40 ans de slogans féministes
123 pages
Français

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Description

Les quelque 600 slogans ici rassemblés tracent le fils rouge des combats féministes en France entre 1970 et 2010. Paroles vivantes scandées, criées, chantées dans les manifestations, ces "mots de désordre" témoignent de la créativité sans cesse renouvelée des innombrables actrices d'une histoire collective. La manifestation féministe innove dans la longue histoire des rassemblements militants.Š

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2011
Nombre de lectures 94
EAN13 9782296473454
Langue Français
Poids de l'ouvrage 16 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

40 ANS DE SLOGANS FÉMINISTES
1970/2010

CORINNE APP
ANNE-MARIE FAURE-FRAISSE
BÉATRICE FRAENKEL
LYDIE RAUZIER
" Nos drapeaux sont des foulards à fleurs ",
Les manifestations du MLF
Béatrice Fraenkel


La manifestation est devenue en quelques années un véritable objet de recherche : historiens et politiste sont engagé les premiers travaux, enrichis depuis peu d’approches sociologiques et ethnographiques {1} . La manifestation féministe est considérée par les spécialistes comme un phénomène remarquable, marquant un tournant dans les manières de manifester. Car slogans, banderoles, tracts, chansons, actions et tous les éléments constitutifs des rassemblements ont été réinventés dès les débuts du MLF, dans les premières années de la décennie soixante-dix. La manifestation féministe innove, elle est un événement au sein de la longue histoire des manifestations militantes {2} .


SLOGANS : LES MOTS ET LES CHOSES

Les slogans, célébrés dans cet ouvrage, constituent une sorte de trésor du féminisme. En France, lors de la première action publique et médiatique à l’Arc de Triomphe le 26 août 1970, une banderole affirmait : "Un homme sur deux est une femme." Phrase frappante, amusante, elle fait partie de la mémoire collective du MLF et, bien au-delà, elle caractérise en partie la lutte des femmes. Or cette phrase est faussement simple car elle est à la fois vraie et fausse. Tout dépend de la définition que l’on donne du mot "homme". Le paradoxe qui s’y loge donne le ton : les féministes aiment les jeux de langage. Le fameux "Une femme sans homme c’est comme un poisson sans bicyclette" procède de la même veine, un rapport ludique à la logique, mais ici c’est l’analogie qui sert la cause. Bien d’autres ressources sont exploitées : populaire comme le "Ben quoi les femmes ?", scientifique : "Existe-t-il des hétéro sapiens ?" sans compter le plaisir des détournements "Je suis une femme, pourquoi pas vous ?" (réponse au "Je suis communiste pourquoi pas vous ?" du PCF), "Je ne suis pucelle que tu crois", etc. Dans un autre registre, la simplicité d’énoncés tels que "Notre corps nous appartient", "Notre ventre est à nous" ne doit pas être sous-estimée. Ces slogans sont autant de formules saillantes, incisives et efficaces.
Les slogans sont aussi des enjeux politiques. Le 5 octobre 1975, en soutien à des militants basques emprisonnés, se tient à Hendaye une manifestation internationale de femmes. Elle se termine par un débat houleux entre manifestantes {3} . Les positions sont tranchées. Les unes regrettent que la marche n’ait pas été silencieuse, d’autres récusent l’emploi d’un certain nombre de slogans. Des formules comme "Franco assassin" apparaissent aux unes comme des "slogans de mecs" qui n’ont pas leur place dans une manifestation de femmes. D’autres, militantes des groupes maoïstes et trotskistes, jugent obscènes des énoncés comme "Le machisme fait le lit du fascisme" ou "Le fascisme est un viol permanent – Le viol est un fascisme non reconnu" {4} . Une femme s’interroge : "Qu’est-ce qu’une manif féministe ?" Réponse : "C’est là où on ne crie pas la même chose !" Les slogans ne sont pas seulement contestés au nom de choix politiques divergents, ils le sont aussi formellement. Le modèle du mot d’ordre, hérité du militantisme traditionnel, doit être dépassé. Le slogan fameux, "Les sorcières peuvent aussi guérir les maux d’ordre", l’affirme sans ambiguïté.


En 1979, un premier inventaire de slogans paraît dans Le sexisme ordinaire. Classés par ordre alphabétique, de nombreux énoncés sont datés et resitués dans leur contexte d’apparition. La liste établit des distinctions entre les "mots ou slogans et autres mots de désordre", d’une part, et "les mots qui s’obstinent à rester d’ordre, ou ceux dont le ridicule tuerait même les sexicides si elles les laissaient faire" {5} .
En 2011, sans prétendre à l’exhaustivité, le corpus recueilli est beaucoup plus important (environ 600 slogans). Photos, vidéos militantes, archives, ouvrages, de nombreux documents ont été exploités pour réaliser l’inventaire. Sa publication montre que la valeur attribuée depuis les débuts du MLF à la création de nouvelles formes militantes s’est maintenue quarante ans durant. L’atelier d’écriture féministe n’a jamais cessé de produire la langue de ses combats. Après quarante ans de luttes, il est temps d’en constituer l’archive.


UNE CULTURE GRAPHIQUE

Or, si les slogans ont été assez vite thésaurisés, leur forme graphique a moins attiré l’attention. Pourtant l’impact des formules ne peut être complètement dissocié des formes matérielles qui les ont incarnées. Les militantes qui racontent la manifestation historique du 20 novembre 1971 dans Le torchon brûle n° 3 {6} décrivent à la fois les mots et les choses : "Dès la République, des attroupements se sont formés autour de la multitude de pancartes très colorées posées autour du métro. Succès de curiosité, discussions ; tout le monde veut des tracts […] Tout à coup, deux femmes arrivent avec une magnifique gerbe de fleurs en papier et une grande pancarte en forme de faire-part ‘Plusieurs milliers de femmes chaque année sont victimes de l’avortement clandestin’ […] Nos drapeaux sont des foulards à fleurs ; des centaines de ballons couverts de slogans seront lâchés. Des pancartes en forme de figurines représentent les institutions répressives : un médecin surmonté des mots ‘au nom de la vie ?’; un prêtre ‘au nom de Dieu ?’; un patron ‘au nom du fric ?’; un juge ‘au nom de la loi ?’; une image de femme porte : ‘Ils ne décideront plus pour nous.’ Des dizaines de pancartes couvertes de dessins reprennent tous les thèmes : ‘Double travail / demi-salaire ’, ‘ Libérez les inculpés pour avortement ’, ‘ Famille-pollution : à bas le pouvoir mâle ’, ‘ Enfants désirés : enfants aimés’…"
Cette description accorde une large place au matériel militant. La manière d’écrire, de fabriquer les panneaux, pancartes et banderoles, l’usage de dessins, de figurines : tout compte, tout fait sens. C’est un nouvel artisanat contestataire qui se déploie.
Lorsque l’on scrute les photos et les films en privilégiant cette perspective, il ne fait aucun doute que les formes des lettres, par exemple, sont en rupture avec celles des manifestations de 68. Les graphies féministes, souvent écrites en couleur, montrent des styles cursifs, familiers, très différents des lettres capitales à angles bien droits, typiques des inscriptions traditionnelles, largement utilisées par la gauche et l’extrême gauche. L’usage de marionnettes, d’images publicitaires détournées, de ballons, de déguisements renforce le décalage : la nature spectaculaire de tout défilé est non seulement assumée par les femmes mais elle est transformée en arguments. Le MLF se distingue de tous les autres mouvements de contestation. Or, ces formes nouvelles ont choqué et parfois ont profondément troublé les militants traditionnels.


Le film Où est-ce qu’on se mai ? tourné par le collectif Les Muses s’amusent {7} nous montre en une longue scène le tout début de la manifestation du 1 er mai 1976. Nous y voyons les manifestantes arriver petit à petit, seules ou en groupe, avec leurs panneaux, leurs banderoles, leurs pancartes. La caméra se promène, capte ce foisonnement d’objets plus ou moins bricolés, de lettres, de couleurs qui s’affichent librement. Certaines fabriquent leur panneau sur place, juste avant de partir. Les commentaires fusent : "Tu as vu là bas ? ‘Matérialisme Hystérique’, c’est formidable !" Tout le monde regarde, apprécie, rit. Plusieurs groupes répètent des chansons.
Cette manifestation du 1 er mai a donné lieu à des heurts violents entre féministes et cégétistes. Dans leur film, loana Wieder et Delphine Seyrig ont recueilli les témoignages de plusieurs femmes syndiquées. L’une explique combien le slogan "Oui papa, oui chéri, oui patron – Y’en a marre !" a choqué les hommes de la CGT {8} . En quelques mots, elle résume le face-à-face entre les deux groupes : "Le cortège était différent des autres. Les autres ils avaient des banderoles rouges et des

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