9HSMIKG*bafgai+
Bruno Dinant
L’hommedans la Berlingo avec le cadavre et le couteau Roman
Lhomme dans la Berlingo avec le cadavre eT le couTeau
D/2020/4910/63
©Academia – L’Harmatan s.a.Grand’Place, 29 B-1348 Louvain-la-Neuve
ISBN : 978-2-8061-0560-8
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.
www.ediTions-academia.be
Bruno Dinant
Lhomme dans la Berlingo avec le cadavre eT le couTeau
Roman
Chapitre 1
Il y a un cadavre dans le coffre de ma voiture. Je ne peux même pas jouer la surprise et mexclamer : – Mais quest-ce quil fout là, ce putain de cadavre? Je ne peux pas, puisque cest moi qui lai balancé dans ma camionnette, il y a dix minutes à peine. Ce nest pas dans mes habitudes. Je nai jamais fait ça. Jamais avant ce soir. Pourtant, en cette nuit de pleine lune, je trace à plus de cent à lheure sur cette petite route de campagne, avec ce poids qui semble trop lourd pour ma vieille Berlingo et qui fait crisser les amortisseurs. À chaque virage un peu appuyé, il y a un petit bruit étouffé à larrière de la voiture : le long paquet enroulé dans une couverture rouge vif et ficelé à la va-vite brinqueballe davant en arrière et se cogne contre la tôle dégarnie. Ça résonne étrangement. Pourtant jen ai déjà transporté des paquets dans cette voiture : colis divers, malles de voyage, bacs de Jupiler, même des vélos. Tous ces bagages divers tenaient rarement en place et glissaient derrière mon siège en éraflant le plancher. Mais jamais en produisant ce clapotis mouillé que fait une vague têtue qui revient sans cesse buter contre le même rocher.
Le pire, cest que je nai tué personne.
Cest Davina qui ma embarqué dans cette histoire.
Davina. La belle Davina. Ou la garce de Davina. Cest selon.
Elle ma appelé vers deux heures du matin. Elle pleurait. Elle ma dit de la rejoindre chez elle au plus vite parce quelle avait fait une grosse bêtise. Je ne dormais pas encore. Jai saisi mes clés et je me suis mis en
7
route. Elle habite à cinq minutes de chez moi, de lautre côté du village. Jy suis arrivé très vite. La rue était déserte. Juste une petite voiture de couleur sombre garée deux maisons plus loin. Une petite Polo toute fière darborer son insigne VW sous la lumière crue de la lune.
Davina ma ouvert discrètement la porte en jetant des regards apeurés à gauche et à droite. Puis elle ma fait entrer. Le couloir était sombre. Elle avait pleuré, ça se voyait trop. Elle ma emmené dans sa chambre, ce lieu sacré dans lequel je navais jamais pénétré, mais où je lai vue entrer maintes fois avec dautres garçons. Il ne faisait pas très clair. Mais par terre, jai immédiatement remarqué ce long saucisson à taille humaine flanqué au pied de son lit. Devant mon regard interrogateur, elle sest tout de suite lancée dans des explications confuses. Ses sanglots étaient à peine étouffés par le mouchoir quelle ramenait sans cesse sur son nez, entre les quelques bribes de phrases quelle parvenait à articuler :
– Ce type… Il a voulu me violer… Je lai repoussé… Il est tombé en arrière… Il sest brisé la nuque en tombant… Il est mort sur le coup… Je reste très dubitatif. Jai du mal à établir un lien de cause à effet entre cette tentative de viol et ce cadavre déjà emballé, prêt à être jeté à la déchèterie. Je lâche donc cette réplique qui me semble tellement logique : – Pourquoi tu nas pas appelé la police si cet homme a tenté de te violer? Cest de la légitime défense! En plus, cest un accident! Davina me regarde un peu agacée, style «tu ne peux pas comprendre». – Cest un peu plus compliqué que ça! Jai déjà eu des altercations avec cet individu. Je lai menacé en public. Je texpliquerai. De plus, je nai aucun témoin.
8
Je ne suis pas vraiment convaincu. Davina le voit bien. Elle simpatiente : – Alors, Rafa, tu vas maider oui ou non? En fait, je ne vois pas vraiment comment je pourrais laider. Le pire a été commis. Elle veut faire quoi de plus : rembobiner le tout avant de passer à autre chose? – Écoute, Davina, je veux bien beaucoup de choses, mais là je ne vois vraiment pas comment je pourrais taider… Le regard que me lance Davina me semble si condescendant que je me revois un moment en début de classe primaire devant linstitutrice chargée de mon apprentissage. Elle me lance comme une évidence :
– Mais Rafa, tu dois maider à me débarrasser de ce cadavre!
Je ne me souviens pas avoir jamais été aussi surpris. Presque malgré moi, jai lâché cette boutade qui visait sans doute à détendre latmosphère lourde qui sétait insinuée dans la pièce :
– Tu veux quoi? Que je le balance dans mon congélateur? Je naime pas quand Davina me regarde comme ça. Jai limpression de passer pour le pire crétin que la terre ait jamais porté. Heureusement, son regard sadoucit très vite et elle mexplique les détails du petit plan quelle a élaboré : – Raphaël, tu te souviens de notre mémorable balade au lycée, juste avant dentrer en terminale? Le bois de la Cambrière? Bien sûr que je men souviens. Quatre potes déjà amoureux de la belle Davina. Il y avait Alexandre, Théo, Antoine et moi. Un groupe inséparable à lépoque. Jusquen classe de terminale. Nous nous étions lancés ensemble dans un petit groupe de musique. Alexandre était en micro-voix, Théo à la batterie, Antoine à la basse et moi à la guitare acoustique. Nous lavions appelé R.A.T.A. sur base des
9
initiales de nos quatre prénoms. Nous avons connu un certain succès avec quelques tubes un peu faciles, mais très rythmés. Nous avions même animé une soirée vers la fin de lannée. Ça marchait bien et cétait très prometteur. Avant que notre quatuor néclate, à cause de «certaines tensions entre les membres du groupe», comme on dit dans le showbizz. À vrai dire, les tensions étaient venues de Davina qui était sortie avec Théo, puis qui lavait plaqué pour Alexandre.
Mais rien de tout ça lors de notre fameuse balade au bois de la Cambrière. À lépoque, nous étions toujours quatre amis inséparables. Un vendredi du mois de mai, le collège de Godinne avait programmé une sortie écologique à la découverte des biotopes de notre région. Il sagissait de quitter la Meuse pour monter dans les bois environnants. La promenade était animée par un vrai guide nature qui commentait dune voix aiguë chaque station, marquée par un petit portique en bois sur lequel étaient agrafées de grandes affiches plastifiées. Ça lui prenait au bas mot dix bonnes minutes pour détailler chaque panneau en pointant le doigt sur les diverses photos qui le composaient. Nous écoutions toutes ces explications avec une attention très retenue. Chaque fois que le groupe reprenait sa marche, nous en formions larrière-garde la moins rapprochée possible. En fait, nous restions tous les quatre agglutinés autour de Davina qui sarrêtait de temps en temps pour cueillir une fleur et la glisser dans sa chevelure blonde. Rapidement, Alex, Théo, Antoine et moi nous nous étions pris au jeu : nous courions dans le sous-bois, malgré linterdiction formelle du guide nature, et nous nous mettions à cueillir toute fleur vaguement sauvage pour loffrir à Davina. Elle laccrochait – ou pas – dans sa chevelure à côté des autres, suivant son humeur du moment. À lépoque déjà, javais dû me rendre à lévidence : ce nétait pas les fleurs que je lui offrais qui rencontraient le plus souvent ses faveurs, mais plutôt celles de Théo ou dAlex.
Puis nous sommes tombés sur cette pancarte qui annonçait un chemin sur la gauche avec cette mystérieuse indication : «Gouffre du Saut de lAnge, 300m». Le reste du groupe, bien loin devant
10