La Liberté d’expression. Menacée ou menaçante ?
169 pages
Français

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Description

La liberté d’expression figure au Panthéon des grandes libertés. Elle constitue aussi le socle de la démocratie, au point d’en constituer aujourd’hui le critère prépondérant. Or, force est de constater que cet acquis fait l’objet de contestations ou d’interprétations différenciées : religion, racisme, identité, réchauffement climatique, dérapages sur les réseaux sociaux : il ne se passe plus une journée sans que la question sur ce qui est légitime de dire ou de laisser dire ne soit posée. Menacée, menaçante ? La liberté d’expression ne laisse pas d’interroger notre modernité.
Contributions de Krystèle Appourchaux, Henri Bartholomeeusen, Souhayr Belhassen, Jean Bricmont, Axel Cleeremans, Pierre Daled, Édouard Delruelle, François De Smet, Philippe Dutilleul, Joumana Haddad, Monseigneur Guy Harpigny, Hervé Hasquin, Habib Kazdaghli, Nadia Khiari, Pierre Kroll, Anne-Marie Le Pourhiet, Philippe Nemo, Plantu, Tariq Ramadan, András Sajó, Mireille Salmon, Françoise Tulkens, Quentin Van Enis

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 68
EAN13 9782803105014
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA LIBERTÉ D'EXP RESSION MENACÉE OU MENACANTE ?
A . B , 7, 8 9 2014 CTES DE COLLOQUE RUXELLES ET DÉCEMBRE
La liberté d’expression. Menacée ou menaçante ? Jusqu’où penser, parler, écrire librement ?
CLASSEDESLETTRESETDESSCIENCESMORALESETP OLITIQUES
A B CADÉMIE ROYALE DE ELGIQUE
Académie royale de Belgique rue Ducale, 1- 1000 Bruxelles, Belgique www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique ISBN : 978-2-8031-0501-4
© 2015, Académie royale de Belgique
Mémoires de la Classe des Lettres, Collection in-8°,sérieIVtomeX N° 2106
Diffusion Académie royale de Belgique www.academie-editions.be
Crédits Conception et réalisation : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique Couverture : Service Éditions, Académie royale de Belgique
Bebooks - Editions numériques Quai Bonaparte, 1 (boîte 11) - 4020 Liège (Belgique) info@bebooks.be www.bebooks.be
Informations concernant la version numérique ISBN 978-2-87569-185-9 A propos Bebooks est une maison d’édition contemporaine, intégrant l’ensemble des supports et canaux dans ses projets éditoriaux. Exclusivement numérique, elle propose des ouvrages pour la plupart des liseuses, ainsi que des versions imprimées à la demande.
LE PRIX DES MOTS DIALOGUEENTREJOUMANAHADDADETHERVÉHASQUIN
Hervé Hasquin : Nous allons maintenant avoir le plaisir d’écouter Madame Joumana Haddad. Je la connais un peu car j’ai eu l’occasion de présider un débat de femmes où, comme je le lui disais tout à l’heure, j’étais l’alibi de la mixité puisque j’en étais le modérateur, cela m’arrive (rires) ! Cela se passait à Bruxelles voici trois ans autour d’un thème très explosif : la femme et la religion. Et j’ai le pressentiment que nous en reparlerons ce soir. Madame Joumana Haddad est Libanaise. Elle est poétesse, journaliste et présente cette particularité peu banale d’être la fondatrice et la directrice d’une revue très particulière qui s’appelleJasad, qui signifie en français, si je ne m’abuse, « le corps », première revue qui traite d’érotisme et de sexualité dans le monde arabo-musulman. Madame Joumana Haddad est de culture chrétienne, mais elle aura l’occasion elle-même de vous préciser son positionnement idéologique et philosophique. Je lui laisse immédiatement le soin de s’adresser à vous, puis nous aurons l’occasion, elle et moi, d’en discuter. Joumana Haddad : Merci. Bonsoir, Mesdames et Messieurs, et merci d’être là. Je tiens avant de commencer mon intervention à remercier chaleureusement Monsieur Hervé Hasquin de m’avoir invitée à participer à ce débat qui est, comme vous l’imaginez, important partout dans le monde, mais particulièrement dans le monde arabe. Permettez-moi de commencer mon intervention en partageant avec vous un extrait d’une lettre que j’ai reçue il y a quelques temps d’une lectrice qui m’était inconnue et qui me semble illustrer parfaitement une des problématiques les plus graves touchant le thème de la liberté d’expression dans le monde arabe contemporain. Salut Joumana, m’écrivait ladite lectrice, je m’appelle Manal, je suis une femme saoudienne de 39 ans. Je m’adresse à vous simplement pour vous raconter ma réaction la première fois que j’ai lu vos écrits. Ce jour-là, une amie m’avait clandestinement prêté un de vos livres en me disant « Tu dois lire ceci ». Le soir même, me retrouvant seule dans ma chambre, je décidai de le feuilleter. Dès les premiers mots, une peur indescriptible m’envahit, une peur qui allait au-delà du choc de découvrir vos idées et votre façon de voir le monde. C’était la terreur de voir exprimées, rédigées, publiées, et donc accessibles à tout le monde, des choses que je n’osais même pas penser, des choses qu’on m’avait toujours décrites comme mauvaises, honteuses et coupables, des choses à réprimer, à résister, à refuser, à combattre, à taire absolument. Et savez-vous ce que j’ai fait aussitôt ? Moi qui étais, je le répète, seule dans ma chambre et seule à la maison à ce moment-là, donc sans aucun risque que quelqu’un ne vienne me surprendre en flagrant délit : j’ai tiré une couverture sur ma tête et j’ai continué ma lecture ainsi à la lueur d’une pile électrique, cachée même aux yeux de moi-même. Comme si je pouvais me duper de la sorte, prétendre que je ne vous lisais pas et me protéger contre vous ou plutôt contre moi-même et le gouffre que vous m’obligiez à affronter. Comme si le prophète Mahomet était assis là, dans mon lit, à me surveiller et à me pointer du doigt à chaque mot lu, à chaque tournure de page. Plus je lisais, plus je ressentais les feux de l’enfer me brûler la peau. Pouvez-vous imaginer la vie d’une personne qui a été élevée à se redouter elle-même et à considérer sa conscience, son esprit, son intelligence, sa logique et son corps comme des ennemis ou des espions au service d’un dieu impitoyable ?
En effet, Mesdames et Messieurs, pouvez-vous, pouvons-nous imaginer la vie de tels gens, de ces prisonniers d’eux-mêmes, qu’ils soient analphabètes ou éduqués, riches ou pauvres, hommes
ou femmes ? Pouvez-vous, pouvons-nous concevoir une existence où le simple acte de penser et de s’exprimer en dehors du lavage de cerveau subi et sans cesse renouvelé constitue un péché, voire un crime ? Et pourtant, c’est la triste réalité de la majorité des Arabes aujourd’hui, Saoudiens, Irakiens, Égyptiens, Syriens, Libanais et ainsi de suite, une réalité dont certains sont conscients et dont ils souffrent, comme c’est le cas de Manal, ou bien une réalité que d’autres ne soupçonnent même pas tellement la mentalité du troupeau l’emporte sur les efforts de la raison individuelle. Et quel serait l’ennemi numéro un de ces peuples, de leur intellect, de leur jugement, de leurs progrès, de leurs droits, de leurs libertés ? Il faut désormais le dire haut et fort, sans détours, c’est la religion ou du moins la façon machiavélique dont elle est utilisée par ceux qui la contrôlent et la représentent pour diaboliser et abolir toute réflexion critique qui puisse porter un être humain à s’émanciper de son emprise et à la mettre, comme il se doit, à son propre service et au service de son épanouissement spirituel. Je le répète, cet esclavage religieux est la réalité de la majorité des Arabes aujourd’hui et il n’y a pas d’exagération dans mes propos, ni une méconnaissance des exceptions qui existent dans les différents pays et qui constituent des points de repère lumineux, quoique rares et insuffisants, dans notre histoire contemporaine. Certains d’entre vous me diraient que ceci est un mal universel, que le lavage de cerveau et l’enchaînement peuvent prendre plusieurs formes, en Occident comme en Orient, et que la dictature consumériste, par exemple, qui règne dans d’autres parties du monde n’est pas moins esclavagiste que la dictature religieuse qui aveugle les esprits dans le monde arabe. Et vous aurez raison, bien sûr. Mais permettez-moi de souligner une différence majeure : l’engouement pour un sac Chanel ne pousse pas celui qui se le procure à trancher des têtes au nom de ladite marque alors que le label de dieu, comme nous en sommes quotidiennement les témoins ces jours-ci, pousse une grande partie de ses fervents enthousiastes à commettre des crimes contre le droit à la liberté d’expression, le droit à l’intégrité, le droit à la vie, le droit au choix et à la dignité humaine. Dans le meilleur des cas, il les pousse à juger, à exclure, à haïr ceux dont le label est légèrement ou largement différent du leur. Le premier censeur des Arabes, cette voix pernicieuse qui les pousse à se réprimer, est donc dans leur tête et je dirais même dans leur inconscient collectif. Ce mal est devenu un réflexe au lieu d’être un état contre nature et cette censure auto-administrée est beaucoup plus dangereuse, triste et irréparable qu’une censure imposée par un État. L’instinct, en principe, devrait nous pousser à combattre l’injustice. Mais que faire lorsque l’instinct lui-même instaure et normalise l’injustice ? Il faut des générations et des générations de bâillonneurs et de bâillonnés pour que l’adn puisse en venir à contenir le gêne qui incite une personne à baisser automatiquement la tête, à se taire, à accepter sans questionnements ce qu’on lui inculque ou inflige, quel qu’il soit, absurde ou offensif. Nous avons dépassé même le stade du masochisme. Nous taire n’est plus une douleur qui est source de jouissance, mais une condition autochtone face à laquelle s’exprimer librement devient l’anomalie. Évidemment, il faut aussi souligner le rôle nocif que la langue arabe joue malgré elle à ce niveau, une langue prétendument sacrée, étanche par conséquent à la transgression et aux défis nécessaires à l’affranchissement de l’expression. Or cette violence que la langue arabe impose en apparence est en réalité une violence qu’elle subit. Car cette superbe langue a été injustement privée de tout un pan de ses potentiels, de son lexique et de son imaginaire à cause de sa sacralisation. C’est vous dire combien être un écrivain qui refuse les concessions dans un tel monde coûte cher. Discuter le thème de la liberté d’expression dans le monde arabe tout en évitant de discuter le problème de la religion ou plutôt de l’emprise religieuse signifie ignorer la principale muselière qui empêche les gens de s’exprimer. Et pas seulement, car elle empêche tout autant les gens de réfléchir, de faire des choix, de s’épanouir, de disposer de leur corps et de leur destinée. Bref, de vivre comme des êtres humains. Évidemment, les systèmes politiques arabes, pour la plupart tyranniques, corrompus et policiers, n’encouragent pas non plus à la libre expression. Je le sais parce que je travaille depuis dix-huit ans dans un journal où le rédacteur en chef et le principal éditorialiste ont été assassinés à cause de leurs opinions politiques. Cependant, séparer la politique de la religion dans ma partie du monde relèverait de l’auto-tromperie et cette dernière est un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre, car tous ces régimes fonctionnent en connivence avec les autorités religieuses, publiquement ou en secret, afin que l’assujettissement des peuples soit sans faille. Je dis « tous ces régimes » en ne permettant aucune exception parce
que l’exception apparente que constituent certains modèles de gouvernements soi-disant laïques n’est qu’un bluff. Il suffit par exemple de voir comment l’État islamique est en train de servir les intérêts de la dictature de Bachar El-Assad en Syrie. Mesdames et Messieurs, je suis une femme libanaise, mais puis-je affirmer que je suis pour autant une citoyenne libanaise ? Non, pas tant que c’est ma religion de naissance qui gère mon statut, ma condition, mes affaires et ma vie, bien que je sois publiquement et résolument athée. Pas tant que je suis recensée sur la base de ma religion de naissance, que je suis censée voter mes députés sur la base de cette religion et que je serai enterrée selon les lois de cette religion à ma mort. C’est une honte pour moi et pour beaucoup d’autres de vivre dans un pays qui prétend être une république démocratique, mais où une véritable société civile et laïque libre de l’emprise des hommes de religion est presque complètement absente et où critiquer la religion et ses symboles est, ou bien impossible, ou sévèrement punissable. J’ai écrit à plusieurs reprises à propos de ce que j’appelle le triangle des Bermudes de la censure dans le monde arabe, constitué par la politique, le sexe et la religion. Mais au fond, le nœud le plus dangereux, le plus résistant de ce trio n’est autre que la religion. Je sais que certains croyants qui assistent à ce débat jugeront peut-être ma prise de position injuste. Je sais que des chrétiens et des musulmans protesteront et voudront prouver peut-être, chacun à sa façon, combien et comment leur religion promeut la liberté d’expression en particulier et la liberté en général. La réponse que je me permets d’anticiper à ces objections est nette. Ce n’est que déni ou malhonnêteté intellectuelle. Dites-moi quel musulman vivant dans le monde arabe pourrait dire à haute voix que le prophète Mahomet ou l’ayatollah Khomeiny sont des pédophiles sans risquer sa vie ? Or il s’agit de faits historiques, non de calomnies, le premier ayant épousé une fillette de neuf ans et le second ayant décrit en détail dans l’un de ses livres la façon dont on peut jouir d’un bébé sans le déflorer. Et cette terreur d’énoncer un simple fait n’est qu’un exemple d’intolérance et d’intimidation parmi tant d’autres. Ne parlons pas du traitement que l’on réserve aux athées ou même aux agnostiques dans des pays comme l’Arabie saoudite ou le Yémen où il est jusqu’à nos jours permis et légal d’épouser et de violer des adolescentes, mais inadmissible et mortel de douter de l’existence de dieu ou de faire une caricature sur le prophète Mahomet ou même de promouvoir la laïcité. Et que les fidèles passionnés ne me disent pas qu’il s’agit là d’exceptions ou d’accidents isolés, et que pareils gens ou que les membres de l’État islamique djihadiste qui assassinent des innocents comme on écrase des mouches ne représentent pas le vrai islam. Malheureusement, malheureusement, ce sont les modérés dans le monde arabe qui constituent l’exception en islam et non le contraire. Suis-je plus indulgente avec le christianisme ? Sûrement pas, bien que ce dernier ait dépassé sa phase meurtrière des croisades et de l’inquisition. Il n’en est pas moins vrai que le radicalisme chrétien dans un pays supposément ouvert et moderne comme les États-Unis, pour ne citer qu’un exemple, est en train d’atteindre des sommets sans précédents. Il ne s’agit pas pour autant d’exécutions ou de flagellations publiques, mais le risque d’être ostracisé ou de perdre son emploi constitue un grave obstacle à la liberté d’expression qu’il ne faudrait pas négliger. Mesdames et Messieurs, que chacun ait la foi qu’il veut, mais qu’il l’ait dans le respect, dans la décence, loin de la répression, loin de la censure, loin de la violence et des efforts agressifs visant à faire taire les esprits et les langues. Qu’on ne vienne pas me dire que mes idées sont le résultat d’une contamination occidentale. La liberté d’expression est un droit humain fondamental ; les droits de l’homme sont universels. L’Occident n’en a pas le monopole. Or la liberté d’expression s’est toujours épanouie dans un cadre laïc. La laïcité n’en est pas évidemment la seule garante, mais elle est à mon humble avis une de ses conditions nécessaires. Je suis, donc je dis. Je dis, donc je suis. S’exprimer est une partie indissociable d’exister. S’exprimer librement est un droit, ce n’est ni un luxe, ni un privilège. Par ailleurs, la première étape pour guérir un mal n’est-elle pas de le reconnaître et de l’avouer ? La guérison passe donc par l’expression, par les pensées et les mots délivrés sans peur, sans appréhension, sans intimidation, sans prix à payer autre que celui que la responsabilité intellectuelle implique. C’est la raison pour laquelle je me permettrai enfin de paraphraser Simone de Beauvoir et de dire : « On ne naît pas libre dans le monde arabe, on le devient. » Or, il est grand temps que nous le devenions. Merci. (Applaudissements)
Hervé Hasquin : Madame Joumana Haddad, M. Tariq Ramadan ne vous aura pas entendue… Joumana Haddad : Malheureusement, cela aurait été intéressant. Hervé Hasquin : C’est vrai que j’aurais apprécié qu’il vous entende et entendre sa réaction puisque vous vous êtes livrée avec une franchise brutale, mais une franchise que j’apprécie, à un diagnostic j’allais dire cynique des situations que vous vivez. Joumana Haddad : La franchise est toujours brutale, Monsieur Hasquin. Hervé Hasquin : Tout à fait. Je vous pose une question. Le discours que vous nous avez tenu ce soir, est-ce que vous pourriez le tenir dans un pays du Moyen-Orient sans mettre votre vie en péril ? Joumana Haddad : Je dis toutes ces choses tout le temps dans le journalJasad et dans mes livres. Ils sont distribués partout dans le monde arabe. Donc, ou bien les extrémistes ne lisent pas attentivement, ou bien ils me tiennent… Hervé Hasquin : Ou bien vos livres sont détruits avant de pouvoir être lus ? Joumana Haddad : Oui, peut-être. Je reçois évidemment beaucoup de menaces, beaucoup d’insultes. J’ai ma dose quotidienne. De même, lorsque j’ai commencé la publication de mon magazine, là aussi les portes de leur enfer ont été ouvertes sur moi. Mais j’avais pris ma décision il y a longtemps de ne pas me laisser intimider. Je pense que cela pourrait advenir. Je ne suis pasSuperwoman. Cela pourrait donc advenir mais je préfère que cela advienne pendant que je suis en train de dire ce que je pense avec toute franchise. Et n’allez pas croire que je suis particulièrement courageuse. Depuis mon enfance, j’ai vécu dans un environnement lourd à supporter, avec beaucoup de prohibitions, d’interdits, et dès le moment où j’ai commencé à écrire, je me suis dit que je devais être capable au moins en écrivant de dire ce que je pense sans que personne ne m’empêche de m’exprimer. C’est ensuite que j’ai appris, en payant le prix, à vivre ma vie aussi comme ça. Je suis donc convaincue de chaque mot que je viens de dire, de chaque mot que j’écris, de chaque mot, de chaque idée que j’exprime. Je pense que c’est mon droit de le dire, tout comme c’est le droit de beaucoup de gens de ne pas être d’accord avec moi. Je respecte la différence, mais je ne respecte pas la différence qui fait qu’on tue et qu’on assassine les gens avec qui on n’est pas d’accord. Il y a une grande différence. Hervé Hasquin : Dans ce pays qui est le vôtre, le Liban — je le rappelle car cela était sous-jacent dans votre intervention — divisé politiquement, organiquement vais-je dire, dans toute son existence, en deux clans, en quelque sorte les chrétiens d’une part et les musulmans d’autre part, toute la vie politique est organisée autour de ce principe et, qu’on le veuille ou non, on est rangé dans une catégorie… Joumana Haddad : Non, c’est beaucoup plus compliqué encore. Il est divisé en dix-huit clans : il y a les chiites, les sunnites, les catholiques, les orthodoxes, les druzes… je continue ? C’est ennuyeux, non ? Par exemple, on parle souvent en Occident des musulmans. Mais il y a les sunnites et les chiites, et c’est maintenant seulement qu’on commence à les distinguer parce qu’il y a toutes ces tensions et toutes ces guerres, et les nuances entre les deux communautés sont nombreuses.
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