"Timbo est morte !"
160 pages
Français

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"Timbo est morte !" , livre ebook

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Description

Modeste mais prestigieuse capitale politique, Timbo a régné pendant un siècle et demi sur l'état théocratique confédéral et original imposé par les Peuls aux populations non islamisées du Fouta-Dialo au début du XVIIIe siècle. Aujourd'hui résignée,Timbo, lointaine héritière d'une histoire exceptionnelle, unique dans toute l'Afrique de l'Ouest, se survit à l'ombre de sa mosquée neuve.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 janvier 2019
Nombre de lectures 0
EAN13 9782336861340
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Philippe D

« T est morte ! »

Philippe D

Vie, mort et mémoire
(Fouta-Dialo, Guinée )

É

www.editions-sepia.com É

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© Sépia, 2019
ISBN : 979-10-334-0139-1
EAN : 9791033401391
« T IMBO est morte ! »

Philippe D AVID

« T IMBO est morte ! »

Vie, mort et mémoire
(Fouta-Dialo, Guinée)

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EN GUISE DE JUSTIFICATIF,
s’il en fallait un…

Guinée, février-mars 2017. Je n’échappe pas, bien sûr, à la question de routine :
- C’est votre premier séjour en Guinée ? Cette fois, j’ai pris le parti d’une réponse un peu brutale mais véridique et d’ailleurs aussitôt reçue avec intérêt :
- Non ! C’est le quatrième… en soixante-trois ans ! Et à vrai dire, je m’en étonne aussi moi-même.
Quelle ancienne et profonde fascination en effet m’a encore poussé finalement à raconter, à ma manière et peut-être encore trop vite, l’émouvante histoire de Timbo et des Peul du Fouta-Dialo, rameau guinéen de ce peuple – Peul-Poullo-Foula-Foul-Foulani-Hillani-Fellata – étrange parce que différent, qui continue de susciter quant à ses origines les hypothèses les plus variées et les moins certaines ?
Pour essayer de me répondre, je dois effectivement revenir en arrière de plus de soixante ans, au Sénégal de 1954, et revivre, en voyant passer à Tambacounda pendant plusieurs semaines le flot annuel des navétanes guinéens, l’émouvante, immédiate révélation vivante des Poullo-Fouta. Cette année-là encore, ils étaient quelque 25 000 à gagner les terres arachidières de l’ouest, délaissant pendant six mois d’hivernage leurs villages de nobles ou de « captifs », roundé ou foulasso, que je m’efforçais d’imaginer derrière leurs noms chantants : Labédépéré, Timbi-
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Touni, Yembéreng, Tianguel-Bori, Madina-Gadawoundou, Toula Tokosséré (Voir David, 1980 et particulièrement le chap. 2.2.1.2). Je dois aussi revivre, comme une récompense et un encouragement quelques semaines plus tard, mon émerveillement devant les montagnes bleues du Fouta, ses champs d’orangers, ses cascades bondissantes du Kinkon, ses cases rondes géantes, « huttes hémisphériques » à cônes de paille emboîtés, et le chant joyeux de ce cortège de femmes qui progressait en longues files sous les murailles déchiquetées des gorges de Bara ; revivre aussi ma fascination, de retour à Paris, pour mes premiers cours de poular aux Langues O’ (future Inalco) alliance d’une déjà vieille mais inoubliable dame, Lilias Homburger, et de cette langue
subtile qui se permet – quelle audace ! – de découper l’univers en de multiples classes à la fois thématiques, nominales et philosophiques et de jongler avec des pluriels étrangement différents des singuliers ; revivre enfin, cinquante ans plus tard, le choc ultime et décisif de ma longue intimité biographique avec Ernest Noirot, administrateur colonial hors normes, lui aussi découvreur émerveillé du Fouta en 1881 et pourtant casseur sans pitié de l’état théocratique peul vingt ans plus tard. C’était décidé : Timbo minuscule mais prestigieuse jusqu’aux années 1880, Timbo maltraitée ensuite, meurtrie et déclassée, méritait à la fois le rapide rappel de sa gloire et surtout le long récit de sa déchéance et de ses épreuves infiniment moins étudiées et moins connues. C’était dire que, même en faisant vite, il y aurait beaucoup à raconter…
Mais d’abord un petit préalable quant à la transcription… Quelques citations en langue poular puisées à différents auteurs apparaissent çà et là dans cet ouvrage et sont reproduites telles quelles. Mais dans un cas précis, ma transcription « Fouta-Dialo » (au lieu du « Fouta-Djallon » colonial) correspond plus exactement à la prononciation locale telle que Noirot l’a signalée dès son premier séjour en 1881 (Voir David, 2012).
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1. TIMBO RÉGNANTE

ORIGINES
Historiquement et géographiquement parlant, il faut certainement partir d’un double attrait : celui du Fouta-Dialo, ce bloc montagneux d’accès parfois difficile, obstacle physique direct entre la côte et la vallée du Niger, et celui d’un état structuré, original et unique, difficilement étendu et imposé aux populations autochtones, mais plus puissant en tout cas que tous ses voisins et assujettis ; un état longtemps resté à l’abri des explorateurs et des raids commerciaux ou scientifiques, bien protégé dans un massif où l’on hésitait presque à pénétrer comme si les Peul étaient aussi délicats à pratiquer que leurs montagnes.

Di’I canDi ilooji e juurDe mu’un e hawaaji mu’un jon nootitagol. « Ces rivières qui s’écoulent et leurs chutes et leurs voix qui font écho. » (Thierno Abdourahmane, Hymne à la paix et au Fouta-Djalon, cité par Alfa Ibrahima Sow, Présence Africaine, n° LIV, 2 e trim. 1965, p. 195).

Cette double énigme et ce double obstacle, longtemps dissuasifs, se trouvent quand même irrémédiablement placés en travers des ambitions coloniales anglaises et françaises lentement et de plus en plus aiguisées à partir de 1800. Après une période d’explorations encore timide dans le premier demi-XIX e siècle (tout juste Mollien, Caillié puis Hecquard et quelques Anglais, on le verra), le Fouta-Dialo va offrir un très bel exemple des ambitions, des mécanismes et parfois, dans la foulée, des
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turpitudes de l’expansion coloniale française en Afrique de l’ouest. Celle-ci, en effet, passera de découvertes d’abord timides, espacées, respectueuses et même plutôt élogieuses, à des relations à connotations quasi-diplomatiques d’état à état (la mission Bayol-Noirot de 1881 et ses suites) puis, en réalité, de plus en plus hypocrites et fallacieuses, évoluant vite vers l’étouffement pur et simple, une mise sous protectorat d’office et un morcellement délibéré pour s’achever par une mise à mort brutale dont se chargera d’ailleurs cet étrange Noirot, parfaitement inconnu en Guinée de nos jours, et que nous retrouverons encore, celui-là même que les paysages, les gens et les vertus du Fouta avaient pourtant séduit la première fois, seize ans plus tôt.
Timbo, capitale minuscule mais rayonnante, fascinante et impérieuse, mythique et mystérieuse, nichée à 712 m. d’altitude dans son écrin de collines aux rochers granitoïdes, aura traversé un bon siècle et demi de gloire, de tempêtes, de déchirements et de déclin, jalonnés d’évènements complexes et originaux peutêtre sans pareils dans toute l’Afrique de l’Ouest. Troublante par son destin dégressif, Timbo était déjà inexorablement frappée de déchéance et de lent dépérissement jusqu’à ce qu’un administrateur, ému et sur place, finisse, malgré tout et malgré lui, par proclamer, avec très peu d’avance, sa mort en 1911… et, du même coup, me suggérer un titre : « Timbo est morte ». Nous le retrouverons aussi.
Si je redis encore ici mon émotion, ce n’est pas pour autant raconter depuis ses origines toute l’histoire, complexe et encore trop souvent obscure, de l’état peul du Fouta-Dialo, subtile et originale théocratie de neuf provinces. Bayol, en 1881, le qualifiera de « république aristocratique » tandis que d’autres préfèreront comparer les almamys à nos rois carolingiens et leur Conseil des anciens à notre Sénat. En tout cas, elle a déjà été assez minutieusement décrite, entre autres, par mon ami Ismaël Barry, historien guinéen qualifié, d’autant plus précieux qu’il a pu avoir accès aux Archives nationales de Guinée si délabrées
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aujourd’hui, ainsi que par El Hadj Thierno Bah (Thierno Bah, 2008). C’est là que les difficultés commencent : Thierno Bah, disparu en 1972 au sinistre Camp Soundiata de Kankan, s’est plus particulièrement centré sur l’histoire du Labé et n’était pas historien. Ses travaux, achevés en 1970 et très fidèles aux récits des traditionnistes et marqués à la fois par la richesse des noms et des dynasties, souffrent en revanche d’un flou assez épais qui obscurcit l’enchaînement et la chronologie des faits rapportés. Djibril Tamsir Niane dans sa préface souligne bien que Thierno Bah « se heurte à l’écueil de la chronologie ». En outre, mal

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