Les médiums
86 pages
Français

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Les médiums , livre ebook

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Description

Sur la base d'interviews données par des « médiums » connus, mais aussi d'entretiens semi-directifs avec des « médiums » de moindre notoriété, ce livre tente de présenter les principales caractéristiques et problématiques internes au phénomène social de la médiumnité, phénomène difficile à classer entre religion et expérience psychique qui continue de susciter la méfiance, et ne se laisse pas facilement encadrer par les confessions « institutionnelles ».

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2017
Nombre de lectures 7
EAN13 9782336788654
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture

Cover

4e de couverture

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Titre

 

Christophe Colera

 

 

 

 

 

 

 

Les médiums

Une forme de chamanisme contemporain

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

images1

Copyright

 

 

Du même auteur

Une communauté dans un contexte de guerre :
la “diaspora” serbe en Occident
,
Paris, L’Harmattan, 2003 (dir).

Individualité et subjectivité chez Nietzsche,
Paris, L’Harmattan, 2004.

La nudité, pratiques et significations,
Paris, Editions du Cygne, 2008.

Les services juridiques administratifs,
Paris, L’Harmattan, 2009.

Dialogue sur les aléas de l’histoire,
Paris, L’Harmattan, 2010.

Les tubes des années 1980,
Paris, Editions du Cygne, 2013.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© L’Harmattan, 2017

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.harmattan.fr

EAN Epub : 978-2-336-78865-4

Introduction

Les surprenants progrès matériels, et probablement moraux1, qu’ont permis les découvertes scientifiques et technologiques des quatre derniers siècles nourrissent aujourd’hui chez l’être humain d’immenses espoirs, et même des fantasmes de toute-puissance et d’éternité qu’exprime notamment le mouvement transhumaniste.

Cependant l’amélioration de la condition humaine se paye de graves inconvénients matériels (destruction de l’environnement, pollutions, auto-empoisonnement de notre espèce par l’alimentation notamment, augmentation des inégalités à l’échelle de la planète), et moraux (perte des repères, déracinement, stress), qui entretiennent un besoin de rêverie spiritualiste, et de ritualisation de l’existence qui, sans aller jusqu’à une nostalgie pour les vieilles religions institutionnelles, souvent répressives comme l’a été dans le passé par exemple la religion catholique, participe de ce « retour du religieux » qu’annonçait déjà au XXe siècle André Malraux.

Toutefois, si retour du religieux et des spiritualités il y a, illustré par exemple dans les classes moyennes européennes par la popularité de figures comme le Dalaï Lama, l’engouement pour les médecines douces, ou encore l’astrologie, la culture lettrée (et notamment universitaire qui conserve le plus de crédit dans l’espace public) prend soin d’éviter une trop grande valorisation de l’irrationnel. Comme le note la philosophe américaine Babette Babich : « Tout ce qui ne correspond pas aux conceptions dominantes et communément admises ou bien “reçues” est bien évidemment “mauvaise science” »2.

Cette marginalisation conduit d’ailleurs beaucoup d’esprits croyants ou superstitieux, à vivre leur foi comme une contre-culture. C’est particulièrement le cas en France où une conception très rationaliste de la laïcité domine les institutions républicaines, et, par voie de conséquence, tout l’enseignement public, notamment celui de la philosophie3.

Il en résulte que, sous peine de passer pour un esprit déviant ou dangereux, quiconque a suivi un itinéraire scolaire « classique » se doit d’afficher une forme de mépris amusé à l’égard de tout ce qui est défini comme spirituel et « paranormal ». Il en va ainsi des croyances religieuses « classiques » sommées de rester confinées dans la vie privée des gens (plus encore que leur vie sexuelle), et davantage encore de ces spiritualités qu’on ne peut rattacher à aucune « église » ou confession établies, et dans lesquelles la formation rationnelle enseigne à déceler une pente « sectaire » dangereuse pour la collectivité.

Dans le présent ouvrage, on voudrait s’intéresser à un des aspects de ce renouveau du religieux, qui précisément, en Europe du moins, suscitent la méfiance des gens lettrés, et ne se laissent pas facilement encadrer par des confessions « institutionnelles » comme le christianisme, l’islam, le judaïsme : il s’agit des médiums.

Par médiums on entend des personnes qui affirment disposer d’un don de perception particulier qui soit

1)

leur permet de « lire » dans les pensées de quelqu’un, à distance (et parfois à des milliers de kilomètres)4, ou à travers la manipulation d’un objet ou la fréquentation d’un lieu peuvent en reconstituer des pans de l’histoire5,

2)

leur permet de lire dans le passé ou l’avenir des gens,

3)

leur donne la possibilité d’entendre, ou de percevoir visuellement (ce que les médiums appellent les facultés de « claire audition » et de « claire vision »), voire par le toucher ou olfactivement, ou par diverses autres sensations, des présences d’êtres identifiés comme surnaturels (déités, esprits, âmes de défunts) et éventuellement d’en restituer la description et les paroles (ceux qui se dénomment parfois « médiums-spirites »).

4)

soit enfin leur confère une capacité d’action sur le corps ou l’esprit d’autrui (par le toucher, le regard, la parole) dans des formes suggestives qu’ils estiment thérapeutiques et qu’ils rattachent à leur capacité de percevoir au travers et au-delà de la matière visible.

La définition est donc large. À la limite, quiconque perçoit des présences « étranges » ou a des pressentiments du passé ou de l’avenir des gens qui semblent se vérifier peu ou prou (par exemple par des rêves nocturnes prémonitoires) peut revendiquer un statut de médium ou « d’apprenti médium ». L’appartenance à la catégorie dépend de l’auto-définition des acteurs sociaux.

De jure, les deux premières facultés sont indépendantes de toute référence religieuse, et d’ailleurs, certains médiums s’attachent à vouloir les séparer de la spiritualité en tentant même d’en vérifier la validité sur le terrain des sciences positives6. La capacité à percevoir des supposées entités de l’au-delà ou à les mobiliser à des fins curatives présuppose plus clairement la possibilité d’une vie après la mort, avec les implications qui en découlent.

Toutefois on est enclin à rattacher l’ensemble de ces dons revendiqués à un phénomène de religiosité dans la mesure où ceux qui estiment les détenir refusent la définition que les sciences dures (du moins les sciences newtoniennes, on verra l’ambiguïté que pose la physique quantique) donnent des lois de la matière, croient en une spiritualité qui transcende ces lois, et rattachent leurs « facultés » à cette spiritualité. Comme on le verra dans la présente étude, ceux qui font de la valorisation de ce genre de « don » une dimension centrale de leur vie (notamment ceux qui en font profession), très souvent la rapprochent même de formes de religiosités dissidentes des grandes religions instituées, des religiosités la plupart du temps très influencées par le New Age, ce mouvement syncrétique qui a connu un essor remarquable en Amérique du Nord et en Europe à partir des années 1960. Ils font même souvent de l’adhésion à cette spiritualité la condition même du développement ou de la conservation de leur « don » (ou de ce qu’ils identifient comme tel).

Il est difficile de quantifier le phénomène pour établir s’il est en expansion ou pas.

En ce qui concerne la France, aucune étude quantitative n’existe et l’on peut seulement recenser les représentations culturelles qu’il nourrit dans l’espace public, en particulier sur les forums d’Internet, blogs, réseaux sociaux, sites, et dans les émissions télévisées ou radiophoniques, les livres de témoignages, etc. En Italie, le marché des médiums était évalué en 2015 à 4,5 milliards d’euros par an – un chiffre qui peut être comparé au marché des produits minceur évalué à 3 milliards d’euros par an en France – correspondant à 33 000 personnes chaque jour, avec un âge moyen de 47 ans et 51 % de femmes selon l’Osservatorio Antiplagio7. Par ailleurs, on sait qu’en 1998 10 % des Britanniques fréquentaient régulièrement un médium8.

Dans le présent ouvrage, on s’efforcera de fournir du phénomène une approche principalement sociologique : il s’agira de présenter les ressentis et pratiques d’acteurs qui me paraissent représentatifs du milieu étudié. Cet angle se doublera d’un aspect philosophique dans la mesure où nous étudierons aussi le discours intellectuel ou semi-intellectuel que nourrit la pratique des médiums, et son positionnement à l’égard des religions institutionnelles, des sciences, de la morale et de la politique.

Pour ce faire, il me faut préciser à partir de quelle position je souhaite aborder ce propos. Bien qu’élevé dans la religion catholique populaire (dans la France semi-rurale des années 1970) durant mon enfance, j’ai pris mes distances à l’égard de tous les cultes durant mon adolescence. J’ai fait une maîtrise de philosophie sur Nietzsche à 22 ans, puis n’ai cessé de laïciser ma pensée au contact des sciences sociales (j’ai passé mon doctorat en sociologie en 2006), de conversations personnelles avec des scientifiques militants de l’athéisme proches de Noam Chomsky et de lectures diverses autour de cette mouvance.

Je n’aurais sans doute jamais cherché à m’intéresser à ce milieu des médiums si un événement étrange n’était survenu dans ma vie, le 18 février 2014.

Je traversais alors une phase psychologique extrêmement difficile, à la suite d’un choc émotionnel grave. Les antidépresseurs ne parvenant pas à me remettre à flot, une correspondante rencontrée sur Internet m’avait mis en contact avec un « magnétiseur » que je rencontrai ce jour-là près de la gare Saint-Lazare à Paris pour un simple déjeuner (et non pas pour suivre une séance avec lui, car je ne souhaitais pas du tout mettre mon sort entre les mains de ce genre de personne). Après le repas dans une brasserie bondée, cet homme de 37 ans, avec qui je n’avais eu qu’un échange très formel et qui ne me connaissait pas, me proposa de prendre un verre dans un pub voisin plus calme. Là, soudain, assis dans le silence en face de moi, il me débita tout à trac, sans que je lui aie rien demandé : « Je vois beaucoup de choses sur toi. Je vois une enfance trèssolitaire. Tu as eu une mère étouffante, tu as fait toutes tes études pour faire plaisir à ta mère, alors que tu te serais contenté d’un travail manuel ou humble ; ton père était assez absent, ton grand-père le remplaçait, ton grand-père est mort quand tu avais 14-15 ans. Il a essayé de te parler depuis lors, dans tes rêves. Tous ces messages me sont délivrés par des esprits pour te signaler qu’ils sont là. Je pourrais t’en faire connaître davantage mais pour le moment je ne le fais pas car je ne veux pas te déstabiliser ».

Je n’aurais point été impressionné si ces phrases procédaient d’une pure déduction psychologique à partir de mes mots, ou de mes comportements. Toutefois, je n’avais rien dit sur mon enfance à cet homme que je rencontrais pour la première fois et avec qui je n’avais qu’une vague (et récente) connaissance commune. Notamment cet homme n’avait aucun moyen d’apprendre d’une manière rationnelle le fait que mon grand-père maternel soit décédé en août 1985, juste avant mon 15e anniversaire (c’est-à-dire, quand je n’avais ni tout à fait 14 ans, ni tout à fait 15 ans), une information qui, certes, figure dans un de mes livres, mais il n’avait jamais eu accès à mes publications, et je sais que la personne qui m’avait donné ses coordonnées, bien qu’elle eût acheté cet ouvrage et parcouru mon blog, n’avait certainement pas évoqué mon enfance avec lui (elle me confirma d’ailleurs en 2015 qu’elle n’avait pas vu la mention de la mort de mon aïeul dans mon livre qu’elle a juste survolé, n’y voyant pas non plus les mentions pourtant insistantes que j’y faisais au sociologue Pierre Bourdieu dont le nom ne lui disait rien). Les seules explications à la perspicacité de ce médium selon les règles de la causalité « classique » seraient particulièrement coûteuses : il faudrait supposer par exemple que cet homme travaille pour les services secrets, ou qu’il ait entamé depuis longtemps une filature à mon sujet en instrumentalisant notre vague connaissance commune pour me rencontrer, ou encore, qu’en buvant une bière avec moi, il m’ait hypnotisé à mon insu pour me faire parler de mon enfance, puis m’ait réveillé sans que j’en prenne conscience et se soit ensuite contenté de répéter ce que je lui avais confié sur moi sous hypnose. On voit bien que toutes ces hypothèses sont extrêmement difficiles à concevoir du point de vue du sens commun, même si je n’ai pas les moyens de démontrer avec une parfaite rigueur qu’elles sont fausses. Il en va de même pour les aspects moins précis, plus subjectifs, comme l’appréciation selon laquelle j’aurais bien vécu dans une fonction sociale plus modeste, voire que j’eusse été à l’aise dans une vie de travailleur manuel, ce que je n’ai jamais écrit nulle part et n’avais point dit à ce médium ni à notre connaissance commune.

Comme dans tout le reste du livre, je me garderai de prendre parti sur cette anecdote. Autrement dit, bien que je souligne que les explications du point de vue de la rationalité stricte sont difficilement soutenables dans l’état actuel des connaissances, je n’entends pas pour autant dire que cet homme avait « raison » de croire ou de sentir que, par ces paroles, il portait la voix des « esprits ». Au mieux, ce que je peux faire le concernant, c’est dire comment il en était venu à se sentir en capacité de dire des choses de ce genre à des gens qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant, comment il vivait cela, et quelles questions pouvaient susciter les croyances auxquelles il rattachait ses dons (notamment les questions autour des rapports esprit/matière, sujet/objet, individu/totalité, conscient/inconscient).

Peu de temps après, une femme qui se faisait soigner par une « médium-guérisseuse » m’écrivait : « Jusqu’à présent lors des séances avec elle, j’avais vu des paysages (toujours des bords de mer), mais cette fois-ci c’était très différent ! Au début, je voyais des boules qui étaient vertes et translucides, comme suspendues dans le ciel et l’eau de la mer s’est élevée pour former des triangles très pointus, bleus. Puis le paysage a complètement disparu pour ne laisser place qu’aux boules et aux triangles. Vers la fin, les triangles sont devenus multicolores, comme l’arc-en-ciel, mais en beaucoup plus brillants, et le plus étrange que j’aie vu (juste avant la fin du soin), c’est une boule multicolore qui tournait très lentement sur elle-même, et tandis que je la regardais, elle s’est ouverte et un rayon de soleil en est sorti dans ma direction. Ça m’a éblouie et à ce moment-là j’ai ressenti une tension dans tout mon corps pendant quelques secondes. Ce qui a été étrange aussi, c’est qu’à plusieurs moments je me suis vue et j’ai vu la guérisseuse, dans la pièce au moment où elle me faisait le soin, mais sous des angles différents. Elle m’a dit (et c’est vrai), que ce sont des images que l’on peut voir aussi juste avant de s’endormir, lorsqu’on est dans un état de semi-conscience. »

Enfin, fin 2014, une amie franco-ivoirienne, un mois et demi après que je lui eusse raconté mon histoire du 18 février 2014, rencontra par hasard dans une fête une amie d’une sienne cousine, près de Grenoble, qui s’est mise à lui parler au nom de son père (décédé quand elle avait onze ans, en 1987) dont le spectre (appelons-le ainsi), disait-elle, était présent derrière elle. Comme dans mon cas, la « présence », qui a inspiré cette femme lui a raconté divers faits exacts (et connus de cette seule amie, alors qu’ils ne pouvaient l’être « rationnellement » par la médium, ce qui explique que cette amie leur ait prêté attention) sur son enfance. Elle lui a aussi révélé des détails dont elle n’a pu vérifier la teneur qu’ultérieurement, et lui a prescrit diverses mesures (notamment celle d’aller entretenir sa tombe, dont le « fantôme » de son père lui a enseigné précisément la localisation en Afrique).

Cette expérience du 18 février 2014 que j’ai prolongée par des soins chez des médiums permettra d’ajouter à ce travail une dimension d’observation participante, méthode fréquemment utilisée en ethnologie et en sociologie qualitative. Ce vécu personnel ou les témoignages comme ceux que je viens de citer rejoignent de nombreuses expériences comparables qui, du fait de l’impossibilité de les répéter à l’identique, ne pourront jamais acquérir aucun statut de vérité scientifique.

Un sociologue peut néanmoins expliciter l’imaginaire et les pratiques qui encadrent leurs conditions de possibilité (en quelque sorte l’arrière-plan pratico-discursif au sein duquel ces expériences adviennent). Je me propose ici de le faire à partir d’une étude qualitative qui, autour de quelques médiums ou apprentis médiums, fera apparaître des convergences suffisamment fortes pour qu’on puisse y voir des caractéristiques structurantes de l’ensemble du milieu de la « médiumnité » auquel ils se rattachent.

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