Les sciences de l éducation au défi de l irrationalité
261 pages
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Les sciences de l'éducation au défi de l'irrationalité , livre ebook

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Description

Incompris ou délibérément réinterprété, le livre Le problème de l'irrationalité dans l'esthétique et la logique du XVIIIe siècle (1923) d'Alfred Baeumler infuse, depuis bientôt un siècle, une vision du monde redoutable dans le discours scientifique. Partant du constat que la victoire militaire sur le national-socialisme en 1945 n'a pas entraîné une dénazification approfondie, cette étude décèle patiemment son véritable propos. Elle propose une approche à la fois scientifique et philosophique de ce phénomène : elle rappelle la réalité d'une conscience individuelle et la capacité de chaque homme à la reconnaître ; et conclut sur ce que la vision du monde völkisch vise à interdire cette prise de conscience.

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Date de parution 13 avril 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9782140147050
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

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Extrait

Leonore Bazinek
LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION AU DÉFI DE L’IRRATIONALITÉLa question de la conscience individuelle dans la philosophie de l’éducation de 1800 à l’ère contemporaine
Préface d’Emmanuel Faye
OUVERTURE PHILOSOPHIQUE Esthétique
Ouverture philosophique Collection dirigée par Dominique Chateau, Jean-Marc Lachaud et Bruno Péquignot Série Esthétique Une collection d’ouvrages qui se propose d’accueillir des travaux originaux sans exclusive d’écoles ou de thématiques. Il s’agit de favoriser la confrontation de recherches et des réflexions, qu’elles soient le fait de philosophes « professionnels » ou non. On n’y confondra donc pas la philosophie avec une discipline académique ; elle est réputée être le fait de tous ceux qu’habite la passion de penser, qu’ils soient professeurs de philosophie, spécialistes des sciences humaines, sociales ou naturelles, ou… polisseurs de verres de lunettes astronomiques. La série « Esthétique » vise la théorie de l’art ancien comme contemporain ainsi que la réflexion sur le goût et les pratiques esthétiques. Dernières parutions Marie-Clotilde ROOSE,Désir d’être et parole poétique,2020. Yohann GUGLIELMETTI,Silence, bruit et musique au cinéma, 2020. Daniel DEFAYS,Là où les sens se rencontrent, HarmonieS 1 et 2,2019 Bruno DESCHENES,Une philosophie de l’écoute musicale, 2018. Juan GARCÍA-PORRERO,Peinture et représentation. L’avènement pictural, 2018. Claude MOLZINO,Figures d’un monde en sursis. Un dialogue entre philosophie et photographies du temps présent, photographies de Matthias Koch, 2017. Hugues HENRI,L’art brésilien au féminin,2017. Gisèle GRAMMARE,Contrehorizon ou l’œuvre aux noirs, essai de peinture, 2016Xavier D’HÉROUVILLE,Les ménines ou l’art conceptuel de Diego Vélasquez, 2015. Doh Ludovic FIÉ,L’École de Francfort et la critique de la modernité. Le paradoxe de l’œuvre d’art, 2015.
Leonore Bazinek
LES SCIENCES DE L’ÉDUCATION AU DÉFI DE L’IRRATIONALITÉ La question de la conscience individuelle dans la philosophie de l’éducation de 1800 à l’ère contemporaine Préface d’Emmanuel Faye
Du même auteur
Ouvrages : Introduction à la philosophie de Friedrich D. E. Schleiermacher,Grin, 2010. Le `Cours magistral de Pédagogie’ de Friedrich D. E. Schleiermacher,ANRT, 2010. Penser avec Friedrich Wilhelm Nietzsche,Grin, 2009. Das Problem der Erkenntnis von Wahrheit im Feld der Begegnung von pluralistischer und biblisch-christlicher Weltanschauung, Roderer, 1990. En collaboration : Maintenant Henri Lefebvre. Renaissance de la pensée critique (avec Armand AJZENBERGet HuguesLETHIERRY),Harmattan, 2011. Bibliotheca Trinitariorum. International Bibliography of Trinitarian Literature(avec Erwin SCHADEL,Peter MÜLLERet DieterBRÜNN),Peter Lang, tome 1 :1984 ; tome 2 : 1988. © L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-18849-2 EAN : 9782343188492
Préface Les problèmes que posent les écrits des plus renommés parmi les auteurs nationaux-socialistes comme Martin Heidegger ou Carl Schmitt sont loin d’être aujourd’hui résolus. Le statut même du corpus constitué par leurs œuvres ne fait pas consensus. Certains ont longtemps considéré que le nazisme de ces auteurs ne concernerait que les péripéties de leur vie et de leur engagement politique, mais non le contenu proprement philosophique ou juridique supposé présent dans leurs écrits. D’autres ont prétendu reconstituer une « normativité » nazie à laquelle ces auteurs, classés dans les rangs de la « révolution conservatrice », n’auraient pas sérieusement pris part. Ces interprétations pouvaient tirer parti de la caution intellectuelle de Hannah Arendt qui, dans Les Origines du totalitarisme, soutenait en 1951 que ces « membres de l’élite » allemande n’auraient eu « absolument 1 aucune influence » sur le totalitarisme nazi. C’était alors le début de la Guerre Froide. La volonté de désigner l’Union Soviétique comme le seul et unique ennemi avait conduit les puissances occupantes de l’Allemagne Fédérale, tout particulièrement les États-Unis et la France, à réhabiliter et à intégrer dans ce nouveau combat bien des cadres intellectuels du Troisième Reich. C’est ainsi que son interdiction d’enseigner ayant été levée cette même année 1951, Martin Heidegger s’était vu élever au rang de référent pour le grand jubilé universitaire de l’année 1957-1958. Et c’est en vain qu’une citoyenne de Fribourg avait alors écrit une longue lettre de protestation au recteur Tellenbach : « Le référent de l’année du Jubilé n’est-il pas le même que le recteur des années du national-socialisme ? Ne fut-il paslerecteur national-socialiste dans l’histoire de notre Université ?
1  Hannah Arendt,Les Origines du totalitarisme, Paris, Gallimard, 2002, p.654.
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N’est-ce pas lui qui se tenait alors, dans cette conviction absolue qui est la sienne, devant nos étudiants allemands, leur maître scientifiquement vénéré maintenant en uniforme 2 brun ? » Un quart de siècle après son rectorat, le 27 juin 1957, l’ancien recteur national-socialiste était invité à parler à 3 Fribourg devant un auditoire de 4000 personnes. Cette consécration académique était intervenue deux ans après le colloque en son honneur de 1955, organisé en France à Cerisy par Jean Beaufret et Maurice de Gandillac. La réhabilitation ne connaissait plus de limites. Ces mêmes années 1950, deux juristes nationaux-socialistes de l’Université de Fribourg, Eric Wolf, disciple de Heidegger, membre comme lui du parti nazi, et Theodor 4 Maunz , disciple de Schmitt et auteur en 1943 d’une étude apologétique sur la Gestapo et la SS, œuvraient avec succès à la réintégration académique de l’un des juristes nationaux-5 socialistes les plus compromis, Horst Müller, lequel avait pris part, comme d’ailleurs Maunz lui-même, au congrès organisé par Carl Schmitt en 1936 contre l’influence de l’esprit juif dans la science du droit allemande. Certaines voix protestèrent, comme celle du pro-recteur Friedrich Oelckers, 6 qui parla à ce propos de « renazification », mais elles demeurèrent très minoritaires et sans grand effet à l’époque. Il importe de rappeler ces réalités pour comprendre la fortune après 1945 des auteurs nationaux-socialistes les plus renommés. Les recherches critiques sur Heidegger se heurtaient soit au silence, soit aux plus vives résistances et les
2  Voir Silke Seemann,Die politischen Säuberungen des Lehrkörpers der Freiburger Universität nach dem Ende des Zweiten Weltkrieges (1945-1957), Fribourg-en-Brisgau, 2002, p.349. 3 Ibid., p.350. 4  Sur le nazisme de Maunz, voiribid., p.99-102. 5 Ibid., p.304-305. 6 Ibid.
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7 publications de Jean-Pierre Faye en 1961, Pierre Bourdieu 8 9 en 1975, Victor Farias en 1987 et d’autres encore, demeu-rèrent longtemps des entreprises isolées. Quant aux travaux pionniers comme la vaste synthèse critique sur la vision du monde nationale-socialiste publiée en 1938 par le philosophe d’origine hongroise Aurel Kolnai,The War against the West, ils se voyaient ensevelis dans un oubli presque total. En 2005, dansHeidegger, l’introduction du nazisme dans laphilosophie, j’avais estimé nécessaire, au terme de plusieurs années d’investigations, de modifier le principe même de la recherche critique concernant cette question. Au vu des écrits nouvellement découverts, séminaires encore inédits et cours tout récemment édités, il ne s’agissait plus seulement de montrer la radicalité de l’engagement politique de Heidegger mais de remettre en question le fait de considérer commephilosophiquesles fondements d’une pensée aussi foncièrement eugéniste, antisémite et même potentiellement génocidaire lorsqu’il exhortait ses étudiants à se donner pour but, sur le long terme, l’anéantissement total de l’ennemi intérieur incrusté dans la racine du peuple allemand. Quelle était en effet cette « vision du monde historique », objet du « combat actuel » auquel se consacrait explicitement Heidegger dans le titre de ses conférences de Cassel d’avril 1925 ? Et que restait-il de l’autonomie de la philosophie si, comme il l’enseignait dans son cours de l’hiver 1928-1929, « le philosopher […] est possible uniquement sur le fonde-10 ment de la vision du monde entendue comme maintien » ?
7  Jean-Pierre Faye, « Martin Heidegger: discours et proclamations », suivi de « Heidegger et la Révolution »,Médiations, Automne 1961, p.139-159. 8  Pierre Bourdieu, « L’ontologie politique de Martin Heidegger »,Actes de la Recherche en sciencessociales, Année 1975, p.109-156. 9  Victor Farias,Heidegger et le nazisme, Paris, Verdier, 1987. 10  Martin Heidegger,Einleitung in die Philosophie (Wintersemester 7
En regard de ces interrogations, c’est toute la valeur de l’ouvrage de Leonore Bazinek que d’avoir systématiquement exploré les constituants de cette « vision du monde historique », laquelle s’est affirmée en Allemagne, dans les années 1920, bien au-delà du seul cas de Martin Heidegger. Celui-ci fut en effet devancé par les publications d’Alfred Baeumler, dont l’auteur montre à quel point il a ouvert la voie. L’apport sans doute majeur du livre de Madame Bazinek consiste dans la critique approfondie de l’œuvre de Baeumler, professeur de philosophie à l’Université de Dresde, très proche de Heidegger durant les années 1932-1933. L’auteur s’arrête tout particulièrement sur son ouvrage le plus connu, publié en 1923, réédité par Baeumler lui-même en 1967 et traduit en français en 1999 sous le titre : Le problème de l’irrationalité dans l’esthétique et la logique e du XVIII siècle, avec une courte note liminaire de Jean-Luc Nancy.s’est ensuite fait connaître par son Baeumler engagement national-socialiste, comme titulaire d’une chaire de pédagogie politique créée pour lui à l’université de Berlin au printemps 1933, puis comme « gardien de la vision du monde » aux côtés de Rosenberg, et animateur d’un nombre impressionnant de revues et colloques à prétention scientifique, destinés à consolider et à diffuser cette « nouvelle vision du monde » – ou NVM comme la désigne en raccourci Leonore Bazinek – nationale-socialiste. Celle-ci montre la profonde continuité dans la pensée et l’entreprise baeumlériennes, tout entières orientées par la volonté de mettre en œuvre et d’inculquer aux esprits, dès les années 1920, un nouveau paradigme. Baeumler nommera celui-ci tour à tour et selon les textes : « vision du monde 1928-1929), Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 1996, GA 27, p.398. Sur la « vision du monde » selon Heidegger, on peut se reporter aux analyses sur « La ‘vision du monde’ antisémite de Heidegger à l’ombre de sesCahiers noirs», in:Heidegger, le sol, la communauté, la race, E. Faye éd., Paris, Beauchesne, 2014, p.307-327. 8
historique », « nouvelle vision du monde », ou encore « vision du monde nationale-socialiste ». Sous couvert de ce qu’il nomme le « nouvel amour de l’individuel », lequel ne vaut en réalité comme tel que par antiphrase, il s’agit de détruire la notion même de conscience individuelle en promouvant la vision d’un individu « alogique », « sans concept »,ineffabile, par lequel « l’irrationalisme s’engouffre dans la conscience occidentale ». Baeumler utilise sa réécriture de l’histoire de la naissance de l’esthétique en Allemagne, pour promouvoir ce qu’il nomme la « conception historique du monde », qui recouvre en réalité un paradigmevölkisch, c’est-à-dire fondé sur une conception tout à la fois nationaliste et raciale du Volk germanique.Pour la première fois se trouve ainsi éclairée la déclaration au premier abord énigmatique par laquelle il concluait le premier paragraphe de son introduction de 1923 : « les révolutions les plus profondes et les plus durables sont celles qui se préparent dans l’ombre ».Après l’esthétique, Baeumler s’est emparé du médium des sciences de l’éducation pour propager dans les esprits le paradigme de la « nouvelle vision du monde ». Il a notamment fait un usage usurpé de l’œuvre du philosophe et pédagogue Johann Friedrich Herbart. C’est donc une question centrale qui se joue ici, à savoir comment le paradigme de la race a-t-il pu, avec Baeumler et Heidegger, pénétrer les sciences de l’éducation et la philosophie. A travers la confrontation entre Baeumler et Herbart, c’est également la question de l’influence et de l’interprétation de l’œuvre de Hegel qui est en jeu. Il est donc nécessaire de e remonter au début du XX siècle : tout un pan de la production de Baeumler est de ce fait exhumé pour être examiné de façon critique, à savoir ses éditions de Hegel dans les années 1922-27, aujourd’hui oubliées et éclipsées par le fait que l’on n’a généralement retenu de son activité
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éditoriale que ses éditions bien connues et ses commentaires de Nietzsche, réalisés à partir de la fin des années 1920. L’analyse critique de la pensée d’Alfred Baeumler dans son livre de 1923 permet de rectifier définitivement une erreur de perspective présente par exemple dans la thèse de Christian Tilitzki. Ce dernier présente en effet Baeumler comme ayant évolué « de la logique néokantienne de l’individualité à l’anthropologie politique de l’existence 11 völkischil est en réalité aussi peu néokantien que». Or possible, même si nous voyons Heidegger le brocarder 12 comme tel dans sesCahiers noirs. Cela se voit notamment à la façon très critique dont, dès l’Avant-propos auProblème de l’irrationalité,Baeumler reproche à Cassirer son « attitude 13 systématique et abstraite ». Leonore Bazinek démontre de façon convaincante que ce qu’elle appelle « l’implantation de la nouvelle individualité » par Baeumler n’a rien de kantien, encore moins de néo-kantien. La façon dont elle décèle la mise en place du paradigme de la « nouvelle vision du monde » dès leProblème de l’irrationalitéde 1923, pourrait servir de modèle pour une lecture fine d’Être et tempsde Heidegger, qui montrerait comment les existentiauxvölkisch, que l’on retrouvera dans les séminaires et cours des années 1933 et suivantes : l’historicité, le destin, le combat, la communauté du peuple, l’enracinement dans le sol, le choix du héros, sont déjà mis en place de façon plus euphémisée dès les écrits et les enseignements des années 1920. On ne
11  Christian Tilitzki,Die deutsche Universitätsphilosophie in der Weimarer Republik und im Dritten Reich, Berlin, Akademie Verlag, 2002, p.16. 12  « ein mit Nationalsozialismus aufgewärmter Neukantianismus »(Martin Heidegger,Überlegungen II-VI (Schwarze Hefte 1931-1938),Peter Trawny éd., GA 94, Francfort-sur-le-Main, Klostermann, 2014, p.94). 13  Alfred Baeumler,Le problème de l’irrationalité dans l’esthétique et la e logique du XVIII siècle, Strasbourg, P. U. de Strasbourg, 1999, p.22. 10
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