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Description
Sujets
Informations
Publié par | Le Lys Bleu Éditions |
Date de parution | 14 octobre 2019 |
Nombre de lectures | 12 |
EAN13 | 9791037701435 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0020€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Benoit Asselin
La mue des anges
Roman
© Lys Bleu Éditions – Benoit Asselin
ISBN : 979-10-377-0143-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Crédit photo Éric Gourdon
Du même auteur :
La Colombe de Sang
Le Dompteur de Lions et son Balai Japonais
Le Vertige de l’Oiseau
Les Versants d’Épilobes
Trop petit pour me prendre au sérieux
Trop sérieux pour faire le jeu des grands
Assez grand pour affronter la vie
Trop petit pour être malheureux
Jacques Higelin 1940-2018
1
La naissance
Baby-boom
À la suite de la deuxième Grande Guerre, les jeunes se marient à vingt ans et se reproduisent allègrement dans le plus grand respect des préceptes catholiques, avec la bénédiction de Monsieur le Curé. Les nouveaux mariés génèrent ainsi une explosion de rejetons tout comme la multiplication des pains sur la colline de Tibériade, selon le récit des apôtres.
Les pères sont comblés de bonheur par ce « baby-boom » et les paroisses nouvellement fondées autour de Montréal sont tout aussi heureuses de remplir à ras bord leurs bénitiers par un nouveau roulement de baptêmes. Les jeunes mamans, elles, veillent à rassurer la descendance dans l’obscurité de la nuit et réconfortent le nouveau-né pleurnichard récemment soustrait de la chaleur maternelle. Le geste singulier du mariage, celui qui permettait aux jeunes filles des années cinquante de se soustraire de l’esprit sans nuances qui planait autour de l’autorité paternelle, ce modèle à nouveau autour d’elles par des responsabilités maritales, celles destinées à la maternité et aux obligations familiales. Le bon mari, lui, se dégage de ces futilités organisationnelles et a toute autorité dans sa maison, souverain sur sa femme et sur ses enfants.
Ancrés solidement dans le conformisme généralisé, les hommes s’activent pleinement à relever chaque jour de nouveaux défis pour une meilleure reconnaissance professionnelle de leur carrière, alors que les femmes s’accommodent, tant bien que mal, du trône impérial que les conventions offrent gratuitement à la reine du foyer.
Presque circonscrit aux tâches ménagères, ma mère tente de rompre avec les conditions prescrites par la majorité des hommes. Devant son mari, elle soutient librement sa volonté de bénéficier des droits de la femme en lui soumettant l’importance de leur rôle dans la société tout en maintenant ses tâches quotidiennes, celles du lavage, du repassage, de l’éducation des enfants et de la préparation quotidienne des repas. Ma mère, comme bien d’autres de ses amies, s’est mariée à vingt ans dans le respect des règles et des lois, mais surtout et impérativement, sous le regard paternaliste de la sainte Église. Bien que l’amour de cette femme pour son mari soit inébranlable, la notion d’égalité sociale et de liberté individuelle pour les femmes la grise d’ambition.
***
Ma naissance est survenue lors d’une des plus belles journées de la Révolution tranquille ; tout au début d’un recul significatif du dogme catholique et de l’emprise religieuse sur ses fidèles. Ce fut un recul modéré, mais un recul tout de même. Un recul attribuable aux discours lumineux des intellectuels progressistes, à l’effervescence politique de la population pour le patriotisme québécois et à l’initiation, quoiqu’encore timide, de la laïcité de ses institutions.
Lors de cette période charnière entre la grande noirceur du pouvoir ecclésiastique et la lumineuse bonne foi des fidèles pratiquants, mes parents, sans être les plus réformistes de leur génération, ont alors saisi mieux que quiconque, que le conservatisme moral lié à la famille traditionnelle allait changer pour des règles plus libérales pour la nouvelle famille nucléaire. Enfin, je suis apparu dans les premiers mois de la décennie 1960. Je suis le benjamin d’une famille de garçons.
À neuf mois, je m’acclimate à une nouvelle maison. Une maison neuve. Je suis né lors de la création des premières véritables banlieues dans le cercle rapproché de l’île de Montréal. J’ai donc passé ma jeunesse dans une cité-dortoir construite de maisons unifamiliales, toutes quasi identiques, pour le nouvel essor de la bourgeoisie francophone. C’est une banlieue sans fioritures particulières, lotie en quartier, reliée par les voies modernes de l’aqueduc.
La forte croissance des banlieues est jumelée au dépeuplement graduel d’une vaste région rurale considérée comme largement agricole. C’est un environnement en déséquilibre si l’on considère les boisés naturels de mon enfance bousculés par le travail incessant du débroussaillage, tandis que les terres encore cultivables sont mesurées et nivelées pour la venue de nouvelles fondations. Ainsi, des hectares et des hectares de forêts et de terres noires sont cédés à de riches promoteurs par des cultivateurs maraîchers copieusement récompensés.
***
Notre maison neuve a aussi une cour toute neuve. Une grande cour engazonnée ceinturée par des arbres plantés dans chacun de ses coins. Mon père a conservé le centre du terrain libre pour que l’on puisse s’en servir comme terrain de jeux. Il préfère de loin offrir son terrain à tous les enfants du quartier plutôt que de chercher à savoir où sont rendus les siens. Le centre de la cour est traversé par une longue corde à linge. Une corde utile pour faire sécher la lessive, mais aussi une corde pour m’attacher, pour éviter que je m’éclipse discrètement entre deux brassées de linge prêtes à suspendre au soleil. Je suis relié à la corde à linge par une laisse et un harnais qui m’empêche d’explorer l’environnement librement. Mes frères aînés profitent de l’occasion pour m’empoisonner l’existence parce que je ne peux pas agir sur eux, pour les chauffer. Au bout d’une saison, on m’a finalement libéré de mon attache.
Ma première véritable escapade s’inscrit dans une fugue en solitaire. Stable sur mon vélo aux poignées mustang chromées et au siège banane coloré de flocons fluorescents, je pédale comme un fou. Je fuis la maison à toute vitesse pour éviter encore une sombre volée de coups fratricides. Pour disparaître de la maison, je roule pendant un long moment en empruntant une rue inconnue, jusqu’à l