Vietnam : récits du XXe siècle
102 pages
Français

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Vietnam : récits du XXe siècle , livre ebook

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Description

Avec ce recueil de huit nouvelles, embarquez pour un lointain voyage littéraire au cours duquel des écrivains vietnamiens du XX° siècle vous feront découvrir quelques aspects de la culture de leur pays. Vous serez dépaysés et pourtant proches des personnages de ces récits tant les sentiments exprimés dans une langue imagée et poétique sont universels. Ces nouvelles parlent de sagesse, de désespoir, d'amour, de violence et de résistance.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2007
Nombre de lectures 239
EAN13 9782336254838
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0450€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

9782296033344
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Phan Du - LES ORCHIDÉES « TÔ TÂM » Linh Bảo - LES NOUVELLES ROBES Thạch Lam - LA FAIM Thạch Lam - AU PREMIER FRISSON DE L’HIVER Nhất Linh - LA GOMME Nguyễn Tuân - LE LANCER DE “CRAYONS” LE CHIEN MARRON LA CALLIGRAPHIE DU CONDAMNÉ À MORT Notices biographiques
Vietnam : récits du XXe siècle

Xuan Viet Nghiem
Quoc Co Dang
Quy Toan Nguyen
Phan Du
LES ORCHIDÉES « TÔ TÂM » 1
Chaque fois que je regarde les fleurs cultivées dans les grands pots “kiêng” 2 ou que la conversation s’engage sur l’art de jouir des fleurs, ma pensée se reporte immanquablement à un ancien lettré, le vieux bachelier 3 Nguyễn. Il était l’ami le plus cher de mon père. Mais cette vérité ne m’apparut que plus tard, quand mon esprit d’observation avait mûri et s’était habitué à saisir les choses impondérables, et je viens seulement de comprendre la profondeur de cette amitié, que je croyais superficielle, entre les deux vieillards.
Car, de ce temps-là, jamais je n’ai vu le vieux Bachelier parmi les hautes personnalités dans ces festins somptueux donnés chez mon père. Et rarement, le vieux Bachelier nous rendait visite au palais.

Mais une chose me frappait dans la manière dont mes parents recevaient le vieux Bachelier. Dans les formes, la réception semblait simple, sans cérémonie, et tout à fait différente de celles réservées aux grands personnages.
Mais dans cette simplicité, une attention spéciale témoignait d’une estime particulière et d’un respect profond.
Chaque fois que mon père voyait arriver le vieux bachelier, il prenait lui-même la peine de préparer le service à thé, le brûle-parfum 4 , l’échiquier, le pinceau et l’encrier. Mon père, d’ailleurs, réservait pour l’occasion le thé le meilleur et le plus parfumé. Et les deux vieillards faisaient une partie d’échecs, dégustaient l’alcool, récitaient des vers ou discutaient, sous la fumée odorante du santal. Certaines parties d’échecs duraient toute la matinée, toute la journée quelquefois, et la victoire restait indécise entre les deux joueurs.

Mon père ne rendait visite au vieux Bachelier qu’une fois tous les deux ou trois mois. Mais chaque fois qu’il avait un bon thé ou une cannelle de qualité supérieure, il ordonnait à mon frère ou à moi de porter nous-mêmes ces cadeaux chez le vieux Bachelier, jamais il ne chargeait un domestique de nous remplacer dans cette commission.
De cette façon, j’avais souvent l’occasion d’aller chez le Bachelier, et c’était ainsi que je compris la pauvreté digne et la noble vie intérieure du vieux lettré.
La demeure du vieux Bachelier n’était qu’une chaumière ordinaire, au milieu d’un jardin pas très grand situé dans les quartiers pauvres, mais elle a laissé en moi, ainsi que le jardin, de nombreux souvenirs beaux et poétiques.
Le jardin du vieux lettré était un véritable parterre de plantes. En franchissant la porte, j’avais l’impression de m’égarer dans une forêt de fleurs. Tout le jardin s’illuminait des couleurs éclatantes des pétales plutôt que de la lumière du soleil. C’était un monde tranquille tout à fait différent du monde tumultueux de l’extérieur.

Je rencontrais plus souvent le vieux lettré dans le jardin que dans la chaumière. Et jamais je n’oublierai l’image de ce vieillard aux cheveux et à la barbe blancs, mais majestueux avec son front haut, ses yeux bienveillants derrière les verres de ses lunettes à monture d’argent, sa taille élancée et haute dans les vêtements bruns qu’il portait en toute saison, au milieu du jardin, debout à côté de sa petite fille, et souriant à ma vue. Cette image, même jusqu’à présent, est pour moi le symbole d’une vie toujours noble, pure, et tout intérieure. Elle revient à mon esprit dans ces minutes où les flots déchaînés de l’humain désir s’apprêtent à détruire en moi toutes mes croyances en la noble signification de la vie.
Le lettré vivait en paix avec une petite fille et un vieux domestique. En réalité, il vivait bien plus avec ses fleurs. Car il aimait les cultiver, les soigner, suivre tous les changements dans la vie des fleurs étaient ses plus chères distractions en dehors de celles de déclamer les vers et de lire les livres.

D’abord, je considérais ce plaisir comme tout à fait ordinaire. Car, le plaisir de cultiver les fleurs dans des grands pots “kiêng” était commun à tous les vieillards aisés de cette divine capitale 5 . Un plaisir que nos 15 ou 16 ans, turbulents et dynamiques, trouvaient compliqué et même ennuyeux. De plus, avec son comportement traditionnel de lettré, le vieux Bachelier m’était peu sympathique. Aussi au début, venir chez lui était pour moi une obligation où je ne trouvais aucun plaisir. Mais à force d’aller chez lui, je trouvais à la longue chez ce lettré traditionnel une âme toute jeune, un cœur simple et enjoué. Plus je le fréquentais, plus je le respectais, l’aimais et mes anciennes appréhensions disparaissaient. Le vieux lettré me considérait comme quelqu’un de la maison, comme Bội Lan, sa petite-fille qui avait le même âge que moi.
Et peu à peu, le vieux Bachelier, Bội Lan et le jardin de fleurs m’attiraient plus que toute autre chose. J’éprouvais un véritable bonheur à suivre en gambadant le vieux lettré dans ce jardin, l’aider dans l’arrosage des fleurs, l’échenillage des plantes, la confection des supports et mille menus autres petits travaux. Au cours de ces promenades, le vieux lettré causait avec Bội Lan et moi, comme avec de grandes personnes. Il parlait de fleurs, des traits caractéristiques de chaque espèce et faisait des remarques amusantes sur elles.
C’était à travers ces causeries, faites à l’ombre de ces fleurs - causeries que je ne saisissais pas toujours complètement - que je comprenais que le plaisir de cultiver les fleurs du vieux Bachelier avait quelque chose de noble, d’exceptionnel. Ce n’était pas un plaisir égoïste, et plus tard, à propos d’une histoire qui avait quelque rapport avec le sort de quelques pots de fleurs précieuses dans ce jardin, je réalisais que chez le vieux Bachelier cette distraction avait été élevée à la hauteur d’une religion, la religion des fleurs. Je me rappelle qu’un jour, en changeant le panier de quelques plants de chrysanthèmes, le vieux Bachelier me dit :
- Ces soins sont nécessaires, sinon ces plants retourneront à la vie des cavernes.
- Monsieur, qu’est-ce revenir à la vie des cavernes ?
Cette question naïve pour ceux qui s’y connaissent dans l’art de soigner les fleurs faisait rire sous cape la charmante Bôi Lan. Le vieux répondit :
- Revenir à la vie des cavernes veut dire se dépouiller de toutes ses feuilles. Même si le plant est riche de fleurs et de bourgeons, s’il revient à la vie sauvage, il n’a aucune valeur. Et dans la culture du chrysanthème, c’est une faute. Mais il ne suffit pas de changer seulement de panier, ou d’apporter de la terre. Cela dépend encore de la nature de la terre, du fumier qu’on y ajoute et de la façon dont on s’y prend.

Bội Lan, tout en se penchant pour mettre de la terre dans un panier, dit doucement au vieillard :
- L’essentiel est que les fleurs soient nombreuses, même si le plant revenait à la vie des cavernes, cela n’a pas une très grande importance. Vous êtes très exigeant, grand-père, et c’est dur de pouvoir vous vendre un pot de fleurs.
Le vieux Bachelier dit en riant à la petite fille :
- Oui, et d’ailleurs c’est pour cela que jamais je ne veux acheter des fleurs toutes cultivées, comme d’ailleurs, jamais je ne peux vendre les fleurs. Un pot de fleurs qu’on plante soi-même pour son plaisir n’a pas de prix. Les riches qui emploient leur argent à acheter ces fleurs, il n’est pas sûr qu’ils savent en jouir, de ces fleurs. Car le plaisir n’est pas seulement de jouir de leur parfum ou de leurs couleurs, mais encore d’assister à leur croissance. Un jeune bourgeon qui pointe, une feuille qui va s’ouvrir, cela suffit pour les délices des yeux, et peut-être ces délices sont-elles encore plus grandes que celles de contempler les fleurs. Car ces fleurs sont des créatures à la fois fières et délicates. Elles ne demandent pas de notre part de richesse, mais des soins. Seuls ceux qui se consacrent à elles,

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