La traversée
97 pages
Français

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Description

Deux couples, un enfant, un voilier, un tour du monde. Rapidement le rêve bascule jusqu’en un huis clos dévastateur, la haine, le désir de tuer.

Informations

Publié par
Date de parution 28 novembre 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782312063812
Langue Français

Extrait

La traversée
François Regnier
La traversée
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-06381-2
Départ
18 juillet
La nuit est venue depuis peu de temps étendre sa lourde cape sur le petit port endormi. De loin en loin, le bruit sourd d’un moteur de voiture traverse le silence dans lequel gît le village. On entend des gens rire. Puis, lentement, tout s’éteint. La bourgade se repose des tumultes quotidiens de la saison estivale en son plein. Quelques chiens esseulés trottent encore après une aventure nocturne ; à moins que ce ne soit après une poubelle copieuse, pour un dernier repas sous un réverbère clignotant sa lumière pâle, avant d’aller se pelotonner sur une plate-bande grasse, entre un bosquet de cotoneasters horizontalis et un plan de millepertuis.
L’heure du départ approche. Ce ne sont plus les mois ou les jours que je compte ce soir mais bien les heures, ce lot de minuscules minutes, ce temps étroit qui nous sépare de l’appareillage.
Sur le bateau, tous les bruits se sont tus. C’est à peine si me parvient le son des respirations un peu nerveuses de l’équipage. J’entends Martin se retourner sur sa couchette et frapper alors de ses pieds de 10 ans la cloison de contreplaqué qui sépare sa cabine de la mienne. Je sais qu’il dort à son ronflement régulier auquel je me suis habitué depuis maintenant quinze jours que lui et ses parents vivent à bord. Il est bientôt minuit. Nous partons demain matin avant l’aube.
Depuis des années ce moment est attendu, préparé. Solange et Georges en ont rêvé dans le brouhaha de la télévision toujours allumée dans leur salle à manger-capharnaüm. Dans mon coin, je tirais également des plans, tous plus fous les uns que les autres, afin de parvenir à concrétiser l’obsession de l’enfant citadin que je fus un jour et qui, par la fenêtre de sa chambre, n’avait pour tout objet de voyage que les trains qui partaient en direction de l’Ouest. Toutes mes tentatives de départ étaient jusqu’alors restées infructueuses.
Le hasard a fait notre rencontre, sur un banc public peint en vert et en blanc, face au bassin dans lequel dansaient sans aucune cadence des voiliers de toutes sortes. Nous revenions de régate. J’avais une bouteille à la main, prix de ma bonne place ; il en avait une également bien que ses résultats fussent quelque peu moins dignes d’éloges. Nous sommes devenus des camarades. À la fin du deuxième litre nous étions des amis, un tantinet éméchés. Les meilleurs que le monde ait jamais connus depuis le matin. C’était il y a quatre ans et demain, quand la porte du port s’ouvrira sur la mer, nous allons être projetés dans la réalité de notre rêve.
La fidèle petite auto rouge s’était élancée vaillamment, par un clair matin d’automne, sur la route. George, à ma droite, maugréait, certainement à cause du bruit et des virages. L’arrière de la voiture était transformé en break et il s’y entassait, pêle-mêle, sacs, glacière et une ribambelle de documents. Depuis trois mois nous n’avions pas lâché le téléphone et nous avions X contacts et (X – N) rendez-vous. Tous triés bien entendu.
Notre quête allait tenir du parcours du combattant. En une semaine nous abattîmes quatre milles kilomètres, plusieurs dizaines de chantiers et de voiliers et bon nombre de vendeurs insouciants, si ce n’est incompétents. Ces huit jours tinrent du roman mais le bateau fut choisi.
C’était un soir de violent orage dans une commune varoise. Nous dînions au restaurant et le mugissement vocal des attablés effarés par l’ondée couvrait le crépitement des trombes d’eau qui fouettaient la véranda au-dessus de nos têtes. Le choix fut plus sentimental que raisonné mais sur ce point George était le seul maître.
Le temps est passé rapidement à mesure que nous nous battions pour que ce projet devienne une réalité. Sans cesse la crainte de ne pas y parvenir, de subir un empêchement fatal, de se laisser dominer par la fatigue nous habitait. Il nous fallait lutter non seulement contre cela mais aussi pour trouver toutes les solutions techniques et financières propres à la concrétisation de notre rêve.
– As-tu trouvé une éolienne ? demandait Georges un jour.
– Oui, et toi as-tu vu ton banquier pour vendre quelques actions ?
– Non pas encore, je voulais d’abord connaître le prix des appareils.
– Tout dépend si tu veux aussi un régulateur de tension.
– Un quoi ?
Patience, prends-moi sous ton aile salvatrice ! Alors je recommençais :
– Un régulateur de tension est un boîtier contenant des diodes qui permettent…
Nous devions également trouver un équilibre entre nous et ce n’était pas le plus facile. Je ne possédais rien hormis mes connaissances techniques. Démonter un moteur, réparer une voile ou une coque, faire une installation électrique sont des choses que je connais assez bien puisqu’elle constitue l’objet du métier que j’exerce depuis quelques années, une profession malheureusement guère lucrative. Georges possède quant à lui une petite fortune, amassée au fil de ce qu’il appelle pompeusement ses années de travail et, surtout, grâce à d’aimables héritages.
– Moi, je paye, me dit-il.
– Et moi ?
– Toi tu prépares le bateau. Bien sûr je t’aide, il ne s’agit pas que tu sois mon esclave. Seulement je ne sais rien faire, je n’y connais rien. J’ai besoin de toi.
– De moi, allons donc ! Diantre on se moque ! Mon épée que diable afin que je lave cet affront dans le sang de mon infâme camarade !
– Tu as raison, j’ai besoin de quelqu’un. Alors autant que ce soit toi. Et puis, tu sais, j’ai aussi besoin d’un ami qui parte avec moi. J’aime bien Solange et notre fils mais si je n’ai plus de copains avec moi, je vais m’ennuyer à mourir.
– Justement, Solange, dans l’histoire, qu’est-ce qu’elle fait ?
– Euh… Enfin… C’est ma femme.
– Cela je le sais, mais en ce qui concerne la préparation du bateau, de quoi s’occupe-t-elle ?
– Je ne sais pas. Nous verrons. Tu sais elle a beaucoup à faire par ailleurs.
– Ah ! Répondis-je dubitatif.
Demain, nous partirons lorsque le jour ne sera pas encore levé. Solange et Georges l’on voulu ainsi, avant l’éveil de nos amis et parents, de tous ceux que la tentation d’agiter un mouchoir, de témoigner un ultime salut sur l’estacade de bois qui pénètre la mer habite depuis le jour où ils ont su que nous les quitterions. Était-ce par nécessité, par plaisir, pour nous porter bonheur ou pour respecter une tradition, un rituel enseigné par l’atavisme au-delà du temps qu’ils avaient souhaité être là, nous accompagner une dernière fois ? Je ne sais. Mes compagnons n’ont pas senti la nécessité de se poser cette question ou, du moins, l’ont-ils repoussée. Avec une sorte d’égoïsme ils ont voulu que ce soit notre départ et que seul le clapotis en soit le témoin. Je crois aussi qu’une forme d’appréhension les habite, ce qui peut se comprendre aisément.
Les dernières embrassades ont ainsi eu lieu avant, il y a quelques jours. Que de mains tremblantes nous avons serrées, que de visages aux yeux gonflés nous avons embrassés, que de souhaits nous avons reçus de voix souvent bègues. Nous y étions sensibles, parfois près de pleurer nous-mêmes. Et pourtant l’émotion nous quittait à mesure que ces adieux se succédaient et approchaient de l’heure de notre départ. Elle s’éloignait lentement de nous qui avions déjà tracé dans nos existences les routes les plus difficiles et ingrates : le choix de ce voyage, l’acceptation de ses contraintes et de ses risques, la longue et fastidieuse préparation du bateau, l’abandon de nos professions, de nos logements, de nos conforts accoutumés et surtout de tous ceux qui avaient su prendre un jour une place privilégiée dans nos vies et la conserver.
Nous étions déjà partis depuis longtemps. Le quai avait glissé mille fois le long de la coque, l’étrave avait plongé dans l’océan, face à l’horizon derrière lequel se tenaient tapies les îles baignées de soleil. Alors que les amarres retenaient toujours le voilier à terre, nous avions retrouvé les oiseaux du large, ceux dont les ailes sont si majestueuses et lentes dans leurs battements, nous avions affronté les coups de vent et vécu des centaines d’aubes rouges. L’avitaillement n’était pas encore commencé que nous étions entrés dans la famille des marins du grand large.
De fait, le monde hauturier reste pour nous une grande inconnue. Nous ne sommes pas particulièrement des novices en matière de navigation et, ensemble ou séparément, nous avons écumé bon nombre de mers et de milles nautiques sans pour autant nous éloigner à plus de trois-quatre jours de navigation d’un port. Je ne compte plus mes convoyages à travers la Manche, vers l’Irlande ou la Bretagne, et même jusqu’en Méditerranée ni le nombre de r

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