Docker ou Les trois tours de Hambourg
148 pages
Français

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Docker ou Les trois tours de Hambourg , livre ebook

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148 pages
Français

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Description

Après un an de "chasses" vagabondes au Mexique et en Amérique centrale, Patrick Allain Le Bras revient comme matelot-homme de pont sur un tramps allemand où il a embarqué à Vera Cruz. Chronique de voyage hors du temps, insolite et poétique, Docker ou Les trois jours à Hambourg est la description de l'univers vibrant, violent, exotique et odorant des entrailles de cargos du monde entier.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 10 janvier 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9782336890906
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0950€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre
Patrick Allain le Bras








Docker ou Les trois tours de Hambourg





Premier voyage : L’antre des cales
Deuxième voyage : Les tonnerres d’Altona
Copyright





































© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
EAN Epub : 978-2-336-89090-6
Copyright


“La vie est un jeu
je me raconte toutes sortes d’histoires,
et pas seulement de vaines histoires ;
c’est même entièrement de cette façon que je vis.”
nadja , André Breton
DÉDICACE
Dédié à
ma femme Margaret, ancrée en moi au-delà des horizons, notre fille Ysold, créant et restaurant les images du Monde Lucas, avide des imprévisibles ouvertures de la vie, Violette et Diethelm qui m’ont hébergé à Hambourg, Catherine pour sa complicité au cours des années d’Ethnobotanique,
aux insondables regards, sourires et chants d’amour des femmes,
aux dockers portugais travaillant en riant et rêveurs d’évasion.
PRÉFACE
Une histoire exotique et lancinante semble se déclencher.
Jamais je n’aurais dû être humain.
J’ai la logique de Byzance en flammes,
la sagesse désolée et furieuse du Cap Horn.
Je brûle et coule mes heures avec un soupçon d’incertitude
sur la réalité
qui, prise au dépourvu,
se désespère
de n’avoir aucune preuve d’elle même
que cannibale.
En ce temps là j’étais à Hambourg, galère exotique et fleurie de la Ligue Hanséatique, des entrepôts canaux, des tapis et épices, des mille et un péchés, des marins cabossés et des belles en vitrines, du théâtre aux lanternes et du soleil couchant, âmes des imprévisibles voyages.
Par ces hasards qui ne sont jamais tout à fait des hasards et l’attirance naturelle vers les ports, portes de l’horizon, je m’engageais, en 1972, puis 1973, dans une grande Compagnie de dockers, afin d’y gagner de quoi repartir en voyage en Amérique Latine. Ce kaleïdoscope de cales se déroula en deux époques, deux rythmes et deux états d’esprit quelques peu différents.
Le premier voyage, L’antre des cales , coïncida avec une longue grève des dockers anglais, détournant les cargos vers Amsterdam, Rotterdam et Hambourg. Les semaines de 70 à 90 heures m’envahissant les bras et l’esprit, je m’agrippais au radeau des images, aux fantasques décors d’évasion des cargaisons, comme à des grues pour prendre l’air et survivre. J’accrochais ma raison aux contes de la vie vécue dans un autre Univers et décryptais les cales.
Au printemps 1973, le port avait repris son rythme normal, d’un besogneux ronronnant. La fuite des cargaisons détournées y rendait le travail plus rare aux mercenaires supplétifs. Au fil des jours s’effilochait le fantasque exotisme, noyé de soubresauts de fatigue, de révolte et d’espoir. Les scénarios m’étaient connus, les images plus banales et les jours incertains, mais à travers tours et détours, tonnaient les tonnerres d’Altona et vibraient les cargos d’horizons.
L’ANTRE DES CALES
Les goélands revendiquent et jacassent d’amour, de nourriture et coltar sur les bacs à capucines, les grues du port dansent élégamment sur les cargos à ventres secrets, dans les vitrines se mire la bande dessinée de mon ombre. Ma silhouette se dissocie en gouttelettes et grelots, se décompose. Errant fantôme dans un jeu inconnu, mes soupirs voraces d’images ont faim des entrailles du monde entier.
Jeudi 13 juillet, levé à 5h 30, j’ai un drôle de goût dans la bouche…
A demi-endormi je dévale la grande avenue me menant d’Altona, le haut quartier du port, jusqu’à Baumwall, le pont de la douane et du port franc. J’y passe en silhouette, pointe au guichet de la Compagnie. On m’y indique un numéro de barcasse. J’y cours, et me voici dans la brume matinale, en promenade dans les eaux glauques et scintillantes, debout, serré dans un gros lot de dockers en sardines dressées dans une boîte ouverte. Quelques rapides arrêts déchargent des lots de vingt ou trente ombres. On me fait signe : « Ici ».
Cale 69, Kuhwerden Hafen, j’embarque sur l’I NDIA , ex I NDUS , des Messageries Maritimes, signe « M », cheminée noire, port d’attache Dunkerque. Je commence sur un « service 1 », « einze shiff » , « premier tour », qui est de 7h 30 du matin à 15h 30 ; le « service 2 », second tour, va de 15h 30 à 23h 30.
Les palettes de bois descendent du ciel, pleines de sacs en plastique d’engrais roses pour la Thaïlande, et se posent sur des monceaux de sacs du même rose. Au fil des heures, à fond de cale, je tourne avec mes trois « collègues » portugais. L’un s’installe à la palette qui vient d’arriver, en dégage les deux barres de fer à pinces à ressort pendues à deux triangles de câbles reliés par une poulie à la grue. Toute la matinée, celui qui s’occupe de la palette nous charge des sacs sur le dos et nous allons, cahin-caha, écrasés de soucis roses, courbés sous les entreponts qui nous rapprochent à chaque nouvelle couche déposée, de l’ombre et la rouille. Il faut faire attention à la tête, et aussi aux jambes : on se casse facilement un tibia dans les failles de piles dures des sacs lorsque l’on est bien chargé.
Je commence à peine à réaliser que je suis dans une cale, bel et bien redevenu docker, et me coltine des sacs de 20 ou 25 kg, sans grand plaisir, cherchant à communiquer avec trois mentalités différentes d’Indiens dont je ne connais pas la langue : des Allemands, des Grecs et un bon lot de Portugais. Tous découvrent lentement, avec émerveillement et perplexité, qu’ils ont avec eux un docker français qui ne ressemble pas du tout à un docker, n’est pas fatigué, n’est pas « pointeur » de Compagnie d’import-export, et travaille comme eux. Tout le monde est vraiment gentil, et le boulot fort triste. Je suis un éléphant déçu qui transporte des sacs d’un coin à l’autre d’un grand coffre en fer. Le seul point d’appui exotique est « Thaïlande ». Pour le reste, il s’agit d’un bateau français, il est rouillé, la cale est dans la pénombre rosâtre de collines et cavernes d’engrais allemands que nous empilons comme des maçons. Y flotte une odeur douceâtre, un peu fadasse, très moderne dans un lieu ancien. Tous les sacs ont même taille et même couleur.
Accoreur, arrimeur de cargaisons, nettoyeur de cales et débardeur d’appoint durant deux mois, l’année dernière à Marseille, je n’ignore pas les variantes de travail en fonction des cargaisons, mais suis un peu déconcerté. Je ne saisis rien aux onomatopées de ces trois langues bizarres des initiés d’ici. En promenade cahotique de cargaisons dans les gueules et entrailles des dragons de fer et de mer de cet autre univers, il me faut très vite comprendre les structures de ce nouveau royaume où je plonge pour quelques mois. Observer, connaître les règles du jeu, les forces et conflits, ne pas se laisser manipuler et garder un îlot libre en tête pour dériver vers les rêves de la création. J’ouvre l’œil et cherche à saisir ce qui se passe. Dans quelle histoire suis-je tombé ?
Je sais que cette vie va être crevante. Toutes les histoires d’usines sont éreintantes, bêtes, abrutissantes, les gens y sont ou gentils ou douteux, parfois se disent conscients et contestent, mais font marcher la machine. Or cet univers se présente mal : je suis, depuis ce matin, de ces bêtes de somme. Venu gagner des marks et images je n’ai aucune envie de faire de l’agitation, ce n’est ni ma vocation, ni ma formation, ni mon but. « Mon combat est plus poétique que politique » disait un beau slogan… Ceci est pour moi un voyage dans l’esprit du travail, une ballade dans quelques cales et trous noirs de nos sociétés pleines de cochonneries et merveilles du monde. Le chemin m’intéresse plus que la fin inaccessible.
Docker, le mot me fascine et m’étourdit. Il semble que cela soit irréel, exotique, j’y suis en fantôme, mon présent habituel voyage. Je ne suis pas un « professionnel », n’ayant aucune spécialité, si ce n’est le rêve. Je flotte dans une civilisation très étrange, comme toutes les civilisations influencées par des grands systèmes de pensées magiques, occultes et d’une économie douteuse, jeu de petits détails, images et combinaisons qui composent et influencent le monde.
Ce premier jour n’est pas vraiment très accrocheur. Apparemment cela va être très dur, pourtant je veux que ça me plaise parce que j’ai choisi sciemment.
À 9h du matin, le chef de cale dégringole par l’échelle, reste accroché pa

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