Demain, je saute
67 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Demain, je saute , livre ebook

-

67 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Le combat quotidien que représente le métier d'enseignant.

C'est une expérience vécue de l'intérieur que propose la narratrice avec un regard tendre, amusé mais aussi parfois empreint d'une lucidité désespérée. Un rapport tendu à un métier, celui d'enseignant, qu'elle ne veut pas quitter et qui, pourtant, à un moment de sa vie la place face à une urgence : celle de tourner la page.

Ce roman témoignage dresse avec beaucoup d'humour une galerie de portraits et de situations plus vrais que nature !

EXTRAIT

– M’dame, je dois appeler ma mère, c’est urgent, dit-il en brandissant son portable.
– Tu sais très bien que je ne peux pas te donner cette autorisation sans l’autorisation du bureau de la vie scolaire.
– C’est juste un petit coup de fil. Pour une fois, vous pouvez bien fermer les yeux m’dame !
Le petit salaud cherche à me mettre dans sa poche par-dessus le marché. Les messages urgents, je connais. Il s’agit sûrement d’un rencard avec sa copine au Mac Do du coin à midi.

Je résiste.
– Non Nelson. S’il s’agit d’une véritable urgence, tu vas demander la permission et tu l’obtiendras sans problème.
Changement de tactique. Il bat en retraite et va s’installer au fond de la salle. Un peu surprise par ce revirement, je reste sur mes gardes.
Non sans raison.
Dix minutes de cours s’écoulent et tout à coup je n’en crois pas mes yeux, Nelson est en train de passer un SMS sans même vraiment se cacher.
– Je rêve Nelson ! Qu’est-ce que je t’ai dit ?
– Vous ne m’avez pas autorisé à passer un coup de fil m’dame, alors je passe un SMS.
Rire de ses quatre acolytes qui la trouvent bien bonne.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeure en lycée professionnel, Kolka a expérimenté, en compagnie d'un animateur qualifié, des ateliers d'écriture avec les élèves dont elle avait la charge. Puis elle a pratiqué cette activité pour son compte personnel durant plusieurs années. Sa pratique s'est affirmée avec la rédaction de nombreuses nouvelles ainsi que l'adaptation et la publication chez Gallimard jeunesse de L'Epopée du Roi singe. Demain, je saute est le deuxième livre qu'elle publie dans le cadre cette fois-ci de l'autoédition.

Informations

Publié par
Date de parution 29 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9791023604023
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0010€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

KOLKA
DEMAIN, JE SAUTE



« Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin »
– Aragon, Ballade de celui qui chanta dans les supplices


C’est peut-être ma dernière année. Dans onze mois, je serai libérée.
Un dimanche après-midi, fin août. Une chaleur oppressante enferme la ville dans un carcan. À la gare centrale, ambiance encore plus pesante avec le va-et-vient du dimanche soir : roulement des valises de ceux qui partent ou qui rentrent, odeur âcre et graisseuse des rails et de l’asphalte surchauffée.
Je rentre de vacances et j’ai hâte de quitter ce lieu.
Dernière étape avant la sortie sur le boulevard qui longe la gare, la descente de l’escalator. Une rumeur me fait tourner la tête. La prison est là sur ma gauche. Me parviennent les appels des détenus que je devine derrière les barreaux.
Des mains s’accrochent ou essaient de jeter quelque chose dans le terrain vague situé devant le mur de la prison. Aux fenêtres, sont suspendus des lambeaux d’étoffe.
Dans ma tête : le lycée professionnel, ses fenêtres à barreaux au rez-de-chaussée, ses couloirs trop étroits où hurlent et se bousculent des grappes d’élèves.


Officiellement, l’Éducation nationale me rend ma liberté. Je peux prendre ma retraite à la fin de l’année scolaire qui va bientôt commencer.
Les grandes vacances à perpétuité.
Les jours où la fatigue et le découragement me mettent k.-o. je n’aspire qu’à ça. À d’autres moments, l’idée de faire le deuil de mon métier est hors-champ. Pire : inconcevable. Je me dérobe à la seule porte de sortie raisonnable pour m’aventurer dans cette zone d’insécurité où le bord du précipice n’est jamais très loin et me jeter, tête la première, dans une crise d’angoisse qui remue de douloureux souvenirs.
L’enterrement de ma mère par un jour froid de janvier est celui qui m’est le plus insupportable.


Je revois la crémation, le cercueil qui disparaît. Rien, il ne reste rien de celle qui m’a tant aimée sinon cette urne dérisoire dont je ne sais que faire.
Le lendemain, je suis étendue sur mon lit, épuisée après sept heures de cours. Je ferme les yeux à la recherche du sommeil qui m’a fui les nuits précédentes. Au rez-de-chaussée, j’entends la porte d’entrée s’ouvrir. C’est mon fils Olivier qui rentre du lycée. Coup de fil, il décroche. Au son de sa voix, je devine qu’il s’agit d’un familier. Je me lève et au moment où je vais franchir la porte de ma chambre, j’entends ces paroles :
– … Elle vient de perdre sa mère. Hier, c’était l’enterrement et ça a été terrible. Je crois qu’il vaut mieux que tu la rappelles dans une quinzaine quand le gros du choc sera passé.
Je reste figée sur le palier.
Mon fils vient d’avoir dix-sept ans. Ce soir, c’est lui l’adulte et moi l’enfant.


Le mois de septembre est radieux. L’année s’annonce sous de bons auspices.
Profitons-en.
Premier cours de français avec les bacs pro option comptabilité, une classe qui n’a pas l’air facile et avec laquelle il va falloir jouer serré. On va commencer par un « micro-trottoir » par écrit. En début d’année, ça marche toujours. Pas encore le réflexe défensif contre le prof ou contre ceux ou celles dont on se méfie.
J’attaque de façon frontale :
– Pour toi la rentrée, c’est quoi ?
– Pour moi la rentrée, c’est arriver un peu paumé. Pour moi la rentrée, c’est avoir le dos plié ! a écrit Valentin.
Tu n’es pas le seul. Écoutons ce qu’a écrit ta copine Morgane.
– Pour moi la rentrée, c’est avant tout la fin des vacances. Le retour au lycée la mort dans l’âme. Et la sonnerie de mon réveille-matin que je déteste !
Le traumatisme du réveil matinal, Camille n’y échappe pas non plus sauf quand elle « oublie » carrément de venir au lycée. Aujourd’hui elle est pleine de bonnes résolutions et n’hésite pas à écrire :
« Vite, vite, on est partis tout endormis. C’est la rentrée, pas de panne d’oreiller. »
Bravo Camille. Pourvu que ça dure.
Un temps de pause.
On reprend son souffle avant d’aller plus loin dans cette libération des émotions mais aussi dans ce florilège de rêves, de souhaits, de désirs inaboutis :
– Cette année, j’aimerais commencer à travailler. Cette année, j’aimerais ne plus batailler.
C’est Dimitri le bougon qui fait cette confidence. Élisa ajoute :
– Cette année, j’aimerais finir les livres que je commence à lire.
Innocent, comme toujours, essaie de se singulariser aux yeux de ses camarades :
– Cette année, j’aimerais chasser mes vieux démons.
Quand on s’appelle Innocent…
C’est Valérie qui aura le mot de la fin sur ces souhaits de début d’année :
– Cette année, j’aimerais tout simplement être surprise.
Résister à l’usure, à l’ennui, aux brisures.
Retrouver cette douce palpitation du plaisir.
J’en rêve aussi.
Pour clore ce tour d’horizon, une dernière question assassine :
– Pour toi la vraie vie, c’est quoi ?
Ils me regardent surpris puis se lancent dans l’écriture.
Camille, après avoir mâchouillé le bout de son crayon, se jette à l’eau la première :
– Pour moi la vraie vie, c’est la mienne.
À l’autre bout de la classe, Alexis, le torse bombé et la mine rigolarde, déclare d’une voix forte :
– Pour moi la vraie vie, c’est l’amour, le rire, les filles et le rêve !
Jordi son rival dans les succès féminins n’est pas en reste :
– Pour moi la vraie vie, c’est un incendie !
Et joignant le geste à la parole, il mime avec ses deux mains une explosion.
En point d’orgue et comme pour calmer cette surenchère, Gwanaëlle déclare :
– Pour moi la vraie vie, c’est savoir d’où l’on vient et où l’on va.
Le silence se fait. Gwanaëlle la mutique aura le mot de la fin. Elle qui, d’habitude, vous regarde droit dans les yeux sans ciller une seconde et sans qu’on sache vraiment si elle a envie de vous flinguer à bout portant ou si elle cherche désespérément un vrai contact, s’est exprimée avec une clarté et une assurance qui a surpris tout le monde.
Ils ont bien joué le jeu. À la loyale, sans hésiter à entrer dans des territoires où ils n’ont pas l’habitude de s’aventurer et où je ne les emmène pas non plus.
Je sais que pour certains, cela changera sans doute le regard qu’ils porteront sur moi, sur les moments moins folichons que nous passerons ensemble. Et peut-être qu’alors surgira dans leur mémoire ce moment de complicité partagé.


L’euphorie de ce début d’année n’arrive pas à me faire oublier le mal-être dans lequel je m’englue depuis le début septembre.
L’idée de ranger définitivement mon cartable dans le placard à la fin de l’année, m’angoisse.
Ce n’est pas tout. Un cyclone dévastateur se profile à l’horizon de ma vie personnelle. Celui qui partage ma vie depuis vingt-cinq ans va sans doute me quitter. Les signes avant-coureurs sont là : évitements des regards, silences, mensonges, fuites. Je ne peux plus fermer les yeux.
Mais une nouvelle année scolaire s’ouvre devant moi et je dois y faire face. Je n’ai pas le choix.
Donner le change, faire bonne figure devant la famille, les collègues, les élèves, c’est trop lourd pour moi, je vais craquer. C’est ce que je me dis, la nuit, lorsque je cherche en vain le sommeil.


Les « bofs » – c’est ainsi que je les surnomme – ont toutes le même look : maquillage outrancier, air blasé, shorts ultra moulants, tee-shirts dégageant généreusement leur poitrine, le tout dans des couleurs bigarrées qui se bousculent et se disputent la première place.
Accoutrement pas toujours en accord ni avec leur silhouette encombrée par les kilos en trop ni avec la situation. Aller en cours ou en discothèque pour elles c’est du pareil au même. Il s’agit avant tout d’être regardées.
Elles arpentent les couloirs du lycée, perchées sur leurs hauts talons, deux ou trois de front. Malheur à celui qui arrive en face. Il ne lui reste plus qu’à se coller prudemment le long du mur s’il ne veut pas se heurter au grand sac fourre-tout qui ne les quitte jamais.
Je les regarde, elles non. Elles ne me voient même pas tant elles cultivent une mono passion : la chasse aux mâles. Eux seuls peuvent leur faire quitter cet air morne qui fige leur visage et accrocher un vague sourire sur leurs lèvres. Eux seuls peuvent déclencher tout à coup des gloussements en catimini, des œillades bien appuyées et une cascade de rires cacophoniques.
Elles m’agacent.
Combien d’années de combats féministes pour que ces petites nanas ne s’intéressent qu’à une chose : la couleur de leur eye-liner ou celle de leur rouge à lèvres. Pas d’autre quête que celle du beau mâle

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents