis à moi. Vous êtes invités à une surprise-partie que nous donnons dimanche prochain. »
Nous nous séparâmes sur les banalités d’usage. À peine suffisamment éloignés des deux sœurs j’interpellai Claude : « Comme ça, tu veux les garder pour toi tout seul ! Depuis combien de temps tu les connais, ces deux filles ?
– À peine quelques mois. »

Après un silence je poursuivis : « Je trouve Colette bien mignonne mais son regard en dit long sur son caractère ! Elle flirte avec quelqu’un ?
– Non, pas à ma connaissance. Tu connais les mauvaises langues des gens d’ici ; la moindre attitude équivoque est immédiatement remarquée, exagérée et colportée. Donc si elle avait un flirt, ça se saurait.
– Je ne vois pas pourquoi je te pose la question, car de toute évidence je ne lui ai pas plu. »

Je dois avouer que j’avais été surpris par l’invitation. Était-ce pour faire plaisir à Claude ? Ou simplement par réflexe poli ? Je ne trouvai aucune réponse mais décidai de m’y rendre. Il faut être correctement habillé, pensais-je. Disposant d’un complet de bonne facture j’étais tranquille de ce côté-là. Cependant j’avais un gros souci concernant les chaussures. En effet en 1941 les produits manufacturés venant de métropole se faisaient rares ; les chaussures en faisaient partie.
Mon père, quelques semaines auparavant, m’avait rapporté, dénichées dans une boutique de Sétif, une paire de chaussures qu’il disait être de fabrication américaine. Elles présentaient la particularité d’avoir des talons plus hauts que la normale dont la coupe oblique et rentrante faisait penser aux bottes de cow-boy. La tige haute se terminait par un plateau sans couture. Je leur reconnaissais un chic indéniable. « Il faut que tu les mettes souvent, m’avait recommandé mon père, il faut les ‘‘casser’’. » J’avais bien essayé plusieurs fois mais au bout d’une heure j’avais l’impression d’avoir les pieds pris dans un étau et supportais héroïquement le supplice des brodequins.

Enfin dimanche ! Il était déjà plus de quatorze heures. Une dernière fois devant le miroir, je jugeai satisfaisante l’image qu’il me renvoya, tandis que les quelques centimètres que m’octroyaient mes chaussures donnaient à ma silhouette une allure plus déliée. J’arrivai devant le petit portail qui ouvrait sur une allée pavée, bordée de plates-bandes fleuries. Une charmille protégeait la porte d’entrée. De la musique, des rires et quelques éclats de voix me parvenaient. Je frappai deux coups secs et attendis. La porte s’ouvrit quelques secondes plus tard et Jacqueline me reçut à bras ouverts.
« Viens… entre, mais qu’est-ce que tu tiens à la main ?
– C’est des petits gâteaux faits maison… Ils sont délicieux !
– Je n’en doute pas. Viens, suis-moi à la cuisine, on va les mettre sur un plateau. »

Je la suivis et vis une dame qui s’affairait à remplir des plateaux d’amuse-gueule de toutes sortes. Jacqueline appela sa mère : « Maman ! ». La dame se retourna et je vis Colette avec vingt ans de plus. Jacqueline poursuivit : « Maman, je te présente Adrien… Adrien, je te présente ma maman ». Elle entoura affectueusement sa mère des deux bras. « Jeune homme, me dit-elle, vos oreilles ont dû siffler plus d’une fois ces temps-ci. On parle beaucoup de vous à la maison !… Amusez-vous bien. » Elle fit volte face et s’en retourna à ses occupations.
Jacqueline me conduisit dans la salle à manger, transformée pour l’occasion en salle de danse où quelques couples se dandinaient au rythme d’un slow. Un rapide coup d’œil circulaire m’apprit que je ne connaissais personne. Je découvris Colette devant une pile de disques qu’elle essayait de classer tandis que Claude, penché au-dessus du phonographe, choisissait avec attention la prochaine aiguille qu’il allait utiliser. C’est lui qui me vit le premier. Il s’avança vers moi en s’exclamant : « Mais il est splendide, notre Adrien ! » puis, se tournant vers Colette qui s’approchait, il poursuivit : « Qu’est-ce que tu en dis ? » Colette ne répondit pas, me tendit la main, simula une imperceptible révérence et me gratifia d’un charmant sourire. Puis, contre toute attente, elle me prit par la main, se saisit de quelques disques et me demanda : « Qu’est-ce que tu aimes ? » Parmi les titres il y avait ‘‘La Comparsita’’.
« Ça ! lui répondis-je.
– Veux-tu me faire danser ce tango ? » me demanda-t-elle tout sourire. Elle tendit le disque à Claude, le préposé patenté à l’animat

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