Mon greffon s appelle Godot
54 pages
Français

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Mon greffon s'appelle Godot , livre ebook

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54 pages
Français

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Description

Atteinte de mucoviscidose, l'auteure fut hospitalisée il y a quelques années dans le service de pneumologie de l'hôpital de Lyon pour un bilan en vue d'une greffe de poumons. Tout en regardant les photos de chamois et de fleurs des Alpes accrochées au mur pour évoquer l'air pur des montagnes à des patients en état d'insuffisance respiratoire, elle se demandait par quel prodige elle allait se retrouver un jour dans la catégorie des gens qui respirent sans y penser. Ce livre est le récit de l'attente de cette greffe.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 avril 2020
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336898216
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Titre

Liselotte Emery




Mon greffon s’appelle Godot

R ÉCIT


*
Copyright












© L’Harmattan, 2020
5-7, rue de l’École-Polytechnique ‒ 75005 Paris
https://www.editions-harmattan.fr/
EAN Epub : 978-2-336-89821-6
« Évidemment […], vous connaissez ces problèmes, vous avez lu, vous avez du savoir, mais ces questions me secouent, elles sont vivantes pour moi. Pour vous, ces problèmes ne sont que de la culture. Vous ne vous réveillez pas tous les jours dans l’angoisse à vous demander quelles sont les réponses, à vous dire qu’il n’y a pas de réponses. Mais vous savez que tout le monde s’est posé ces questions. Vous savez qu’on n’y a jamais répondu, et qu’on ne peut y répondre. […] Mais oui, pour vous ce n’est que de la culture. On a cultivé le désespoir, on en a fait de la littérature, des œuvres d’art. Cela ne m’aide pas. […] Tant mieux pour vous si la culture a pu conjurer le drame de l’homme, la tragédie.»
E UGÈNE I ONESCO , Le Solitaire
« Don’t think twice, it’s all right. »
B OB D YLAN
Prologue
La première fois que j’ai entendu parler de kintsugi, c’était en janvier 2016. J’étais hospitalisée dans le service de pneumologie de l’hôpital de Lyon pour un bilan en vue d’une greffe de poumons et cette perspective encore lointaine me dépassait complètement. Tout en regardant les photos de chamois et de fleurs des Alpes accrochées au mur pour évoquer l’air pur des montagnes à des patients en état d’insuffisance respiratoire, je me demandais par quel prodige j’allais me retrouver un jour dans la catégorie des gens qui respirent sans y penser.
J’en parlais depuis cinq mois avec l’équipe médicale, mais cette greffe me paraissait pourtant encore tout à fait irréelle. D’un côté, j’avais la trouille de l’inconnu, de la souffrance et du néant, de l’autre je ressentais un immense soulagement à l’idée de me savoir un jour délivrée. Ma légendaire inaptitude à l’abstraction me rendait absolument incapable d’imaginer que ça allait bien m’arriver à moi, un jour ou l’autre, qu’il allait réellement se produire cette chose vertigineuse : j’allais recevoir de nouveaux poumons.
À la suite de ce bilan, le médecin m’a confirmé ce que je pressentais : que j’allais encore trop bien pour être inscrite sur la liste d’attente et qu’on referait le point dans l’été. J’avais six mois de sursis.
Novembre 2016
« Any day now, any day now, I shall be released. »
B OB D YLAN
Le 7 novembre 1983, l’année de ma naissance, le chirurgien Joel Cooper a pratiqué à Toronto la première transplantation pulmonaire humaine réussie au monde après quarante-quatre essais infructueux menés par diverses équipes depuis les années soixante. J’avais sept mois, dont quatre passés à l’hôpital : à la naissance, j’avais été opérée en urgence pour une occlusion intestinale due à la mucoviscidose, et qui avait donné lieu à plusieurs complications postopératoires. À cette époque, l’espérance de vie pour les patients atteints de cette maladie, les « mucos », était d’environ vingt-cinq ans.
Par un hasard du calendrier, c’est également un 7 novembre que j’ai signé l’inscription sur la liste d’attente pour la greffe. Trente-trois ans exactement après l’exploit de Joel Cooper, à l’issue duquel le patient avait tout de même survécu six ans. Il faut croire que le summum de l’élégance, quand on sauve des vies, c’est de porter en prime le nom d’une superstar américaine.
Je commence à bien le connaître, ce service de pneumo. Et pourtant, quand je suis arrivée avec Damien dans le petit bureau de l’infirmière coordinatrice pour signer l’inscription, j’ai éprouvé une espèce d’appréhension, peut-être le trac, bêtement. Pas le même que lorsque j’entre sur scène pour un concert, mais plutôt une émotion soudaine à cause du côté solennel de la signature. La plupart du temps, dans les moments protocolaires, même les plus heureux, on a affaire à des types compassés et obséquieux en costume sombre, alors que là, ça n’avait rien à voir, c’était juste Amélie dans sa blouse blanche, toujours souriante et optimiste, dans le décor malheureusement si familier d’un couloir et d’un bureau d’hôpital. Ça n’a pas tout à fait suffi à me détendre, mais quoi qu’il en soit j’ai signé l’inscription pour la greffe. Mon arrêt de vie, en quelque sorte. Ça n’a jamais été si tangible, et cependant, ça reste assez abstrait, tout ça. Sur le moment, j’ai essayé d’être présente, attentive, mais c’était difficile, j’étais ailleurs et il se passait trop de choses à la fois dans ma tête. Dans l’état où j’étais, Amélie aurait aussi bien pu me faire signer un devis pour le remplacement de toute la robinetterie du service de pneumo.
C’est une partie de moi qui a signé les paperasses, et une autre qui tentait de se concentrer sur ce qu’elle me racontait. Elle a récapitulé les conditions comme si c’était la routine. Pour elle, d’ailleurs, c’est la routine. Les statistiques de survie post-greffe, la décharge de responsabilité si ça rate… et le programme de recherche concernant l’influence des facteurs cliniques et biologiques sur la dysfonction du greffon, est-ce que je suis d’accord pour participer ? Euh, oui, non… mettons oui, pour la recherche, allez, un beau geste pour la science, mais en réalité, j’en avais rien à carrer, j’étais là pour jouer ma survie, moi, est-ce qu’elle s’en rendait compte ? Les protocoles de recherche thérapeutique, franchement, c’était bien le dernier de mes soucis, l’enjeu était ailleurs et il était phénoménal.
Si on veut être rigoureux, ce que j’ai signé n’est pas l’inscription sur la liste à proprement parler ; ça, l’hôpital s’en chargera dans quelques jours. J’ai déclaré sur l’honneur ne pas être déjà inscrite dans un autre centre hospitalier qui pratique des greffes pulmonaires. Pour ne pas multiplier mes chances, puisqu’il y a pénurie de greffons. Alors pardon, mais pour s’inscrire dans plusieurs centres, faudrait être vraiment motivé, si je peux me permettre. C’est déjà assez compliqué comme ça d’attendre à un seul endroit à la fois. Je ne suis inscrite nulle part ailleurs, et j’ai signé. Cette fois, ça ne peut qu’arriver, mais c’est encore irréel. Je suis en proie à mille sentiments confus mêlant l’incertitude du lendemain et l’excitation puérile à la seule idée de pouvoir courir un jour.
Je suis huitième sur la liste d’attente à Lyon pour mon groupe sanguin. Autant dire que ça ne va probablement pas arriver dans les deux semaines, ni même dans les deux mois. Ils m’ont dit de ne pas avoir trop d’espoir que ça arrive avant six mois, mais on ne peut jamais savoir. Je dois rester joignable en permanence, jour et nuit, ce qui suppose que j’adopte comme une seconde nature le comportement compulsif et anxieux des gens obnubilés par la qualité du réseau téléphonique cellulaire et le degré de charge de la batterie de leur portable. Au moment de l’appel, j’ai trois heures maximum pour arriver à l’hôpital. À partir d’aujourd’hui, chaque jour va ressembler au précédent, ou presque. Je vais avoir du temps pour surmonter mes craintes, me soigner, m’ennuyer ferme et tourner en rond.
J’ai arrêté de travailler il y a un peu plus d’un mois. Cet été, j’ai travaillé beaucoup, beaucoup trop sans doute, et je ne sais par quel prodige j’ai réussi à jouer du cornet à bouquin dans l’état où j’étais. Ma vie entière était à l’économie, chaque geste était compté dans un seul but : avoir assez d’énergie pour assurer le dernier concert du mois d’août, que j’ai dû jouer assise pour arriver au bout. Depuis un petit moment déjà, à la maison, la présence de Damien était devenue précieuse : il me soutenait, me facilitait la vie et supportait ma tête, ma toux et mon côté bougon au réveil (et pas qu’au réveil). Dans mon métier, la plupart

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