Eloge de la matière
250 pages
Français

Eloge de la matière , livre ebook

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250 pages
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Description

Depuis des millénaires, l'homme connaît la vie à travers des mots et des idées qui l'interprètent et lui renvoient une image faussée de lui-même. Nous oublions que l'homme n'existerait pas s'il n'était pas préalablement de la matière. Les idées ne sont qu'une sécrétion de son cerveau et si Socrate craignait de perdre la vue en regardant le monde, nous avons perdu le sens du réel en reniant notre corps. Redonner la parole à la matière que notre forme manifeste est encore possible, même si cela dérange ceux qui ont pris le pouvoir à l'aide de la pensée.

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Informations

Publié par
Date de parution 07 mai 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782140089589
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

Gilbert Andrieu
ÉLOGE DE LA MATIÈRE
OUVERTUREPHILOSOPHIQUE
ÉLOGE DE LA MATIÈRE
Ouverture philosophique Collection dirigée par Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot
Une collection d’ouvrages qui se propose d’accueillir des travaux originaux sans exclusive d’écoles ou de thématiques. Il s’agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions, qu’elles soient le fait de philosophes « professionnels » ou non. On n’y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu’habite la passion de penser, qu’ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques.
Dernières parutions
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Gilbert ANDRIEUÉLOGE DE LA MATIÈRE
Du même auteur Aux éditions ACTIO L’homme et la force. 1988. L’éducation physique au XXe siècle. 1990. Enjeux et débats en E.P. 1992. À propos des finalités de l’éducation physique et sportive. 1994. La gymnastique au XIXe siècle. 1997. Du sport aristocratique au sport démocratique. 2002. Aux Presses Universitaires de Bordeaux Force et beauté. Histoire de l’esthétique en éducation physique aux 19e et 20e siècles. 1992. Aux éditions L’Harmattan Les Jeux olympiques un mythe moderne. 2004. Sport et spiritualité. 2009. Sport et conquête de soi. 2009. L’enseignement caché de la mythologie. 2012. Au-delà des mots. 2012. Les demi-dieux. 2013. Œdipe sans complexe 2013. Le choix d’Ulysse 2013. Au-delà de la pensée 2013. À la rencontre de Dionysos. 2014. Être, paraître, disparaître. 2014. La preuve par Zeus. 2014. Pour comprendre la Théogonie d’Hésiode. 2014. Jason le guérisseur au service d’Héra. 2014. Héra reine du ciel. Suivi d’un essai sur le divin 2014. Héphaïstos, le dieu boiteux 2015. Perséphone reine des Enfers. Suivi d’un essai sur la mort. 2015. Hermès pasteur de vie. 2016. Apollon l’Hyperboréen. 2016. Les deux Aphrodite. 2016. Poséidon. 2017 Dictionnaire amoureux des dieux de l’Olympe 2017. Le sens de la vie. 2017 Athéna ou la raison.2017 © L’HARMATTAN, 2018 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Parishttp://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-14700-0 EAN : 9782343147000
DES ORGANES INDISPENSABLES  La matière est première ! Il ne faudrait pas l’oublier.  Sans elle nous n’existerions pas.  Pouvons-nous parler de l’invisible sans en avoir une appréhension immédiate ? L’invisible ne serait-il pas que le contraire du visible, en attendant qu’il ne le devienne ? L’invisible peut-il exister sans le visible et le visible sans la matière ?  Nous vivons dans un monde dont la réalité nous est communiquée par nos organes des sens. Ils le découvrent et lui accordent une particularité qui engendre une distinction nécessaire à notre existence. Face au monde, l’homme a besoin de repères pour exister et ses sensations lui permettent d’établir une relation indispensable à sa survie. Nous avons pris l’habitude de méditer sur l’art et la manière de nous situer vis-à-1 vis de tout ce qui le constitue, mais, depuis des lustres , nous avons négligé nos informations sensorielles pour accorder plus d’attention aux mots et aux idées qui les remplacent. Nous faisons de moins en moins confiance à nos sensations ce qui n’implique pas que ces dernières puissent être inutiles ou qu’elles soient devenues inopérantes. Nous avons seulement décidé qu’elles nous trompaient !  J’y reviendrai souvent, mais les idées, comme les mots d’ailleurs, ne font que remplacer les objets auxquels ils se rapportent. L’idée nous parle d’un objet en prenant sa place que ce soit pour le décrire, pour en donner les qualités premières,
1 e Depuis le V siècle avant notre ère, les Romains utilisaient le temps qui séparait deux élections de censeurs pour évaluer leur monde policé, autrement dit un espace de cinq ans.
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pour imaginer son utilité ou ses possibles transformations. L’idée ne se contente pas de remplacer l’objet, elle le prolonge, le contourne, le déplace, l’associe de multiples façons et nous oublions, en chemin, de garder présente à l’esprit sa nature originelle qu’il nous arrive d’idéaliser ou de diviniser.  Le monde moderne nous a habitués à fonctionner de la sorte, mais l’étude des mythologies montre que cela n’est pas nouveau. Les aèdes antiques se sont servis des images avant d’utiliser des idées de plus en plus moralisatrices pour instruire des individus confrontés à une transformation de la vie. La sédentarité des premières grandes villes, des citadelles bien avant, autrement dit des villages fortifiés a certainement conduit les hommes à multiplier les observations utiles et à s’efforcer d’en tirer des lois pour mieux vivre ensemble en s’éloignant d’un rapport au monde de moins en moins nécessaire.  En dépassant l’expérience, l’idée a donné à l’homme la possibilité de se libérer d’une sorte d’enchaînement à la matière. Or l’idée n’est pas la sensation et il est permis d’ajouter que sans la sensation l’idée qui la prolonge ne serait probablement jamais venue au monde. C’est grâce à la sensation que l’homme a pu s’adapter à ce dernier, dépasser le stade de l’expérience et mémoriser les effets d’un rapport qui ne lui fut pas toujours profitable. En donnant de plus en plus d’importance aux idées, l’homme a peu à peu oublié ce qu’il devait aux sensations et, simultanément, négligé la matière que les sensations lui faisaient connaître.  Il est évident que le regard que nous portons sur le monde n’est pas le seul moyen de dresser un cadre de vie, de nous prémunir contre l’imprévu, contre l’hostilité apparente d’un milieu que nous devons partager. Mais, depuis les origines de notre espèce, fort probablement, nous avons privilégié nos yeux parce qu’ils nous donnaient des informations rapides et utiles pour survivre et pour progresser. Or, pour s’affranchir des obstacles que le monde et les autres espèces pouvaient représenter, il a fallu que l’homme construise un savoir indispensable et cela n’a pu se faire qu’à partir de ce qu’il était. Il nous semble normal aujourd’hui de nous interroger sur la nature de cet être, de philosopher à son sujet. Disons que, dans
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les premiers temps, il a surtout questionné spontanément la nature du monde et de tout ce qui le peuplait en dehors de lui. Il était observateur et sa vie dépendait de la qualité de ses observations.  J’ai pris l’habitude de parler du regard d’Ulysse pour désigner notre façon de regarder le monde. Homère oppose ce regard binoculaire à celui du fils de Poséidon, Polyphème, autrement dit à l’œil rond du cyclope. Il semblerait que le regard de Polyphème soit associé à la monstruosité des premiers habitants du monde, aux dieux de première génération, mais le récit du poète oppose les deux regards à partir de deux comportements qui ne sont pas sans signification. Celui d’Ulysse est associé à la curiosité, à la ruse, à la survie du héros tandis que ses marins se font dévorer les uns après les autres. Celui du cyclope est en rapport avec la cruauté et la force du géant, sa faible intelligence, son incapacité à prévoir. Il est, comme Épiméthée, un être qui pense après alors qu’Ulysse semble plutôt comparable à Prométhée qui pense avant. Si son regard permet à Ulysse de s’échapper de la grotte de Polyphème, nous pouvons dire qu’il est à l’origine de tous les malheurs que le marin va devoir affronter. Poséidon fera tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher qu’Ulysse ne revienne chez lui à Ithaque, mais Zeus et sa fille Athéna sont d’un avis contraire. Ulysse, après avoir connu le monde des dieux, reviendra pour rendre justice en son palais. Homère avait-il une connaissance du troisième œil, cet œil aujourd’hui disparu, mais dont les vestiges semblent se confondre avec la glande pinéale ?  Notre rapport à la matière est certainement plus grand qu’on ne le croit. Ce qui nous trompe, depuis l’origine de cette observation du monde, c’est que l’homme est fait de la même matière que lui et qu’il est difficile, peut-être même orgueilleux, de vouloir le comprendre en se croyant différent de nature. N’avons-nous pas confondu le fond et la forme ? Dès que nous nous efforçons d’analyser ce que nous vivons, d’établir une relation de cause à effet, nous oublions que les sensations dépendent de la matière, qu’elles sont des informations permises par la matière, comme si elle s’informait d’elle-même par effet de miroir. La forme que nous avons compte très peu
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dans nos premières observations. Ce n’est pas la forme qui regarde le monde, mais nos organes des sens, autrement dit la matière qui se manifeste à travers la forme. Certes, entre l’atome et nos organes des sens la différence est grande, mais l’objectif de cet essai ne consiste pas à retrouver de façon exhaustive les différentes étapes d’un changement qui s’est opéré sur plusieurs millions d’années. Toutes les difficultés que nous éprouvons pour comprendre les différents éléments de notre existence viennent probablement de là.  J’y reviendrai plus loin, mais à partir du moment où l’homme s’est mis à construire une explication dite objective de ses rapports au monde, en s’appuyant sur des vérités établies à l’aide de mots et d’idées, il a construit un véritable château de cartes. Certes, il n’a pas déformé le monde en essayant d’en trouver l’origine, ce qui est devenu peu à peu un véritable besoin, mais il en a privilégié une partie ce qui lui a permis, par exemple, d’imaginer le visible et l’invisible comme s’il s’agissait de deux univers totalement distincts, ou encore en relation de subordination. Tous les contes légendaires qui décrivent la vie des hommes sur terre en les situant sous le regard des dieux ne sont que le fruit d’un tel regard. Les philosophes ont pris la suite des poètes, mais ils ne sont que la suite d’une longue maturation de ce que nous appelons ordinairement l’intelligence.  Des multiples informations que l’homme pouvait avoir en s’efforçant de moins subir son environnement, nous n’en avons conservé qu’une infime partie. Si nous en avons sélectionné certaines, c’est parce qu’elles semblaient plus à même de nous aider à survivre. Si les hommes diffèrent d’autres espèces sur le plan politique ou économique c’est parce qu’ils ont fait des choix, que ces choix se sont avérés sources de progrès et simultanément de domination. Il serait mal venu de croire que cela fut possible pour des raisons strictement matérielles. C’est parce que la matière, au cœur de la forme, a connu les effets d’une lente adaptation que le changement a eu lieu, apportant aux hommes une supériorité toute relative.
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 Il est évident que nous nous regardons dans le miroir de notre intelligence, disons que nous nous percevons à travers ce que nous connaissons scientifiquement de notre nature. Nous nous observons avec deux jambes, deux bras, un tronc et une tête et plus rarement sous forme de cellules associées ou d’organes reliés entre eux grâce à un système nerveux ou sanguin auxquels il faudrait ajouter un système énergétique. Pour l’être ordinaire, à seule fin de le distinguer des savants, l’homme reste un microcosme en relation plus ou moins conflictuelle avec le monde. Il lui vient rarement à l’esprit de s’interroger sur ce que ce dernier pourrait avoir de visible et d’invisible. N’oublions pas que notre histoire se lit à partir d’un temps relativement court alors que celle du monde ne peut se comprendre qu’à l’aide d’un temps beaucoup plus long que les légendes calculent en myriades d’années.  Lorsque j’évoque le visible et l’invisible, je mesure la faiblesse d’une telle association, pour ne pas dire d’une telle confrontation. Elle ne vaut que dans le cadre étriqué des idées qui, depuis longtemps, se sont émancipées par rapport à ce qui est perceptible. Je devrais dire ce qui était, car nous avons perdu, depuis des millénaires, l’art de percevoir un réel que nous avons préféré remplacer par des mots. Nous n’avons plus une connaissance directe de notre environnement et de nous-mêmes, mais bien une connaissance indirecte qui fait confiance à ceux qui nous précèdent, aux mots et aux idées qu’ils ont inventés pour avancer dans leur besoin de comprendre et de maîtriser le sens de la vie. De plus, il est difficile, de nos jours, de juger nos organes des sens à partir de ce qu’ils sont devenus. Ils n’ont plus les qualités qu’ils avaient autrefois ! Je ne dis pas qu’il faudrait revenir à une vie ancestrale pour réapprendre par nous-mêmes l’usage du feu par exemple, mais je crois que l’homme se porterait mieux s’il prenait au moins conscience qu’il n’est plus à l’origine du savoir qu’il utilise depuis longtemps. Il ne peut plus en mesurer les conséquences, en dehors de celles qui lui sont également enseignées.  Si, aujourd’hui, nous éprouvons l’envie de tout savoir, de discourir sur tout et sur rien, tout autant, si nous voulons connaître, c’est parce que l’homme, confronté aux réalités qui
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