Un jour peut-être
172 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Un jour peut-être , livre ebook

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172 pages
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Description

L'ode à la nature, à la solitude, la musique, les toiles de Nicolas de Staël qui sont citées, Lily Blue le personnage central, les rencontres au milieu de ce qui s'achève, de ce qui se répète et se délite, tout semble exprimer dans ce roman cette émotion qui nous étreint et nous déroute, ineffable.
Romancière, essayiste, dramaturge, Olivia-Jeanne Cohen a publié de nombreux ouvrages et son questionnement sur l'existence, les thèmes obsessionnels présents dans toute son oeuvre sont traités comme si l'auteur tendait à chaque fois plus à les parachever.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2010
Nombre de lectures 35
EAN13 9782296695597
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

A mon fils
Un jour peut-être
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique, 75005 Paris

http:// www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-296-11361-9
EAN : 9782296113619

Fabrication numérique : Socprest, 2012
Ouvrage numérisé avec le soutien du Centre National du Livre
Olivia-Jeanne Cohen


Un jour peut-être


roman


L’Harmattan
I
R ony a laissé s’éloigner le groupe d’hommes et de femmes qui ne sont plus qu’averses dissipées. Il est resté immobile sur un côté de la route.

Le chant rauque d’un oiseau. La cime d’un arbre. Par instants, le bruissement d’ailes dans les feuillages. Le chant rauque, de plus en plus fort dans cette zone d’ombre. Le milieu de la route éclatant. Puis le silence, par nappes.
S’il se perd, il tentera de revenir sur ses pas ou rejoindra l’autre route, au loin, au croisement. Il se met de nouveau en marche.
Le bâillement de ses pas sur le goudron chaud.
La bande de ciel bleu draine des filtres d’électricité dans la torpeur de l’air. Le feuillage d’un platane frémit, suivi du même son rauque de l’oiseau. Ses échos envahissent l’air, battements bleuis près de ses tempes.
Il aurait dû songer à se protéger plus tôt. L’oiseau fonce sur lui. Il se réveille au bord d’un champ de vignes. Une marche trop harassante sans doute. Un léger malaise. Nulle trace d’affrontement sur son torse. Aucune tache de sang sur son pantalon de toile épaisse. Depuis le champ, il voit la façade de sa maison blanche.
De retour chez lui, il laisse l’ombre s’attarder dans la pièce et s’allonge sur un canapé tandis que les voix de la radio égrènent en continu des dépêches. Ce bruit le gêne. Il éteint le poste. À travers une des persiennes, sur le versant opposé, une ombre agite le soleil.
Il sort.
Dans le champ en contrebas, son corps sent la terre, la chaleur de blé et la force virile mêlées. Il immerge tout son visage dans le gué et parvient jusqu’au pont. Le seul appartement, juste au-dessus, s’encadre, comme un petit caprice, dans l’horizon. Une des grandes fenêtres est entrouverte.
Les sentiers qu’il emprunte s’ouvrent sur la même grande route déserte éventrée, au soleil, ponctuée de surfaces aux mirages d’eau. Il dévie, pénètre dans une pinède ombragée. Quelques mètres plus loin, il aperçoit un couple et croit distinguer les mains de Martial sur le dos nu d’une femme, tous deux dissimulés par les branches des pins. L’image de la route aux grands pans éblouissants explose dans le chant rauque de l’oiseau.
Il reprend sa marche, dépasse sa maison, poursuit sur un petit chemin latéral dans la touffeur roussie du goudron et de l’eucalyptus. Le silence s’écaille. Les voix ou les sons éclatés du groupe d’hommes et de femmes, de nouveau, cicatrice de l’air, percent la chaleur en tirs inégaux.
Le silence, les rires, syncopes et stridences à la fois et les appuis pompiers de leurs pas qui plombent le sol s’usent enfin au milieu des sons étouffés et des feuillages en vagues, menus halos qui se dilatent jusqu’à leur disparition.
Les mains de Martial saisissent le dos de cette femme. D’un soupir, elles s’élancent pour longer les lignes du dos.
Les rires du groupe. Les hachures des pas. L’odeur de terre. La chaleur d’écorce. C’est là qu’il les a laissés s’éloigner.
« Toute jouissance est aussi sensation, c’est-à-dire connaissance, et lumière. Non point disparition de soi, mais oubli de soi et comme une première abnégation » {1} .
Lily Blue dans le désastre de son corps. Son corps qui l’assomme, naufragé. Corps-proie. Corps-isthme.
Elle s’aventure dans ses définitions, s’immerge dans ses labyrinthes, dissidence d’une sensation de plus en plus abstraite des dalles, des murs, des cloisons, des fenêtres, des surfaces, des volumes, corps-voile aspiré par les sortilèges de l’éloignement.
Debout, dans l’atelier de Paul, dans la pièce libre de l’étage aux stores légèrement baissés. La chaleur et la pénombre se touchent. Au loin, la forêt, qu’elle hésite encore à rejoindre.
Elle s’allonge sur le sol nu, subitement, respire, expire jusqu’à se désemplir des autres du monde asphyxiant des mots des bruits tous les bruits Capter juste le silence qui s’engouffre L’appel de son corps Les voiles qui se gonflent Le vent Les canisses qui se froissent à l’extérieur Le vent encore dans les amandiers La promesse des oliviers L’odeur de la forêt Capter juste le remous tentaculaire de son basculement Perdition dans la spirale de sa solitude Respirer Respirer encore Elle reprend une autre direction La peau et ses crépuscules de lumière
Les rives invitantes palpitent en sillons cristallins. La peau encore. Bulles de chaleur qui se propagent, explosent, des nénuphars parsèment son corps vagabond.
Son souffle, grand, sans obstacle, prolongé, réplique aux climats d’onyx et de moire, diadèmes qui scintillent en elle, éclats aux saveurs de musc, aux paroxysmes à venir, balançoires des rythmes clandestins portés entre pointes et soupirs.
Respiration primitive et nue.
Ses jambes, ses bras étendus sur le sol, ses mains, clameur et offrande Les couleurs des tableaux de Nicolas de Staël, contrastes et violences qu’elle vivra encore, les intermittences fauves entre les lumières du jour vif et du jais sidéral qui rythment en bandes alternées son corps. L’exaltation de se perdre, chercher les chemins obscurs, se perdre encore, revenir, s’ouvrir en pulsations de vie.
Les escarpements
Ferveur du corps jaillissant aux courbes en sueur, au creux des reins électriques, se perdre dans les hésitations souterraines.
Palpe Frôle Saisis Plonge Reste
Rester encore Tarder dans ces crues au cœur des plaisirs chromatiques et des explorations renouvelées, dans ces frémissements depuis la plante des pieds jusqu’aux accords les plus lointains d’elle-même.
Racines
Clisses. Ses territoires dissidents. Délivrance insoupçonnée du tronc immobile vers les hauteurs, l’infini de la mer, le soulèvement de la terre.
Au fond d’elle Les nappes aquatiques Les coulures Les brûlures d’une douleur unie au plaisir La violence ivre Intouchable Dans les profondeurs de son corps souverain Le cri primitif.
Son corps est eau, feu, air, terre, d’envols et de bonds Corps équinoxe Son odeur de sucre et d’épice.
Avec son corps-naufrage, elle coule dans la liberté, pleure dans le paroxysme de l’exil, se moule dans l’éreintement de sa solitude. Les délices arpentés sont rapt, vertige. Ne plus savoir. Ne plus être.
Elle reste, sur le sol. Une île. Puis se lève, souffle dans le vent, dans le flottement de guimauve musquée de l’air.

Là, je pourrais m’étendre dans le grand désert de la mort.
À quelques kilomètres de Castellane, Rony attend le soir et s’enfouit dans ses accents bleutés. Aux ultimes lueurs des bémols du jour, il pénètre dans les vastes pièces rectangulaires du lieu d’exposition. Il s’attarde dans la poussière de la chaleur endormie avec les grandes traînées du jour.
Dans une des salles, s’offrent L’Arbre rouge (1953), Les Bouteilles rouges (1955), Le Concert (1955), le rouge d ’Agrigente (1954).
Ce qui se passe est au-delà du regard, seul, dans le rouge insondable.
Ce qui bascule de ces rythmes donne le vertige. En filigrane, s’insinue l’incise des lignes droites, verticales, horizontales. De la matière brute, une douceur s’épuise et la lenteur se déploie par saccades. La main atteint l’écorce du visible, à bout de souffle. Le danger brûle les surfaces et les lignes qu’on ne distingue plus. La tension fait naître la métamorphose, prélude au plaisir insoupçonné. C’est à ce moment qu’il découvre une inscription de Nicolas de Staël :
« Voltige en plein oubli de soi avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance » (1952).
Et cette autre, extraite d’une Lettre à René Char :
« Je me sens toujours en faute quand je ne partage pas un peu ce qui m’arrive. Le travail par à-coup, de la terreur lente aux éclairs » (novembre 1953).
Le rouge revient, brûle de revenir, envahit la conscience. Une couleur qui bât, sans oubli, isolée dans la mémoire. Un au-delà du temps. Puis le silence s’impose, cri inarticulé, comme ce temps inconnu. Les plans s’inclinent, ceux des Bouteilles qui entrechoquent l’ivresse, l’obsession, la solitude dans les nappes ou landes rouges des plans horizontaux ou verticaux.
Le rouge bât, cataractes du cœur, les mots du dedans souffrent et explosent dans la solitude d’un fond jamais atteint, dans les signes du lointain qui emportent le regard hanté. On ne peut rien retenir des images qui s’étreignent les unes les autres, comme de ses souvenirs, ceux de ce rouge, lentement, qui ravage l’espace, « en plein oubli de soi ».
Rony ferme les yeux. Le regar

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