L émotion à l oeuvre
184 pages
Français

L'émotion à l'oeuvre , livre ebook

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184 pages
Français

Description

Les questions évoquées dans cet essai réalisé autour du thème de l'expérience de la perception face à l'oeuvre d'art conduisent nécessairement à apprécier les ressources du langage de l'art et à s'interroger sur sa capacité à rendre compte du phénomène émotionnel auquel participe la mémoire, consciente ou inconsciente, et qui révèle au sujet, dans toute la richesse de cette expérience, la profondeur du moi et sa perception du monde.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 juillet 2009
Nombre de lectures 180
EAN13 9782296229099
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

L’émotion à l’œuvre

Jean Piwnica

L’émotionàl’œuvre

L’Harmattan

Introduction

L’ émotionest une expérience qui souvent nous laisse sans mots.
Les sensations que nous éprouvons nous informent de
transformations physiologiques qui affectent notre corps et dont la
description paraît impossible, sauf à les évoquer de façon vague
et convenue. L’expérience d’une émotion provoque en effet des
états trop complexes, insaisissables, fugaces, particuliers, pour
être analysés et décrits avec précision. Ils appartiennent à un
monde intérieur, étranger au principe de notre insertion dans le
monde extérieur fondé sur le langage, selon des règles propres
à un contexte socioculturel donné. Qu’une émotion ne soit pas
descriptible dans son intensité, sa couleur, dans le foisonnement
des sensations ressenties, suscite devéhémentes protestations
de la part de philosophes qui tiennent le langage pour premier
en toute chose. L’argument le plus communément opposé à son
ineffabilité est que l’émotion en art naît d’une activité publique,
collectivement partagée, qui doit par conséquent être exprimable
par ceux qui usent d’un même langage. Ces philosophes
considèrent par ailleurs que les sensationsn’existent au niveau de la
conscience que dans la mesure oùelles peuvent être nommées.
En opposant le caractère public, collectif et partagé de l’« activité
artistique »à celui de l’expérience émotionnelle, vécue
individuellement dans l’intériorité de chacun, ils dénient à l’émotion la
caractéristique essentielle de sa réalité à tout moment vérifiable :
à savoir l’hétérogénéité de la traduction, de la description de ce

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que nous croyons avoir vu, entendu, ressenti, ici et maintenant,
en un moment unique, non partageable et non reproductible.

Ce qui est rapporté de manière critique, peut, à maints égards,
être partagé, comme en témoignent les manifestations publiques
d’approbation ou de désapprobation, de même que l’opposition
de jugements intersubjectifs ne tient pas à ce qui est
irréductiblement individuel – le caractère unique et indicible de l’émotion
ressentie–mais plutôt à ce que l’on dit de sa propre réaction et de
ce que l’on prétend avoir perçu, les représentations revendiquées
n’ayant pas été nécessairement éprouvées. Que signifie dès lors
parler d’émotions si nous ne pouvons rien dire de la perception
du contenu d’une œuvre–expression d’une émotion créatrice–et
rien non plus de ce que nous avons éprouvé en prenant conscience
de cette expérience? La question: «comment l’avons-nous
réellement ressentie ?» se superpose à la question: « comment
l’avons-nous réellement vueou entenduecar il s’agit essen-? »,
tiellement de ce que nous avons ressenti.

Nous contemplons, nous écoutons, nous parlons, mais
peut-on dire ce qu’est réellement l’objet de ces actions, à l’instant
immédiat de la perception? Il faudrait prendre conscience de
la différence entre «faire »et «montrer »,« dire »et «sentir »,
« voir »et «comprendre ».Certains de ces termes désignent
quelque chose qui peut se montrer, se décrire, s’expliquer, tandis
que d’autres désignent l’ineffable expérience d’une modification
physiologique, d’un état ressenti, qui relève de l’aperception.
On voudrait nous faire croire que le langage – érigé, dès notre
entrée dans le monde, comme unique moyen d’insertion, comme
fondement de toute activité intellectuelle, comme médium
universel de communication de la conscience de soi – nous impose
de n’éprouver que ce que nous pouvons exprimer
intelligiblement. Comme nous le verrons plus loin, la réalité est autre. Un

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présupposé nous incite à confondre ce que nous sommes à même
de dire, avec ce que nous éprouvons intérieurement – comme
une invitation à travestir la réalité de ce que nous ressentons,
au profit d’une traduction réductrice, instrumentalisée par le
langage au détriment de l’individu qui cesse d’être sujet. Il faut
tenter de définir au plus près en quoi consistent les éléments qui
provoquent ce malentendu sur les différents modes opératoires
de l’expression et leur subordinationau langage, injustement
promu médiateur exclusif. Ce faisant, nous pénétrons
nécessairement dans le champ d’une discussionopposant le caractère
collectif, partagé et conscient de la perception visuelle
etauditive, à la particularité indescriptible du phénomène émotionnel
éprouvé. C’est aussi le lieu que privilégie l’opposition récurrente
entre l’« objectif » et le « subjectif », l’« universel » et le «
particulier », le « corps » et l’« esprit », le « rationnel » et l’« irrationnel ».
Comment concilier la spécificité irréductiblement individuelle
de la perception qui induit la personnalisation de l’émotion, avec
le caractère collectif des appréciations émises dans le monde où
nousvivons ? Quellevaleur attribuer aurôle de l’émotion et à son
influence sur le jugement en art? Ce sont des questions
importantes qui attendent des réponses modelées sur la conception
que l’on se fait de celui désigné tantôt comme « individu», tantôt
comme «sujet » : autrement dit « moi », les autres et le monde
qu’ils perçoivent.

La conception métaphysique dusujet

Schopenhauer distingue lesujet-connaissant-individualisé, du
sujet-de-connaissance.Autrement dit, il distingue la conscience
que nous avons de nous-mêmes de l’idée que peut en avoir le

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monde extérieur. L’individuest en même tempsun sujet pour
luimême etun objet de connaissance. Il perçoit les objets selon les
caractéristiques que lui fournissent ses facultés mentales,
activées par l’excitation de son appareil sensoriel. Les représentations
que le sujet se fait de l’objet, relèvent de sa nature spécifique. Le
monde est par conséquent tel qu’il est représenté par les sens
et non objectivement, tel qu’en lui-même. Pour le sujet, chaque
objet estune représentation qui ne peut épuiser la nature de cet
objet, dont la substance profonde n’est pas révélée ausujet par
ses représentations. Celles-ci ne peuvent donc donner lieuqu’à
des spéculations sur ce que peut être sa nature. Ce que sont les
choses en elles-mêmes ne nous est pas accessible, sauf à suivre la
suggestion de Schopenhauer qui considère que nous ne sommes
pasuniquement des sujets-connaissant enracinés dans le monde
comme des individualités physiques. Faisant partie des choses
dumonde dont nous recherchons la nature profonde, chacun
d’entre nous peut parfaitement connaîtreun objet autrement
qu’en le percevant. Notre corps, les modifications physiques qui
surviennent en lui, la perception que nous en avons, ne le rendent
pas différent d’autres objets quenouspercevons. Comme objet
de perception, il est la représentation que nous nous faisons de
la nature profonde des modifications physiques ressenties. Une
action intentionnelle, et l’expérience duplaisir et de la souffrance
qui l’accompagne, nous donnentune connaissance immédiate de
la nature profonde des changements de notre corps.

Le monde comme représentation n’a d’intérêt pour autant
qu’ilapparaisselié directement ouindirectement à nos désirs ou
à nos buts, autrement dit à leur satisfaction. Une chose présentée
à la perception d’un sujet-connaissant, doit se conformer aux
formes de représentations de celui-ci. Pour qu’il soit informé
des Idées qui constituent la forme «idéale »et générique des
objets, il faut que chezl’individuse produiseun changement qui

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altère son individualité;il cesse dès lors d’être gouverné par des
formes individuelles de représentations et devientun pur sujet de
connaissance, dépourvudevolonté, en contemplation immobile
devant l’objet qui lui est présenté, ignorant la signification que
cet objet peut revêtir par l’effet de savolonté. « Nous devons nous
aimer nous-mêmes entièrement dans l’objet, oublier notre
individualité, notrevolonté, et continuer à exister seulement en pur
sujet, comme miroir limpide de l’objet, comme si l’objet existait
seul sans personne qui le perçoive, et bien que nous ne soyons

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