La lecture à portée de main
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Description
Informations
Publié par | Nouvelle Cité |
Date de parution | 15 février 2018 |
Nombre de lectures | 3 |
EAN13 | 9782853139717 |
Langue | Français |
Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.
Extrait
Françoise Evenou
La Rencontre
nouvelle cité
Composition : Pauline Wallet
Couverture : Laure d’Amécourt
Illustration de couverture :
p. 1, photo de l’auteur
© Philippe Èvenou
© Nouvelle Cité 2015, pour l’édition papier
© Nouvelle Cité 2015, pour l’édition électronique
Domaine d’Arny
91680 Bruyères-le-Châtel
www.nouvellecite.fr
ISBN 9782853137652
À tous ceux qui cherchent…
« Demandez, et on vous donnera ;
Cherchez, et vous trouverez ;
Frappez et on vous ouvrira. »
Matthieu 7,7
Sommaire
C’est l’heure
Le souterrain
Encore une fois
Le magicien
La quête
La porte intérieure
La Rencontre
La découverte du trésor
La voie des hommes
Le jardin de Gethsémani
Le passage
En chemin
Épilogue et remerciements
Notes
Fin
A ujourd’hui, dimanche de Pâques, dans le compartiment du train qui me ramène à Paris, je te souris. Je souris car je mesure le chemin parcouru depuis ce jour, où je frappais, hagarde, à ta porte.
Te rappelles-tu combien j’étais dévastée par ce cyclone imprévisible, brutal, qui avait surgi à l’aube de ma quarantaine ?
Quelle détresse intérieure lorsqu’on vit cette crise existentielle au midi de sa vie !
Te souviens-tu de ce qui s’est passé ?
C’est l’heure
J e me dirige à pas pressés vers sa chambre. Pour la cinquième fois cette semaine, je longe ce long corridor, éclairé d’une terne lumière. Je compte une porte, puis une autre, je tourne à droite, j’emprunte un autre couloir plus étroit, situé au bout de l’aile de ce vaste édifice. Ça y est, j’y suis. Je frappe doucement et, sans attendre de réponse, j’entre.
Il est là, allongé sur son lit. Méconnaissable. Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Le corps très amaigri, comme desséché ; la peau translucide tendue sur ses muscles atrophiés ; les yeux fermés, l’esprit prêt à quitter ce corps déjà froid et inerte. Un corps naufragé sur les rives de la vie. Seul un mince souffle le relie encore au monde des vivants.
Je m’assois à côté de lui et lui prends doucement la main. Est-ce pour lui faire sentir ma présence, tenter de le rassurer dans cette ultime épreuve ? Ou juste pour moi ? Pour tenir encore une fois la main de cet homme, fort et courageux : mon père. Jusqu’au bout il aura combattu ce terrible mal qui l’a rongé de l’intérieur, inexorablement, semaines après semaines, durant dix-huit mois. Vaillamment. Comme il l’avait toujours fait. Cette fois, le combat est terminé.
Oh ! le souvenir brûlant dans mon cœur de cet épisode où, trois mois plus tôt, malgré sa grande faiblesse, je lui ai proposé de faire une petite promenade ; il aimait tant marcher. Il avait dit oui, heureux, et nous avions cheminé ensemble, sous un beau soleil, à son rythme, doucement, nous arrêtant de nombreuses fois, et je l’encourageais toujours à faire quelques pas de plus. Il parlait peu, comme toujours, préférant savourer l’instant présent, faire corps avec la nature, préférant l’action aux belles paroles. Au bout d’un moment, il m’a dit : « Rentrons ! Je suis épuisé. Tu exagères, Françoise ! Tu ne te rends pas compte : nous sommes allés trop loin ! » Oui, c’était vrai, il était livide, le masque jaune de la mort recouvrait son visage mais dans ses yeux brillaient une telle fierté, une grande joie d’avoir encore eu la force de faire cette marche qui m’avait semblé pourtant si courte, mais qui pour lui avait duré une éternité. Et c’est là qu’il m’a confié : « Tout est en ordre. Maintenant, mon dernier souhait serait de quitter ce monde dignement. » Dignement, comme il avait vécu sa vie. Oui, cet homme qui avait incarné, dans tous ses actes, cette si noble valeur, la bravoure, exprimait cet ultime vœu. Que pouvais-je dire alors ? Attendait-il d’ailleurs une réponse ?
Dans cette chambre aseptisée d’une clinique de la région parisienne, j’entends encore sa respiration, régulière, calme, résignée. Pour la première fois, je vois la mort de près. Elle rôde, froide, silencieuse et l’encercle de toutes parts. Elle attend, sûre d’elle. Elle ne se cache même plus, à quoi bon ? Elle sait qu’elle finit toujours par l’emporter. Et je me sens impuissante en caressant cette main fripée, sans vie. Sa main qui avait tenu la mienne toute ma vie.
Il mourra trois heures plus tard. Dans la nuit.
Je suis rentrée chez moi. Dehors, les flocons de neige s’écrasaient sur le sol dépouillé. Les branches noires des arbres centenaires frémissaient dans un ultime sursaut, avant de se raidir, tels de longs bras noueux implorant le ciel.
Un silence immaculé recouvrait la terre. Un immense sentiment de solitude m’envahissait. Un vide effrayant se creusait en moi et, brutalement, le temps s’est arrêté. Immobile, je me tenais en équilibre au bord de ce trou béant. C’est là que tout a vacillé.
Ainsi s’achève la vie d’un homme : un corps, enfermé dans un cercueil recouvert de couronnes, emporté vers une tombe, accompagné des pleurs de l’amour des siens. Un éloge funèbre et puis la descente silencieuse dans les profondeurs de la terre. Que sont devenues l’ardeur de son corps, la vivacité de son esprit ? Où est-il ?
Je prends douloureusement conscience de la finitude de notre vie. La mort devient pour moi une réalité brutale. Une certitude, implacable. Je vivais jusque-là comme si je devais toujours vivre. Et soudainement, ces grandes questions de l’existence se sont dressées en rangs serrés devant moi. Pourquoi ce mystère de la mort plane-t-il sur nos vies ? Quel est donc le sens de la vie si c’est le néant qui nous attend ? C’est quoi, vivre ?
J’étais à ce moment de ma vie où le soleil, à son zénith, brille de tous ses feux. Tu le sais, je suis née sous une bonne étoile. J’étais comblée : un mari aimant, de beaux enfants, un travail épanouissant. Je venais d’intégrer une grande entreprise et cette promotion m’offrait la possibilité d’exprimer ma nature fougueuse, de transmettre mon énergie communicative. D’aussi loin que je m’en souvienne, la réalisation professionnelle a été un puissant moteur de ma vie. J’étais ambitieuse. J’avais ce désir de faire de belles et grandes choses, d’imprimer sur le monde mon intériorité la plus profonde, d’exprimer avec éclat ma singularité.
Comme je l’aimais, ma vie ! Partant dès le matin toute pimpante, je déposais mes enfants à l’école ; vite, vite, un dernier baiser, et puis encore un petit signe de la main et, le regard attendri s’attardant dans le rétroviseur, je reprenais le volant vers cette nouvelle journée qui s’annonçait palpitante, tissée de nouvelles rencontres, de projets à défendre, de décisions à prendre. Le soir, je me dépêchais de rentrer, pour retrouver la chaleur de mon cocon familial, à l’abri du tumulte parisien. J’avais tout. Que de bonheurs, d’amitiés, d’amours, de réussites : quelle chance !
Et pourtant, à la mort de mon père, je me sens désemparée, démunie devant ce modèle de vie qui disparaît. C’était un homme libre, un homme fort. De ceux qui font ce qu’ils disent, qui vivent ce qu’ils pensent. La sécurité affective garantie à vie. Des valeurs invulnérables.
J’avais passé toutes ces années à construire un « moi » efficace : croire en mes capacités, développer mes talents, tenir mes engagements, pour me sentir forte et tenir tête à la vie… Et c’est alors que ma forteresse, qui avait tellement bien résisté jusque-là – quelques petites éraflures oui, mais toutes bien vite colmatées, oubliées –, se fissure à présent de toutes parts.
Les fondations tremblent, le ciel se déchire, sa plainte emportant mes certitudes, mes illusions. Bientôt un épais brouillard recouvre tout, même les luminaires au firmament du ciel, la lune et les étoiles.
J’ai 38 ans.
Le souterrain
I l est minuit. La maison est silencieuse. Allongée sur le canapé, je lis les Pensées de Marc Aurèle 1 , un crayon à la main. Depuis quelques semaines, je me réfugie auprès de ces grands penseurs grecs de l’Antiquité, de Socrate aux stoïciens, Sénèque, Épictète… Qu’est-c