Le grand pèlerinage
423 pages
Français

Le grand pèlerinage , livre ebook

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Description

Premchand fait partie de la lignée des intarissables bardes qui se plaisent à raconter des histoires pour divertir et pour enseigner. Ses nouvelles s'adressaient à des contemporains qui souhaitaient qu'on leur parle de leurs problèmes. Si ses nouvelles nous touchent encore aujourd'hui, c'est en raison de la vérité profonde de ses récits, une vérité qui le rend en quelque sorte immortel et capable de dépasser toutes les frontières. Les trente-huit nouvelles de ce recueil ont été traduites à partir du texte hindi. En cherchant à se rapprocher au mieux de l'original et à se faire également comprendre du nouveau public francophone ou francophile auquel elles s'adressent, ces traductions restent fidèles à la grande tradition des conteurs indiens dans laquelle s'insère Premchand.

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Date de parution 27 avril 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782140148507
Langue Français
Poids de l'ouvrage 8 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1400€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

X
X Premchand (1880-1936)
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LE GRAND PÈLERINAGE et autres nouvelles
Traduction du hindi par Fernand Ouellet Avec la collaboration de Kiran Chaudhry, d’André Couture et de Richard Giguère
© L’HARMATTAN, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Parishttp://www.editions-harmattan.fr/ ISBN : 978-2-343-20047-7 EAN : 9782343200477
Premchand (1880 -1936) Le grand pèlerinage et autres nouvelles Traduction du hindi par Fernand Ouellet Avec la collaboration de Kiran Chaudhry, d’André Couture et de Richard Giguère
Œuvres de Premchand traduites par Fernand OuelletPremchand (1996).Deux amies et autres nouvelles. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture). Paris : L’Harmattan. Premchand (2000).Délivrance. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture et de Kiran Chaudhry). Paris : L’Harmattan. Premchand (2006).Godân. Le don d’une vache. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). Paris : L’Harmattan.
Premchand (2009).La marche vers la liberté. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). Paris : L’Harmattan. Premchand (2010).Rangbhûmi. Le théâtre des héros. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). Paris : L’Harmattan. Premchand (2016).Les joueurs d’échecs et autres nouvelles. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture, Claudia Nadeau-Morissette, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). New Delhi : Langers. Premchand (2016a).Gaban. Détournement de fonds. (Traduction Fernand Ouellet, avec la collaboration d’André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). New Delhi : Langers. Rai, A. (Éd.) (2018).Les écrits de Premchand.Volume I :La politique nationale et internationale.Volume II :Société, culture et littérature.(Vividh Prasang,Prakashan Allahabad, 1962). (Traduction Hansa Fernand Ouellet, avec la collaboration de Serge Granger, André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry). Paris : L’Harmattan. Premchand (À paraître).L’ashram de l’amour. (Traduction Fernand Ouellet avec la collaboration d’André Couture, Richard Giguère et Kiran Chaudhry).
INTRODUCTION
Premchand : un artisan, un magicien et un maître à penser André Couture Faculté de théologie et de sciences religieuses Université Laval Avant d’être plus récemment l’équivalent de ce que l’anglais appelle « short 1 story » et le français « nouvelle » , le terme hindikahânî s’utilise pour n’importe quelle histoire, n’importe quel conte (kathâ,âkhyâna,âkhyânaka). Pour bien comprendre ce que fait Premchand et ne pas s’étonner de son manque de rigueur, il faut donc prendrekahânîdans son sens premier, plus immédiat, d’histoire en général. Premchand raconte tout simplement des « histoires », sans se sentir prisonnier d’un genre littéraire particulier, et il le fait comme tant de ses ancêtres dans le métier l’ont fait avant lui au pays des Bhârataquand ils racontaient les grandes épopées que sont leMahâbhârataet leRâmâyana, y compris les multiples histoires secondaires (upâkhyâna) qui accompagnent le récit-cadre, quand ils répétaient les histoires de vies antérieures du Bouddha que sont lesJâtaka, quand ils mettaient en scène des animaux comme dans les fables duPañcatantra ou duHitopadesha, également quand ils transformaient ces histoires en pièces de théâtre au grand plaisir des spectateurs. Dans sa préface au premier volume de la collection Mânsarovar, Premchand affirme de façon catégorique que la nouvelle s’est modifiée au cours des âges, mais qu’elle a toujours selon lui fait partie de la littérature : « [c]e n’est pas nouveau, cela date des débuts de la littérature. Mais les contes d’hier ne sont plus ceux d’aujourd’hui. Les goûts des lecteurs ne sont plus les mêmes. Les contes anciens faisaient une grande place au merveilleux et à la spiritualité […] les contes d’aujourd’hui accordent une grande importance à l’analyse psychologique et cherchent à donner une image
1 Premchand ne craint pas de reconnaître que la nouvelle, comme d’ailleurs le roman, sont des genres littéraires qui ont été empruntés à l’Occident, en particulier à des auteurs comme Maupassant, Balzac, Tchekhov, Tolstoï, Gorki (voir « Introduction à la collectionMânsarovar», traduit par Fernand Ouellet dans Rai,Écrits, 2018, p. 693). « La nouvelle est quelque chose de nouveau dans la littérature actuelle, mais elle en est une partie essentielle. Si une revue ne publie pas de nouvelles, elle n’est pas intéressante », disait Premchand (« Introduction d’un recueil de nouvelles » [numéro spécial de la revueCand, décembre 1926], traduit par Fernand Ouellet dans Rai, p. 682). En 1936, il ajoutait qu’en hindi la nouvelle, sous sa forme actuelle, n’existait pas vingt-cinq ou trente ans plus tôt, donc qu’elle dategrosso modo des années 1910 (voir « Introduction à la collectionMânsarovar», dans Rai, p. 693).
2 fidèle des réalités de la vie » . Premchand gagne donc à être célébré comme faisant partie de la lignée de ces intarissables bardes qui se plaisent à raconter des histoires pour divertir, également pour enseigner. Il s’est lui aussi adapté à son époque comme tous ses prédécesseurs l’avaient fait avant lui et ses nouvelles s’adressaient à des contemporains qui souhaitaient qu’on leur parle de leurs problèmes à eux. Si Premchand nous touche encore aujourd’hui, c’est aussi en raison de la vérité profonde de ses récits, une vérité qui le rend en quelque sorte immortel et capable de dépasser toutes les frontières.
Le nouveau recueil de petites histoires que l’on va lire dans les traductions de Fernand Ouellet est un autre éloquent témoignage de l’art de Premchand. Une partie de ces nouvelles – Premchand en a composé près de trois cents – a d’abord été écrite en ourdou, une langue que son père lui a apprise dès son jeune âge, qui s’écrit avec l’alphabet arabe et qui lui a permis d’avoir un accès direct à la grande tradition persane qui s’est imposée en Inde avec les conquérants moghols. D’autres nouvelles ont été rédigées en hindi, une langue qui utilise l’écrituredévanâgarîà la façon du sanskrit et dont Gandhi rêvait de faire la langue nationale de l’Inde, ou bien ont été traduites dans cette langue avec les adaptations nécessaires pour les rendre compréhensibles de cet autre public. Premchand a en effet toujours eu conscience de s’adresser à des lecteurs en chair et en os. Pour bien se faire comprendre d’eux, il était prêt à tous les accommodements nécessaires. Fernand Ouellet a traduit ces nouvelles à partir du texte hindi. En cherchant à se rapprocher au mieux de l’original, en cherchant à se faire également comprendre du nouveau public francophone ou francophile auquel elles s’adressent, ces traductions restent fidèles à la grande tradition des conteurs indiens dans laquelle Premchand s’insère. Premchand s’avère en effet à la fois un artisan, un magicien de la parole et un enseignant, et c’est ce qui ressort encore une fois de ce nouveau recueil. Premchand, l’inlassable artisan de nouvelles
« Je ne suis qu’un travailleur [me keval ek mazdûr hû], comme je l’ai 3 toujours été » , répond Premchand très gentiment en mars 1933 à un jeune écrivain qui s’imagine écrire à un millionnaire capable de le combler de ses faveurs. Sans doute voulait-il lui signifier qu’il devait lui aussi gagner sa vie à la sueur de son front et travailler d’arrache-pied pour créer des œuvres littéraires toujours plus séduisantes. Amrit Rai, son premier biographe, commente à sa façon ce que Premchand entendait par le mot « travailleur ».
2 « Introduction à la collectionMânsarovar; également», dans Rai, p. 691-692 « Préface du recueil de nouvellesPrém-Prasûn», dans Rai, p. 686-688, « Préface du recueilDes bijoux de nouvelles[galp-ratn]” », dans Rai, p. 700. 3 « La récompense des éditeurs »,Hans, février 1933, traduit dans Rai, p. 743, trad. légèrement modifiée. 6
Comment Premchand aurait-il pu rester assis à ne rien faire ? Il s’est attelé à la tâche sans prendre une minute de repos. Après avoir enseigné toute la journée à l’école, il continuait à travailler jusque tard dans la nuit. Il lui arrivait souvent de se lever en prenant garde de ne pas réveiller sa femme et de travailler jusqu’à l’aube, à la lumière de la lanterne. Puis, après avoir effectué les travaux domestiques, il prenait un repas frugal et se rendait à l’école. On aurait dit qu’il était possédé par un démon. Toutefois, il restait calme, comme si de rien n’était. Il n’était jamais énervé pendant qu’il écrivait ou qu’il lisait. Comme tous les gens très occupés, il lui restait toujours du temps pour son activité préférée, car il se faisait une règle de s’asseoir tous les jours pour écrire. Comme l’agriculteur prend son bœuf et son araire pour aller labourer ses champs, il n’avait rien de l’artiste qui attend les moments d’inspiration créatrice pour écrire. Son inspiration créatrice avait des fondements plus solides. Il avait développé la capacité de s’asseoir pour écrire n’importe quand et n’importe où si nécessaire. Il dominait ses états d’âme et n’était pas leur esclave, sans doute parce qu’il avait offert sa vie au peuple et à sa guerre de libération. Il voulait libérer le pays non seulement de l’oppression des étrangers, mais aussi de celle des autochtones. Son engagement était si profond qu’il se considérait lui-même comme un soldat dans la lutte pour l’indépendance. Ce qu’il 4 tenait dans ses mains n’était pas un fusil, mais sa plume .
C’est cela que d’être un « travailleur » dans l’esprit de Premchand. On parlerait peut-être plus justement d’un bourreau de travail. Il faut de toute façon garder en tête cette description du labeur quotidien de Premchand pour vraiment saisir le sens des quelques allusions qu’il fait au « travail » dans le métier littéraire.
Sans parler directement des conditions de travail qui étaient les siennes, il arrive en effet que Premchand insiste sur la nécessité pour l’écrivain de travailler avec acharnement. Dans l’introduction à un recueil de nouvelles publié par la revueChand, il reconnaît la part de travail nécessaire pour en arriver à écrire de bonnes nouvelles :
En réalité, la nouvelle est le seul genre littéraire qui permet de diffuser dans la société de nouveaux sentiments, principes et vérités sans que cela soit manifeste, visible et remarqué. Dans notre pays, à cause de notre état de dépendance, la lutte pour la vie est si féroce que nous devons y consacrer toute notre énergie mentale et physique. Il ne nous en reste plus pour élucider des questions arides et difficiles à
4 « Brève biographie de Premchand », traduit en annexe à Rai, p. 965-987, la citation étant à la page 979. 7
comprendre. Nous sommes ouverts aux idées nouvelles, mais nous ne voulons pas travailler et étudier pour les acquérir [parishram yâ adhyayan na karnâ kae]. La nouvelle possède cette qualité extraordinaire de nous permettre de nous distraire [manorañjan] tout en acquérant des connaissances en science, en économie, en politique, en histoire, en géographie, en mathématique, en architecture, en soins de 5 santé, en commerce et dans beaucoup d’autres domaines .
Parishram, c’est l’ensemble des efforts nécessaires pour mener à bien un travail, c’est le labeur ardu et ininterrompu, tandis queadhyayan, c’est l’étude d’un objet y compris les lectures nécessaires à sa maîtrise. La nouvelle est distrayante. C’est un parfait véhicule pour faire passer des messages. Mais pour arriver à ses fins, l’habile écrivain doit aussi beaucoup travailler. D’ailleurs, dans sa fameuse conférence intitulée « Le but de la littérature » prononcée le 10 avril 1936 lors de la première assemblée de l’Association des écrivains progressistes, Premchand n’a pas craint de rappeler qu’écrire suppose une bonne dose de labeur : « [i]l ne fait aucun doute que l’on naît écrivain, on ne le devient pas. Il est toutefois certain que si nous parvenons à développer ce don de la nature par l’apprentissage [shikshâ] et la curiosité 6 intellectuelle [jijñâsâ], nous pourrons servir davantage la littérature » . Puis il poursuivait ainsi :
Si notre littérature est aussi peu développée, c’est parce que nous croyons qu’il suffit d’avoir un esprit vif et une bonne plume pour devenir écrivain. Si nous voulons que la littérature rende un meilleur service à la société, nous devrons nous donner des standards plus élevés. Elle pourra alors y occuper la place qui lui revient de droit dans la société et formuler des critiques et des évaluations dans tous les domaines de la vie. Nous pourrons ainsi contribuer à accroître la valeur de notre littérature et ne plus nous contenter de consommer les restes des langues et des littératures étrangères. Nous devons choisir nos sujets selon nos goûts et nos capacités et en acquérir la pleine maîtrise. C’est certainement une tâche très difficile [kâm kathin], dans la situation économique dans laquelle nous vivons, mais nous devons garder notre idéal élevé. Même si nous sommes incapables de parvenir jusqu’au sommet de la montagne, nous devons au moins réussir la moitié de l’ascension. Cela vaudra mieux que rester dans la plaine. Si la lumière de l’amour brille dans nos cœurs et si nous maintenons l’idéal du service, il n’y a pas d’obstacle que nous ne 7 réussirons pas à surmonter . 5 « Introduction d’un recueil de nouvelles » dans Rai, p. 682. Le texte hindi a été ajouté. 6 « Le but de la littérature », dans Rai, p. 727, légèrement adapté au présent contexte. 7 Ibid., p. 728. 8
La littérature suppose donc un incessant travail de construction (nirmâna-8 kârya) . Créer des nouvelles pour Premchand, c’est parler d’une réalité concrète tout en ayant conscience de transcender le réel, un idéal qui ne peut être obtenu sans s’y exercer tous les jours. Profondément fidèle à la tradition indienne, Premchand savait parfaitement bien que l’abhyâsa(l’exercice) est la clé de la réussite. LesYogasûtraPatañjali (1,12-13) affirmaient, aux de premiers siècles de notre ère, que leyogî(littéralement celui qui « s’attelle », en l’occurrence à la discipline spirituelle) ne peut réussir sans l’exercice, ici 9 défini comme « un effort visant la stabilisation [du mental] » . Ce ne sont sans doute pas des postures que Premchand reprend jour après jour, sa respiration qu’il vise à contrôler, des techniques de méditation qu’il souhaite approfondir. Pourtant Premchand s’est toute sa vie attelé à la tâche de l’écriture : tel un yogî, il reprenait tous les jours la plume, s’exerçait à traduire ses intuitions en images toujours plus pittoresques et appliquait sans répit son intelligence et sa sensibilité à produire des récits susceptibles de galvaniser l’esprit de ses lecteurs. Premchand, l’envoûtant magicien de la nouvelle
La présente collection de nouvelles témoigne de l’immense créativité de Premchand. Cet écrivain sait l’importance de bien connaître ses lecteurs et la société dont ceux-ci font partie, mais il est en même temps convaincu qu’on ne peut raconter une histoire sans créer de l’illusion, sans utiliser des artifices 10 de toutes sortes . Premchand est à sa façon un magicien qui se plaît à surprendre son lecteur en faisant apparaître devant lui des nouvelles qui le divertissent (manorañjan,vinod) par la fantaisie qu’elles déploient. Ces kahânîsont comme des hublots qui permettent de saisir sur le vif la façon dont fonctionne ce créateur, son imagination (kalpanâ) débordante, son habileté à construire (kp/kalp,nir-mâ) des formes nouvelles, ou encore samâyâ, un terme qui, dans son sens le plus ancien, désigne l’art du magicien, du prestidigitateur, l’art de susciter des formes inédites, le pouvoir créateur que
8 Début de la conférence intitulée « Le but de la littérature »,ibid., p. 718. 9 tatra sthitau yatno ‘bhyāsa(Yogasūtra1,13). 10 « L’art n’est pas seulement un nom pour la copie [naql] de la réalité [yathârth]. L’art apparaît comme la réalité, mais n’est pas la réalité. Sa beauté vient du fait que n’étant pas la réalité il apparaît comme la réalité […] Le secret de l’art est l’illusion [bhrânti, l’impression trompeuse], une illusion qui ne fait que recouvrir la vérité », ma traduction, voir « Introduction à la collectionMânsarovar», dans Rai, p. 692. Également cet autre passage par lequel Premchand conclut sa « Préface du recueil Des bijoux de nouvelles” » : « Le secret de l’art est l’artifice [krtrimatâ], mais un artifice qui a été recouvert du manteau de la réalité. Pour atteindre son but, l’artiste doit transformer un peu la réalité, en atténuer certains aspects et en exagérer d’autres, garder cachés des secrets et en révéler d’autres. C’est seulement ainsi qu’il pourra atteindre son but » (dans Rai, p. 702, ajout du terme hindi). 9
l’on prête aux plus grandes divinités. Quand on examine de près ces miniatures, on ne peut manquer d’être fasciné par la variété de leurs formes et l’invention dont elles témoignent.
La grande majorité des nouvelles ici réunies sont de facture très classique, pourrait-on dire. Elles sont racontées par un narrateur extérieur et omniscient qui n’est autre que Premchand lui-même. Des dialogues finement conduits permettent au lecteur de plonger directement dans la vie des personnages. Il est question habituellement d’événements dont le narrateur semble avoir été témoin ou dont il vient d’entendre parler. Mais le cas de « Jihad » est particulier : le narrateur prévient le lecteur que ce qu’il va raconter à propos desPathanss’est passé il y a « très longtemps », et cette simple mention crée immédiatement un effet d’éloignement qui donne une impression de plus grande objectivité. Les Indiens savent que, jadis pendant le Tretâyuga, un âge très éloigné de notre présent Kaliyuga, le roi Râma fit régner la paix et le bonheur sur tout le pays. Premchand prend prétexte d’une célébration de la Vijayadashamî (ouDashaharâ), une fête religieuse hindoue d’automne en l’honneur de la déesse, pour s’adresser à des enfants et les plonger tout au début de l’histoire de ce grand souverain et ainsi rappeler indirectement aux adultes que l’Inde a déjà été prospère et parfaitement maîtresse d’elle-même. Encore ici, Premchand joue habilement sur le rapport au temps pour mieux s’adresser à ses lecteurs d’aujourd’hui.
Une des façons de piquer la curiosité est certainement pour Premchand de varier au maximum les personnages qu’il met en scène. Le lecteur découvrira au fil de sa lecture des gens appartenant à divers groupes sociaux. Évidemment des brahmanes et divers représentants des castes supérieures, également des kâyasthacomme Premchand lui-même (voir « La défense des droits acquis »), mais aussi de petits employés comme cette femme chargée de nettoyer les rues chaque matin (« L’amende »), l’employé d’un four à briques (« Le trésor caché »), des commis de bureau (« Un problème difficile »). Il rencontrera des hindous, parfois des musulmans ou des chrétiens, également des hindous anglicisés qui se sont distanciés de la foi de leurs ancêtres. Cette stratégie, qui s’appuie sur une observation minutieuse des milieux où il a vécu, ne suffit pourtant pas à Premchand.
Alors que la plupart des nouvelles sont placées dans la bouche d’un narrateur que l’on suppose être Premchand lui-même, dans la nouvelle intitulée « La paix » (shânti), il utilise une stratégie plus complexe. La nouvelle est directement racontée par Shyâmâ, une femme qui ne craint pas d’utiliser le « je », à l’occasion le « nous », pour parler elle-même au lecteur de l’impasse où l’a conduite son mariage. « Mon mari s’est lentement anglicisé », avoue-t-elle candidement et « regardez maintenant où j’en suis », poursuit-elle en substance. Le procédé peut paraître d’avant-garde, quoiqu’il ne soit pas sûr que ce « je » doive être lu comme une affirmation de féminisme avant la lettre.
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