Portée disparue
120 pages
Français

Portée disparue , livre ebook

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120 pages
Français

Description

Cet ouvrage raconte les dernières années d'un couple d'octogénaires et la disparition tragique de la mère de l'auteure atteinte de la maladie d'Alzheimer. Il pousse également un cri d'alarme devant les problèmes posés par une maladie incurable qui concerne de nombreux vieillards, phénomène alarmant dû au vieillissement de la population...

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Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2014
Nombre de lectures 2
EAN13 9782336336428
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PAULA DUMONT
PORTEE DISPARUE
PAULA DUMONT
PORTEE DISPARUE
Aller simple pour Alzheimer
OUVRAGES DU MEME AUTEUR
Mauvais Genre, parcours d’une homosexuelle, L’Harmattan, 2009. La Vie dure, éducation sentimentale d’une lesbienne, L’Harmattan, 2010. Lettre à une amie hétéro, propos sur l’homophobie ordinaire, L’Harmattan, 2011. Le Règne des Femmes, conte philosophique, L’Harmattan, 2012. Les Convictions de Colette,Histoire, politique, guerre, condition des femmes, L’Harmattan, 2012.
PREFACE
Les personnes qui disparaissent sont plus nombreuses qu’on ne voudrait le croire. Lorsqu’il s’agit de fugues de personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer, l’anxiété est multiple : où est-elle, survivra-t-elle ? Si on la retrouve, dans quel état ? Et comment faire pour la retrouver ? Enfin, qui est responsable et pourquoi est-ce arrivé ? Paula Dumont nous livre ici un passage très douloureux de son existence. En effet, comment vivre la disparition d’une personne, sa mère, que l’on devine décédée, comment vivre l’injonction sociale à « faire son deuil » sans la présence du corps, car lorsqu’on ne voit pas c’est comme si l’on ne savait pas ? Comment supporter les avis bien intentionnés des uns et des autres au sujet des recherches, les innombrables lenteurs administratives qui participent à l’usure, et enfin, comment s’occuper avec dignité et amour de celui qui reste, l’époux et le père, bien diminué lui aussi ? Ce texte reste dans l’émotion mesurée, retenue, que l’on perçoit à de multiples détails qui sembleraient dérisoires si l’on ne prenait conscience de ce qui se trame. Nous sommes ainsi témoins de la révolte, de la douleur qui n’a pas le temps de se poser, avec la fatigue des allers-retours et de la vie quotidienne, professionnelle et amoureuse, qui doit continuer au loin. Puis un jour la fin de l’épreuve est décrétée, « au nom du peuple français ». Se concentrer alors sur les suites à donner, s’autoriser de nouveaux projets de vie et suivre de près et de loin ce père qui s’attendrit dans la présence d’un précaire et nouvel amour. Il est encore aujourd’hui très difficile d’arriver à faire partager les multiples douleurs engendrées par la mort de nos proches, qui renvoie bien sûr à notre propre fin. Toute pensée exprimée se heurte à la banale expérience de chacun de nous, et
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l’intelligence se confronte alors à la collusion entre cette banalité et la stupeur de la souffrance qui nous cloue. Paula Dumont, par la sobriété et l’exactitude de ce texte, y est bien parvenue. Françoise Mariotti, Psychologue
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Le jeudi 10 janvier 2002, comme je rentrais de l’IUFM de Montpellier après avoir abattu sept heures de cours, j’ai été accueillie par Nathalie, ma compagne, qui m’a déclaré d’un air soucieux : — Je viens de trouver sur le répondeur téléphonique un message de l’ami de ton père, Gabriel Ravier. Il te demande de le rappeler... Je me suis aussitôt précipitée sur le téléphone car à cette époque, j’étais convaincue que toutes les nouvelles que je recevrais de mes parents ne pourraient être que des calamités. C’est Mme Ravier qui m’a répondu. Devant mon inquiétude, elle s’est d’abord empressée de me dire que tout était arrangé. Puis elle m’a résumé calmement les événements de la journée qui venait de s’écouler. Le fils des Ravier, Jean-Claude, était l’infirmier qui passait tous les matins auprès de mon père pour lui faire la prise de sang à laquelle sont astreints les diabétiques. Or ce jeudi-là, il lui avait trouvé un côté du visage déformé, symptôme d’un accident vasculaire cérébral. Malgré les objurgations de mon père qui disait qu’il ne fallait pas s’en faire pour si peu, il avait aussitôt fait venir le médecin. C’est ainsi qu’une ambulance avait emmené mon père à l’hôpital de Besançon, à une quarantaine de kilomètres de Saint-Martin, la petite bourgade jurassienne où vivaient mes parents depuis une cinquantaine d’années. — Et ma mère ? ai-je demandé affolée à Mme Ravier. Ce cri était révélateur de mon état d’esprit. L’état de ma mère me causait une telle inquiétude que je ne voyais littéralement plus mon père, qui aurait pourtant dû m’inquiéter. J’aurais par la suite souvent l’occasion de méditer sur ce phénomène : quand on a sous les yeux deux vieillards, on se
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focalise sur le plus atteint sans un regard pour celui qui crève de misère physique et morale à son côté, quand on ne lui reproche pas de se plaindre de son sort qui, par comparaison, paraîtrait presque enviable. Ma mère n’était pas restée seule longtemps. Cinq minutes après le départ de l’ambulance, elle s’était mise à chercher mon père dans toutes les pièces de la maison. Comme elle ne le trouvait nulle part, elle avait pensé qu’il avait dû aller voir son ami si bien qu’elle était allée aux nouvelles chez lui. Les Ravier, qui étaient fort heureusement chez eux ce matin-là, savaient déjà par leur fils que mon père était parti aux urgences de l’hôpital. Ils ont offert à ma mère une tasse de café et des petits gâteaux. Et pendant que l’un bavardait avec elle, l’autre a téléphoné discrètement à sa sœur, ma tante Alice, qui habite à cinq cents mètres de chez eux. Celle-ci a appelé r aussitôt le D Grosjean, qui soigne ma mère, puis elle est venue récupérer cette dernière chez Ravier et l’a ramenée chez elle où elles ont attendu ensemble la visite du médecin. Dès qu’il est arrivé, il a appelé une ambulance et ma mère est partie à son tour aux urgences de l’hôpital de Besançon. Après avoir remercié Mme Ravier, j’ai appelé l’hôpital de Besançon. J’ai appris que mon père était soigné au service de neurologie et qu’on avait trouvé pour ma mère une place à Jean Fernel, un centre de soins pour convalescents. On avait eu beaucoup de mal à lui trouver un lieu d’hébergement car au lendemain des fêtes de fin d’année, de nombreuses personnes âgées tombent malades et doivent être hospitalisées. J’ai appelé le service de neurologie. L’infirmière m’a assurée que mon père se remettrait sans trop de séquelles. Comme il n’avait pas le téléphone dans sa chambre, elle m’a promis de lui dire que j’avais appelé pour prendre de ses nouvelles. J’ai téléphoné ensuite au centre Jean Fernel. Une femme m’a répondu que ma mère était bien arrivée, qu’elle ne manquait de rien et que je pouvais rappeler le lendemain pour parler à l’infirmière-chef ou au médecin. J’ai aussi appris ce soir-là qu’on pensait mettre mon père à Jean Fernel, dès qu’il irait mieux, pour qu’il puisse faire sa convalescence auprès de ma mère afin de la perturber le moins possible. Malgré toutes ces nouvelles qui, à tout prendre, étaient plutôt rassurantes, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit. J’avais cours, le lendemain, avec des étudiants, les PE1 (professeurs
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des écoles en première année de formation à l’IUFM) de dix heures à midi et de quatorze à seize heures, et les yeux me brûlaient tellement le manque de sommeil me faisait souffrir. Deux étudiantes nettement plus âgées que leurs condisciples ont remarqué que je faisais une drôle de tête si bien qu’elles sont venues bavarder avec moi vers midi. Je ne leur ai pas caché que j’avais de gros soucis avec mes parents. Comme elles prenaient un air compatissant, j’ai ajouté : — C’est normal à mon âge de vivre ce genre d’épreuve. Je vais aller les voir dans les jours qui viennent... Ce qui me rassure, c’est qu’en ce moment ils sont au chaud et au propre. Et il faut que je trouve une solution pour qu’ils y restent. Une fois rentrée chez moi, vers dix-sept heures, j’ai appelé le service de neurologie de l’hôpital de Besançon. L’interne qui soignait mon père a plaisanté : — Ah ! Vous êtes la fille de M. Dumont ! C’est vous qui êtes professeur dans le Midi... J’ai souri, moi aussi, de la fierté de mon père qui tenait, même au bord de la tombe, à faire savoir à tout un chacun qu’il n’avait pas engendré une illettrée. Le médecin s’est borné à me répéter ce que l’infirmière m’avait dit la veille au soir, ce qui m’a un peu rassurée. J’ai téléphoné ensuite au centre Jean Fernel. Une jeune femme très aimable m’a dit de ne pas m’inquiéter : — Votre maman passe un bon après-midi. On a fait une petite fête, elle était très contente de tirer les rois, elle a mangé de la galette, elle a dansé, elle bavarde avec les autres malades... Je la vois en ce moment, ne vous faites pas de souci pour elle, elle va très bien ! J’ai pensé qu’elle allait aussi bien qu’elle pouvait aller et même mieux qu’à mon dernier séjour à Saint-Martin, à Noël. Elle était gourmande de pâtisserie et de sucreries et j’avais déjà remarqué qu’elle adorait bavarder avec des jeunes gens. Un peu soulagée, j’ai remercié mon interlocutrice qui m’a conseillé de rappeler le lundi pour parler à l’infirmière ou au médecin. Très perturbée par le manque de sommeil, je me suis mise au lit à neuf heures et j’ai dormi comme une souche pendant plus de dix heures d’affilée. Le samedi matin, bien que les PE1 aient planché sur un concours blanc, je ne me suis pas rendue à l’IUFM pour les surveiller. Compte tenu de mes charges de travail et de l’état de mes parents, j’ai décidé d’aller voir ceux-
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