Tout le monde est infidèle
42 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Tout le monde est infidèle , livre ebook

42 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Sagan en roue libre.





Je me suis bien amusé, Françoise aussi. Elle n'avait exigé que d'être elle-même.
Elle n'a pas fait étalage de sa culture.
Elle a été sobre, inattendue, drôle. J'ai été son premier spectateur, gâté par cette représentation et privilégié de quelques propos mais, comme toujours, c'est la fin qui est terrible : pourquoi va-t-on lui reprendre brutalement sans avertir ce qu'elle a mis des années à gagner ? Elle n'a pas signalé aux grands de ce monde qu'elle n'était pas contente. Mais, même pour ça, elle trouve le mot pour rire :
" Parce que je trouve strictement dégoûtant de mourir un jour. Ça me dégoûte, l'idée que je vais mourir un jour, que les gens que j'aime vont mourir un jour. Je trouve ça infect, sincèrement, je ne trouve pas ça bien. Ce n'est pas convenable. On vous met sur la terre avec une machine à penser qui est votre cerveau. On vous donne plein de cadeaux qui sont la vie, les arbres, le soleil, les printemps, les automnes, les autres, les enfants, les chiens, les chats, tout ce que vous voulez... Et après, on vous dit... On sait qu'un jour on va vous enlever tout ça... C'est pas gentil, c'est pas bien, c'est pas honnête. (Rires.) Si vous voulez mon avis, mon désespoir vient de ça en grande partie, enfin quand j'en ai... Et puis c'est tout. "


A. H. (extrait de la préface)





Informations

Publié par
Date de parution 18 octobre 2012
Nombre de lectures 80
EAN13 9782749118994
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0071€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Françoise Sagan

TOUT LE MONDE
EST INFIDÈLE

Entretiens avec André Halimi

COLLECTION DOCUMENTS

image

Couverture : Studio Chine.
Photo de couverture : © Denis WESTHOFF/GAMMA.

© le cherche midi, 2012
23, rue du Cherche-Midi
75006 Paris

Vous pouvez consulter notre catalogue général
et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site :
www.cherche-midi.com

« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

ISBN numérique : 978-2-7491-1899-4

L’ennui de rire sur commande

Grâce à la « bande » à Sagan, Bernard Frank en tête, j’ai trouvé soutien et sympathie pour mener à son terme cette idée saugrenue : faire sourire et, pourquoi pas, faire rire Françoise Sagan, à partir d’un entretien radiophonique.

J’étais impressionné et je me demandais comment elle allait recevoir ce projet.

La « bande » me mit au parfum. Les conditions de Françoise seraient draconiennes. Non pas qu’elle demanderait un gros cachet, elle a toujours été un écrivain arrangeant sur ce plan-là. Sa première préoccupation serait de ne pas « faire chiant ». Or, quand on ne favorise pas le direct, on a toujours peur de sombrer dans le réchauffé.

Elle craignait ne pas tenir sur la longueur, et il fallait ne surtout pas la contrarier si elle voulait prendre une communication téléphonique, boire un verre ou carrément interrompre la réalisation. Elle voulait être libre, oublier ces conventions qui nous emprisonnent. Je craignais qu’elle perde patience, qu’elle soit allergique aux professionnels du rire. En fait, ce qu’elle aimait beaucoup, c’étaient les gens qui avaient le goût de plaire, de faire sourire et pourquoi pas d’étonner, en toute humilité.

On arrêta une date, un jour. Il fallait attendre quelque peu, des semaines, voire des mois.

Je suis allé chez elle, rue Guynemer. L’appartement donnait sur le jardin du Luxembourg. Dans son appartement, elle parle à des personnes qui se succèdent, comme au théâtre, et changent d’une minute à l’autre. Elle s’amuse puis ne s’amuse plus.

On ne débrancha pas le téléphone, elle le prenait quand elle voulait. Elle avait le choix de s’arrêter un moment sans présenter un billet d’excuse des parents ! Nous avons été aux petits soins pour que tout se passe bien.

On parla d’une pièce, d’un film, des espoirs…

Tout se passa bien à l’exception de deux ratages : une fois, elle avait dormi tard la veille et, fatiguée, elle n’avait pas très envie de répondre à mes questions ; une autre fois, elle recevait de la famille, priorité absolue.

Mais quand l’émission fut enregistrée, elle me laissa une grande liberté, ne demandant aucune coupure et ne craignant pas une certaine insolence ou moquerie. Des journalistes plus en vue auraient usé de leur influence pour bénéficier d’une séance photo. Elle ne me demanda jamais rien.

Elle a été d’une grande sagesse et d’une grande compréhension.

Je me suis bien amusé, Françoise aussi. Elle n’avait exigé que d’être elle-même.

Elle n’a pas fait étalage de sa culture.

Elle a été sobre, inattendue, drôle. J’ai été son premier spectateur, gâté par cette représentation et privilégié de quelques propos mais, comme toujours, c’est la fin qui est terrible : pourquoi va-t-on lui reprendre brutalement, sans avertir, ce qu’elle a mis des années à gagner ? Elle n’a pas signalé aux grands de ce monde qu’elle n’était pas contente. Mais, même pour ça, elle trouve le mot pour rire :

 

« Parce que je trouve strictement dégoûtant de mourir un jour. Ça me dégoûte, l’idée que je vais mourir un jour, que les gens que j’aime vont mourir un jour. Je trouve ça infect, sincèrement, je ne trouve pas ça bien. Ce n’est pas convenable. On vous met sur la Terre avec une machine à penser qui est votre cerveau. On vous donne plein de cadeaux qui sont la vie, les arbres, le soleil, les printemps, les automnes, les autres, les enfants, les chiens, les chats, tout ce que vous voulez… Et après, on vous dit… On sait qu’un jour on va vous enlever tout ça… C’est pas gentil, c’est pas bien, c’est pas honnête. (Rires.) Si vous voulez mon avis, mon désespoir vient de ça en grande partie, enfin, quand j’en ai… Et puis c’est tout. »

A. H.

France Culture,
la nuit, un patrimoine radiophonique

Elle peut parler d’elle-même et de son œuvre, bien sûr… À l’époque, huit ou neuf, plutôt neuf romans et des pièces de théâtre… Elle peut aussi parler des journalistes qui posent des questions attendues, banales, idiotes parfois. Peut-être alors commence-t-elle à avaler ses mots. Elle peut penser – elle le dit – que le scandale survenu à la parution de son premier roman est bien dépassé aujourd’hui. Aujourd’hui, nous sommes en 1973. Il lui semble alors que cette histoire ressemble à du « délit ». Le premier roman, c’était Bonjour tristesse. Elle, bien sûr, c’est Françoise Sagan, au micro d’André Halimi pour France Culture. Première diffusion janvier 19731.

 

André Halimi : Françoise Sagan, quand on a parlé avec vous d’entretiens – d’abord, on vous a téléphoné –, on vous a dit : « On va faire des entretiens avec vous. » Au départ, ça a dû vous ennuyer, le mot « entretiens », non ?

 

Françoise Sagan : Non. M’entretenir avec quelqu’un, ce n’est jamais ennuyeux si ce quelqu’un est amusant.

 

André Halimi : « Entretiens », ce n’est pas sérieux comme mot ? Ça n’a pas un côté rigide, « entretiens » ?

 

Françoise Sagan : Ça a un côté un petit peu formaliste. Oui, ça a un côté un petit peu… « Entretiens », ça fait un peu…

 

André Halimi : France Culture…

 

Françoise Sagan : Entretiens avec… Non, pas France Culture. Ça a un côté « Nous allons nous entretenir d’un sujet ». Voilà, ça a un côté posé… Poser les choses.

 

André Halimi : Bon. On va bavarder un petit peu, on va s’amuser même, on ne va même pas avoir de micro… On va parler de tout, de n’importe quoi, mais ce ne sont pas des entretiens.

 

Françoise Sagan : Non, des dialogues, une conversation.

 

André Halimi : Une conversation.

 

Françoise Sagan : Plus gaie.

 

André Halimi : Plus gaie. On s’arrêtera, on fumera.

 

Françoise Sagan : Oui.

 

André Halimi : On prendra un verre de temps en temps.

 

Françoise Sagan : Voilà.

 

André Halimi : On ira voir à la fenêtre ce qui se passe, s’il y a des automobilistes qui s’injurient.

 

Françoise Sagan : On ira regarder les pigeons.

 

André Halimi : Il y a des pigeons rue de Fleurus ?

 

Françoise Sagan : Il y a des pigeons qui poussent des cris comme des imbéciles tous les matins devant ma fenêtre. Ils sont devant le Luxembourg.

 

André Halimi : Ils vous réveillent ?

 

Françoise Sagan : Tous les matins, ils me réveillent à la même heure.

 

André Halimi : C’est-à-dire fort tard ?

 

Françoise Sagan : Non, ils me réveillent à sept du matin tous les matins que Dieu fait. Alors, j’ai pris le pistolet à air comprimé de mon fils et je les… Il y en a trois ou quatre, toujours les mêmes, qui sont sur le réverbère en face… Ping ping ping… Alors je leur tire des tout petits plombs dessus et ils partent, comme si…

 

André Halimi : Et puis vous vous rendormez, j’espère, comme vous vous couchez tard.

 

Françoise Sagan : Ah, naturellement, je range mon pistolet, je vais me recoucher… Telle Calamity Jane, je vais me recoucher après.

 

André Halimi : Il faut dire, on est ici chez vous, rue de Fleurus.

 

Françoise Sagan : Guynemer.

 

André Halimi : Ah, rue Guynemer, c’est juste. Mais comme je suis passé par la rue de Fleurus… Rue Guynemer… On est sur le jardin du Luxembourg. Vous vous promenez un petit peu dans ce jardin ?

 

Françoise Sagan : Peut-être une fois, je crois, en deux ans.

 

André Halimi : Une fois seulement ?

 

Françoise Sagan : En deux ans, oui.

 

André Halimi : Pourquoi si peu ?

 

Françoise Sagan : Parce que je le vois tout le temps, il est exactement au ras de mes yeux quand je me réveille. Alors j’adore, je le regarde tout le temps et je le vois tout le temps. Je vois tous les petits enfants qui courent, les manèges, les gens, les gens qui jouent aux boules. Ah si… Non, non, j’exagère. J’y ai été plusieurs fois parce qu’il y avait un match de boules passionnant.

 

André Halimi : Pétanque, boules…

 

Françoise Sagan : Pétanque, enfin ils jouaient, à droite, là. Ils jouaient à la pétanque. Je m’étais fait un ami, là-bas, et j’y ai été trois fois cet été, au mois d’août. Il n’y avait pas un chat dans Paris et il y avait un grand match ; alors j’ai été le voir, assister à ses performances, tous les jours pendant une semaine.

 

André Halimi : Est-ce qu’il y a encore des dialogues dans les jardins publics entre des gens âgés, enfin, comme on voit souvent dans les pièces de théâtre ? Dans les pièces de Duras, Pinget, on voit toujours des vieux dans des jardins en train d’échanger des banalités.

 

Françoise Sagan : C’est toujours des vieux dans un jardin assis, mais ce n’est pas totalement de la période de Duras ni de Pinget, je dois dire.

 

André Halimi : C’est quoi ? C’est plus cru, c’est plus réaliste, c’est pornographique ? C’est comment, à première vue, aujourd’hui ?

 

Françoise Sagan : C’est beaucoup plus gai.

 

André Halimi : Ah, c’est gai ?

 

Françoise Sagan : C’est assez gai, oui.

 

André Halimi : Donc, c’est Duras qui finalement transpose son univers sur les vieux ?

 

Françoise Sagan : Non, l’univers des vieillards est une chose sinistre à l’heure actuelle puisqu’ils sont horriblement fauchés et tout… Mais leur peu de conversation sur leur petit banc, je vous assure, c’est quelquefois extrêmement gai.

 

André Halimi : C’est quoi à peu près ?

 

Françoise Sagan : Je ne me rappelle pas de tout par cœur, mais ils parlent de leurs chaussures. « Mon talon est cassé », dit la dame d’un air absolument affolé. « Mon talon est cassé, c’est catastrophique, comment vais-je faire pour rentrer ? Je ne vais pas rentrer en boitant. Que dirait ma logeuse ? » Alors, le monsieur dit : « J’ai un petit marteau chez moi, vous allez passer et je vais vous arranger votre talon. » Et puis, ils se donnent des petits tuyaux, des petits tuyaux très gais, tout en riant très souvent.

 

André Halimi : Il y a une sorte de gaieté ?

 

Françoise Sagan : Une espèce de gaieté… Enfin, là, je suis trop précise parce que ça se passe en face de ma tête au Luxembourg. L’été, il fait chaud, tout va bien. Je crois que, l’hiver, c’est beaucoup moins gai.

 

André Halimi : Alors, comment expliquer que dans beaucoup de pièces de théâtre, chaque fois qu’il y a un banc, qu’il y a des gens assis sur ce banc, et en général dans un jardin, il y a toujours une sorte de morosité, d’ennui, de tristesse ? Enfin, c’est très déprimant.

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents