Consentir, adhérer, s opposer
144 pages
Français

Consentir, adhérer, s'opposer , livre ebook

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Description

Le consentement fait question dans nos sociétés : nous avons changé de registre de valorisation et de justification sur la scène publique et dans l'espace privé. Nous avons également tendance à considérer la forme juridique comme une protection aux incertitudes du consentement. Enfin, le consentement passif ou implicite est l'objet de controverses en raison de la pluralité des interprétations. Nous consentons néanmoins et nous ne saurions nous en dispenser. Nous nous opposons parfois et refusons de consentir. Nous sommes confrontés à la question la plus élémentaire ; un « pourquoi ? ». Consentir suppose d'être en mesure de répondre, d'ignorer la question ou de la dépasser.

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Date de parution 18 mars 2019
Nombre de lectures 2
EAN13 9782140116902
Langue Français

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Extrait

Claude Giraud
Consentir, adhérer, s’opposer Contribution à une sociologie de l’engagement
L O G I Q U E S S O C I A L E S
Consentir, adhérer, s’opposer Contribution à une sociologie de l’engagement
Logiques sociales Collection dirigée par Bruno Péquignot En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si la dominante reste universitaire, la collection « Logiques Sociales » entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale. En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques. Dernières parutions Lucie France DAGENAIS,L’art à Vienne et l’unité de l’empire (1897 à 1905), 2019. Janina GLAESER,Politiques ducareen France et en Allemagne. Parcours des assistantes et assistants maternels issus de l’immigration, 2019. Paul GRELL,Les modes de débrouillardise des jeunes chômeurs,Chômeurs pendant la crise des années 80,2019.Isabelle PAPIEAU,Les représentations du monde rural, Des arts antiques à la télé-réalité, 2018. Piero-D. GALLORO (dir.),Conflictualités, représentations et médiatisation de la violence et de la radicalisation, Radicalisme(s), radicalisation(s),radicalité(s), violence(s),2018. Piero-D. GALLORO (dir.),Discours et parcours de radicalisation et de violence,Radicalisme(s), radicalisation(s),radicalité(s), violence(s),2018. Bernard HILLAU,Le livre de la compétence, Trajectoires d’acteurs et changement social, 2018. Patrick GABORIAU,Le terrain anthropologique,Archéologie d’une pratique,2018. Gabriele PINNA,Travailler dans l’hôtellerie de luxe. Une enquête ethnographique à Paris, 2018. Michèle BOKOBZA,Madame la comtesse de Gasparin. e Protestantisme radical, genre et pèlerinage au XIX siècle, 2018.
Claude Giraud
Consentir,adhérer, s’opposer
Contribution à unesociologie de l’engagement
Du même auteur Bureaucratie et changement, le cas de l’administration des télécommunications, L’Harmattan, collection Logiques sociales, Paris, 1987. L’action commune, essai sur les dynamiques organisationnelles, L’Harmattan, Paris, 1993. Concepts d’une sociologie de l’action, introduction raisonnée, L’Harmattan, Paris, 1994. Histoire de la sociologie(1997), PUF, coll. « Que sais-je ? », Paris, 2004. De l’espoir, sociologie d’une catégorie de l’action, L’Harmattan, collection Logiques sociales, Paris, 2007. Acerca del Secreto, Biblos, Buenos Aires, 2007. Laslógicas sociales de la indiferencia y de la envidia., contribución a una sociologia de las dinamicas organizacionales y de las formas del compromiso,Biblos, Buenos Aires, 2008.Del Ahorro y del Gasto, Sociologia de la organizacion y la institucion, Biblos, Buenos Aires, 2010. De la dette comme principe de société, L’Harmattan, collection Logiques sociales, Paris, 2009. De la trahison,L’Harmattan, collection Logiques sociales, Paris, 2010. Qué est el compromiso ?,UNSAM Edita, Buenos Aires, 2013. Que faisons-nous lorsque nous organisons ?,L’Harmattan, Paris, 2012. De la suspicion, L’Harmattan, Paris, 2013. Qu’est-ce qui fait société ?,L’Harmattan, Paris, 2014. Qu’est-ce que transmettre ?,L’Harmattan, Paris, 2015. L’ordre social, L’Harmattan, Paris, 2017 © L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-17030-5 EAN : 9782343170305
Introduction
Mon interrogation sur le consentement fait suite à mes précédents travaux sur l’engagement, l’indifférence, la suspicion et d’une façon plus large, sur les raisons d’agir. Leur continuité tient ici d’une évidence. On ne saurait, en effet, consentir à accorder sa confiance à quelqu’un que l’on suspecte de dissimulation. On ne saurait consentir dans l’indifférence absolue d’informations permettant d’être éclairé sur le contexte et les protagonistes d’un futur contrat. On ne saurait consentir sans un espoir minimum et/ou sans croire que cet abandon volontaire doublé d’un quasi-engagement qui caractérise le consentement, soit propice à l’émergence d’un état souhaitable, préférable et profitable. La continuité de mes travaux tient à ces quelques articulations.
Et pourtant, le consentement est singulier en ce qu’il contient sa propre logique de soumission, sa propre acceptation d’une démarche de séduction, de violence et de rationalité instrumentale. Le consentement n’est pas assimilable à une abdication. Il procède néanmoins d’une reconnaissance de la force d’argumentation d’autrui, de sa capacité de séduction et/ou de ce qui est supposé être tel. Le consentement nous interroge parce qu’il présuppose un individu capable d’agir en toute connaissance de cause. Il le présuppose ainsi en capacité de décider jusqu’à l’abandon d’une partie de cette même capacité au profit d’un autre, d’un projet, d’une promesse, d’un regard même. Il le présuppose en capacité de partager un projet, d’évaluer et de désirer.
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Cet individu en capacité est celui qui est identifié comme tel dans toute configuration démocratique, dans tout état de droit et ce dans les registres des rapports aux autres et aux institutions. Il n’en a pas toujours été ainsi. Le consentement a pu être le signe d’une dépendance statutaire, d’une croyance sans recherche de son bien-fondé, d’une acceptation sans contrepartie d’une hiérarchisation de la société. Il est devenu une forme d’indifférence sélective et mobile associée à un engagement paradoxal. Il existerait ainsi un glissement sémantique dans l’acception du consentement et dans la désignation des objets auxquels il s’applique, glissement qui ferait passer le consentement de l’ignorance au savoir, de la dépendance à l’échange, de la passion à la vertu éclairée par la raison, de l’excès à la tempérance. Et pourtant là encore, le consentement n’est pas réductible à un usage de la raison. On constate de nombreux cas de consentement qui procèdent de la soumission, du fanatisme, de l’idolâtrie. Le plus exemplaire est bien celui de ces étudiants qui consentent à un bizutage lors de leur entrée dans une école supérieure, alors même que leur modèle d’action est celui de la rationalité instrumentale. Le fanatisme est bien une autre forme de consentement à des passions destructrices.
Le consentement serait ainsi un révélateur de la puissance de l’autre, que celui-ci soit un simple individu ou qu’il incarne la puissance d’une institution. Mais il serait aussi le traducteur de cette forme grise entre l’indifférence et l’engagement, entre l’acceptation et le désir. La puissance de l’autre et/ou de cet «autrui généralisé» qu’est la société ne saurait exister sans le consentement qui met en scène cette oscillation entre l’individu rationnel et
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l’individu affecté par les passions, oscillation orchestrée par nos sociétés. On ne saurait ainsi faire l’impasse sur les principaux traits de notre société, celle à partir de laquelle il est possible de s’entendre sur les aspects contemporains du consentement.
Qu’est-ce qui a changé dans nos sociétés ?
L’émergence d’hommes et de femmes devenus des consommateurs ? La généralisation de l’effondrement des statuts des classes moyennes supérieures ? L’abandon de la verticalité dans les relations sociales au profit d’un accès aux autres moins formel du fait des technologies de l’information et de la numérisation ? La perte d’influence des vieilles nations occidentales intégrées dans l’Europe ? L’émergence de femmes comme acteurs sociaux à part entière ? La libéralisation des mœurs ? La nouvelle place des religions ? Le métissage des populations ? La perte de modèles alternatifs à la croyance libérale, elle-même mise à mal par les excès de ceux qui la traduisent concrètement ? Le décalage de plus en plus marqué entre les riches et les autres ? La centralisation du contrôle de l’information et des moyens financiers ? La production sans limite de normes régissant notre vie ? Le discrédit politique ?
Tout cela assurément au point que nous oscillons entre la modération et l’excès, entre l’indifférence et l’envie, entre la suspicion et l’adhésion sans mesure, entre l’espoir et l’aigreur à chaque fois que des changements se profilent. Il en est ainsi pour une série de raisons. En voici quelques-unes. Des avancées techniques ont eu pour effet de permettre la diffusion de n’importe que point de vue émis par n’importe quelle source sans qualité établie. Cette
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généralisation des avis a favorisé un relativisme et une suspicion sans autre fondement que celui d’un droit à croire ce que l’on veut croire. De vastes mouvements migratoires suivis, maladroitement le plus souvent, par des processus d’intégration ont par ailleurs suscité des réactions identitaires, nationales et parfois locales, alors même que les nations supposées être à même d’accueillir les migrants parce qu’elles sont elles-mêmes composées d’anciens migrants ayant fait souche, n’avaient pour objectif qu’une uniformisation des modes de vie dans le droit fil d’une économie ayant fait de cette uniformisation un marché. Nous vivons ainsi dans un ensemble de mondes emboités les uns aux autres formant un mécano tel que le changement de l’un risque d’affecter l’ensemble des autres parties de cet ensemble instable. Nous avons reconnu dans ces mondes uniformisés des spécifications fondées sur les genres au point parfois de tendre davantage les relations avec ceux identifiés comme appartenant à l’autre sexe. Nous avons érigé la responsabilité individuelle comme un principe absolu alors même que nous sommes à un moment où les individus ont moins de possibilités réelles de maîtriser leur devenir et d’être acteur de leur vie sociale. Nous avons dissocié la nature et l’humain au point de ne plus penser celle-ci que sous la forme d’une ressource et l’humain comme le seul détenteur de droits. Alors oui, nous avons consenti à tout cela. Mais le consentement dont il est ici question est-il du même ordre que celui que nous avons précédemment évoqué ? Nous confondons parfois le consentement avec une acceptation passive des évènements. On ne saurait pourtant assimiler totalement les deux attitudes. On ne saurait consentir aux effets pervers d’une action, d’une orientation politique, même si parfois, on peut déceler
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dans certains choix, dans certaines décisions, un véritable risque de retournement. On consent toutefois, de façon primaire, à mettre un terme à un débat, à une discussion. On consent à laisser filer une mise en garde parce qu’une autre échéance, une autre action, une autre demande nous semble plus importante que ce à quoi nous nous sommes engagés. Ce qui nous conduit à consentir de façon passive, c’est une lassitude, une autre obligation, un désintérêt immédiat, une cécité sociale. L’organisation des journées tend à rendre acceptable un désengagement partiel. Après tout, ceux qui ont élaboré un projet, qui prennent une décision engageant un collectif, peuvent sembler plus compétents dans leur domaine, que je ne le suis. Tel pourrait être le soliloque de celui qui consent. Consentir revient ici à laisser à d’autres le soin de décider, à laisser à celui qui en a le plus envie, le soin de se servir, à donner matière à son désir. Consentir à laisser s’exprimer une autorité sous la forme d’un rapport de pouvoir et/ou de puissance repose souvent sur de fausses bonnes raisons. Il n’y a là rien de bien nouveau à relireDe la servitude 1 volontaire ou contr’unde La Boétie . En fait ce n’est pas tant la passivité qui compte dans le consentement que le quasi-raisonnement qui le portede facto, raisonnement qui ne procède pas toujours ou pas seulement d’une démarche réfléchie, mais bien d’une incitation diffuse à raisonner de la sorte, incitation inhérente à l’organisation même de nos sociétés. En d’autres termes, un tel raisonnement n’est pas seulement subjectif mais commun. Consentir est en effet,
1  «Celui qui vous maistrise tant n’a que deux yeulx, n’a que deus mains, n’a qu’un corps et n’a autre chose que ce qu’à le moindre homme du grand et infini nombre de vos villes, sinon l’avantage que vous luy faites pour vous destruire. »Boétie, La De la servitude volontaire, Tel Gallimard, Paris, 1993 p. 87.
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