Abidjan rodéo
443 pages
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Abidjan rodéo , livre ebook

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Description

Abidjan Rodéo est la chronique d’une jeune française, volontaire en Côte d’Ivoire entre 2001 et 2002, qui raconte ce qu’elle voit, sent, ressent, grandit au contact de cette ville, de ses habitants, de ce monde.

Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2018
Nombre de lectures 1
EAN13 9782312065014
Langue Français

Extrait

Abidjan rodéo
Blandine Bricka
Abidjan rodéo
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-06501-4
C’est la contemplation silencieuse des atlas, à plat ventre sur le tapis, entre dix et treize ans, qui donne ainsi l’envie de tout planter là. Songez à des régions comme le Bamat , la Caspienne , le Cachemire , aux musiques qui résonnent, aux regards qu’on y croise, aux idées qui vous attendent…
Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons. Et on en trouve qui ne valent rien. La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse. Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait.
Thierry Vernet in L’Usage du Monde , Nicolas Bouvier, page 12
Il y aura d’abord eu pour moi, comme pour beaucoup, une famille. Du côté paternel, des Montpelliérains enracinés qui n’auront vu du monde que l’Argentine d’un voyage de noces, dont certains hériteront le droit d’avoir des autres en général et des Noirs en particulier une vision guère plus évoluée que celle de Tintin au Congo . Du côté maternel, des Lyonnais déracinés par l’engagement militaire de carrière du grand-père, appelé en Chine pendant la guerre, puis en Indochine , où naquit ma mère en 1950, puis au Sénégal , où naquit mon oncle, jusqu’aux Indépendances . Je passe mes étés au bord d’une piscine du Sud de la France , à apprendre à nager en écoutant ma grand-mère maternelle me raconter ses étés à Biarritz et à Nice , les pissaladières que l’on ne trouve nulle part ailleurs ; l’arrière-grand-mère qui porte la maladie comme un bijou ; et de temps à autre, les réminiscences des séances de pêche dans le port de Gorée , les courses d’enfants sur le sable des routes, les cancrelats, les boys, les fleurs d’hibiscus et ces bons Noirs qui ont la joie de vivre vissée au corps. Tout un imaginaire colonial en photos sépias : chapeaux aux larges bords, mon grand-père en tenue de plongée. Je grandis dans la nostalgie familiale de ces années inoubliables.
En 1992, marchant sur les pas de son frère qui a fait le voyage un an avant, ma mère décide d’aller revoir le Sénégal de son enfance, celui où elle a vécu de 2 à 6 ans, puis de 8 à 10 ans. J’ai 16 ans, les bagues aux dents et nous voilà partis en famille, mes parents, mon frère de 15 ans et moi pour un séjour sur la petite côte, où à une heure de Dakar pullulent hôtels et clubs de vacances pour Blancs en mal de soleil et d’exotisme à bon compte. Et là, choc, malaise et questionnements. J’ai beau toucher de mes pieds un bout de cette Afrique – globalité indifférenciée – qui, dans ma tête de lycéenne rime avec sous-développement, malnutrition, échanges non bilatéraux, guerres, famines, tout se passe comme si on voulait la tenir cachée derrière quelques tentures et girafes en raphia, agrémentées de masques, qui ne font en rien partie de la culture sénégalaise. Nous arrivons au milieu de la nuit à l’aéroport de Dakar. Une chaleur sèche nous cueille en plein mois de février. L’Afrique est là, qui se faufile dans le bâtis de l’aéroport : grands boubous, ventilateurs qui ânonnent, peaux qui s’assombrissent : blanc et noir ici ne fait plus gris. À la sortie de l’aéroport, j’ai le temps d’entrapercevoir la réalité africaine telle que l’école me l’avait décrite : des hommes araignées affairés, rampant au sol ou roulant sur des planches en quête d’une piécette. On s’entasse dans des mini-cars. Les bagages s’accumulent sur le toit. Il faut des heures pour les attacher. Je somnole, un œil ouvert sur ces scènes que je n’ai qu’à moitié envie de regarder et l’autre impatient de se fermer à cette heure si avancée de la nuit. Le lendemain matin, je m’éveille à l’aube dans un club pour Blancs, paillottes en silicone, maillots de bain au beurre de karité, cocktails de fruits frais, jeunes filles blondes qui se font tresser sur la plage, histoire de ramener de ce voyage autre chose que leur seul teint hâlé guère différent de celui de tous ceux qui pendant le même temps seront partis au ski. Accrochés à leur micro, les G.O. racontent des blagues et se trémoussent sur fond de radio nostalgie. Chaque jour, des guides sénégalais au sourire ultra-bright nous emmènent en excursions sur les sites touristiques des environs dans des 4*4 à ciel ouvert. Étendues sableuses à perte de vue, des routes, des pistes, des hommes montés sur des ânes ; des débuts de maisons en briques de béton arrêtées en pleine croissance pour une semi-éternité. Jour après jour, la scène se répète. Avant d’arriver au village, on fait halte dans une boutique du bord de la route où on achète bonbons et stylos « pour les enfants ». On arrête le 4*4 à l’orée du village, on met pied à terre ; les femmes accourent, serrent leur pagne et dansent des fesses sous le baobab ; les Blancs tapent des mains devant cet accueil si spontané ; on fait le tour du village ; on visite une case ; les enfants s’approchent et nous glissent dans la main un papier avec leur nom, prénom, âge, adresse et leur liste au Père Noël ; on remonte dans les 4*4 et dans la poussière du véhicule qui redémarre en trombe, on jette des poignées de bonbons et de stylos Bic aux petits qui se les arrachent en criant.
J’ai 16 ans et je suis révoltée. J’ignore alors l’existence d’un passé de zoos humains dans nos contrées civilisées. Mais ce que je vis là a quelque chose d’un safari humain dont j’ai honte.
B, mon amie d’enfance de deux ans mon aînée, a la chance d’avoir un père pilote de l’air et des billets d’avion à prix plus que réduits à une époque où le low cost n’existe pas encore. Elle parcourt le monde : Lituanie, Japon, Corfou et me ramène le récit de ses découvertes que je questionne des nuits entières. En 1994, elle a 20 ans, est élève ingénieur à Centrale Lyon, fait partie du groupe Ingénieurs sans frontière et part un mois dans le village sénégalais de Missira Baboké, à quelques kilomètres de Tambakounda au centre du pays pour s’occuper de la mise en place d’un moulin à mil. Soudain, ce monde tellement lointain se rapproche. Nous vivons sur la même planète, nous respirons le même air et avons grandi ensemble. Si elle a pu aller seule jusque là-bas, alors pourquoi pas moi ?
L’année suivante, la mission continue et je suis du voyage. Non sans un combat acharné contre ma famille, qui regarde d’un mauvais œil ce désir d’aller regarder de l’autre côté du rideau. Ma mère médecin, affolée de me voir partir, me demande pourquoi je lui fais ça, comme si c’était d’elle dont il était question dans mon envie de découvrir le monde. Je travaille pour me payer le billet et à défaut de pouvoir m’attacher pour m’empêcher de partir, ma mère me leste d’un sac entier de médicaments à même de soigner toutes les maladies de la terre. Je saurai plus tard que sa principale hantise est que je me fasse kidnapper et violer. Sûr que c’est le destin de toutes les jeunes filles qui voyagent de par ces contrées sauvages ! Et il n’y a guère de médicaments pour protéger contre ça.
Août 1995. Je retrouve Dakar . De nuit toujours, mais cette fois par une chaleur moite. B. et G., son ami, partis un mois avant moi, m’accueillent à l’aéroport. Nous traversons la ville en taxi et finissons à pied, dans le sable pour arriver à la chambre sordide où nous devons passer la nuit. Au petit matin, nous partons pour Tambacounda , au centre du pays.
Je n’ai guère de souvenir de ce voyage. Quelques uns du séjour au village de Missira Baboké, d’heures passées à ne rien faire sur la natte, en compagnie de notre hôte, dont j’ai oublié le nom mais pas la silhouette haute et élancée et de son fils Baba, âgé d’à peine trois ans et d’une beauté malicieuse. Je me souviens du mafé (sauce arachide) qu’on nous sert tous les midis et que je finis par ne plus manger tellement je trouve ça mauvais, et du couscous sauce feuille du soir que je préfère. De la lecture de l’Espoir de Malraux, au progr

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