Ethnographie des Fusils Jaunes tome 2
242 pages
Français

Ethnographie des Fusils Jaunes tome 2 , livre ebook

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242 pages
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Description

Sous le titre Ethnographie des Fusils Jaunes, Serge Tornay a entrepris la publication de l'essentiel de ses journaux de terrain chez les Nyangatom de la basse vallée de l'Omo en Éthiopie, des carnets de route commencés en 1970. Le Tome I, paru en 2017, relate les premières missions en 1970 et 1971, et voici le Tome II qui retrace, pour 1972, les aléas climatiques et guerriers de la vie de ces pasteurs du monde nilotique. Les photographies intérieures reproduites en Noir et Blanc sont une source importante de connaissance d'un peuple demeuré à l'écart du monde extérieur jusqu'au début des années 1970.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2018
Nombre de lectures 2
EAN13 9782842807993
Langue Français
Poids de l'ouvrage 99 Mo

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Extrait

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Serge A.M. Tornay
Ethnographie des Fusils Jaunes Éthiopie II. 1972-1973
É
Ethnographie des Fusils Jaunes
Serge A.M. Tornay Ethnographie des Fusils JaunesÉthiopie II. 1972-1973
DU MÊME AUTEURVoir et nommer les couleurs,ouvrage collectif publié sous la direction de Serge Tornay, Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, Nanterre, 1978, LI, 685 p. Un système générationnel : les Nyangatom du sud-ouest de l'Ethiopie et les peuples apparentés,thèse d’État, 1989, Université de Paris X-Nanterre (6 volumes).Les Fusils Jaunes. Générations et politique en pays nyangatom (Éthiopie),Société Nanterre, d’ethnologie, 2001, 363 p., XVI planches photographiques, glossaire, index. Serge Tornay & Estelle Sohier,Empreintes du Temps. Les sceaux des dignitaires éthiopiens du règne de Téwodros à la régence de Täfäri Mäkonnen, Centre Français des Études éthiopiennes, 2007, 263 p. Ouvrage couronné du prix Albert Bernard de l’Académie des sciences d’outre-mer le 14 décembre 2007. Rencontres lumineuses au cœur de l’Afrique. Carnet de route Sud-Sudan (1980), Editions Sépia, Saint-Maur-des-Fossés, 2009, 183 p., cent-cinq photographies hors texte. Le Journal de Loceria, Chronique d’Éthiopie (1970-2000),Éditions du Parc, Sépia, 2012, 282 p., XXXII planches photographiques hors texte. Itinéraire nilotique, Afrique orientale,de vingt essais publiés entre 1975 et 2009, recueil Paris, Éditions Karthala, 2013, 350 p., XVI planches photographiques hors-texte. Ethnographie des Fusils Jaunes, Éthiopie, I. 1970-1971, Éditions Sépia, 2017. Cinquante-huit (1970) et trente-et-une (1971) figures et photographies hors texte. CONTRIBUTIONS À DES OUVRAGES RÉCENTSSerge Tornay, « Aux confins de l’Éthiopie, du Soudan et du Kénya : Un Béotien sur les traces de mégalithismes », inMégalithismes vivants et passés : approches croisées, Christian Jeunesse, Pierre Le Roux et Bruno Boulestin, Archaeopress Publishing Ltd, Oxford, 2016. Serge Tornay, « Les appuis-nuque, dessupports de rêveempêchent de rêver », objets qui de la collection du Bourg de Bozas, inAppuis-nuque de la Corne de l’Afrique, Odilon Audouin, Éditions Toguna, 2016. Serge Tonay,Préfaceet « La Collecte des objets », inMission scientifique en Afrique centrale du vicomte Robert de Bourg de Bozas 1901-1902, Hubert Verneret,Camosine, Les Annales du pays nivernais, 2016. © Sépia, 2017 ISBN : 979-10-334-0132-2 EAN : 9791033401322
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1.1972. DÉFAITE ET RÉSILIENCE
11 juillet 1972. Comme l’an passé, nous sommes revenus par le Kénya et non par l’Éthiopie, qui ne dispose pas de pistes carrossables pour atteindre la vallée de l’Omo : nous sommes donc passés par Kitale, Amudat, Lodwar, Lokitaung dans le Nord Turkana, d’où nous avons plongé vers le lac Turkana, par Todenyang, poste frontière kényan, puis par Namurupus, la porte de l’Éthiopie. Le pays dassanetch paraît moins brûlé que l’an passé à pareille époque, mais les établissements nous semblent, comme l’an passé, très agglomérés autour de deux pôles, la mission américaine sur le bord de l’Omo, et Kalam, le poste éthiopien principal de la basse vallée de l’Omo. Le camp français est déjà installé depuis quelques jours. Nos amis semblent gênés de nous accueillir, Martine et moi, les ethnographes, car il y a du malheur chez nos Nyangatom : la guerre avec les Marile. Des nouvelles alarmantes circulent, massacres, déplacements... Qu’est-il arrivé ? Notre première démarche nous conduit bien sûr à Shungura. Aux abords de Lokitala, le village de Lokitoy, règne un étrange silence. Personne n’a repéré notre arrivée en Land Rover. Nous nous approchons, pour nous rendre à l’évidence : le village est abandonné ! Nous le parcourons en éprouvant un malaise indéfinissable : le chaume des huttes a pris cet aspect grisâtre, délavé, tandis que les ogives ont perdu leur aplomb, se sont incurvées aux points faibles des carcasses. Tout ce qui est fait de main d’homme est en train, bizarrement, de fondre, de prendre les apparences d’une pâte molle, qui est en réalité de la poussière. Et cette minéralisation se produit curieusement au milieu d’une fête végétale : les sentiers sont devenus des allées de verdure et de fleurs, sur lesquelles on hésite à marcher. Les huttes de nuit sont closes avec soin, un piquet retenant les petites portes de vannerie et de chaume.
Mais la végétation a gagné l’intérieur des paravents, et même de certaines huttes-cuisines, dont la toiture légère laisse filtrer la lumière. On nous avait dit au camp américain, installé cette année avant le camp français, que des pluies importantes étaient tombées vers le 20 juin : un demi-pouce d’eau trois jours d’affilée. Voici donc, dans Lokitala déserté, la revanche végétale. Mais ces pluies n’auront-elles pas favorisé, du côté de Kibish, la grande attaque dassanetch dont on nous dit qu’elle aurait coûté la vie à quatre centaines de Nyangatom... Cependant le village de Lokitala paraît déserté depuis plusieurs mois, peut-être depuis avant la dernière saison de pluies, mars-avril de cette année. Mais il s’agit ici d’un abandon concerté, méthodique, et non pas d’une fuite due à la surprise d’une attaque : nulle trace de combat, de destruction. Des huttes closes, mais pratiquement vides : elles ne contiennent plus aucun ustensile de valeur. On trouve bien sûr quelques calebasses usagées, des tessons de marmites, de vieilles cuillers ; mais rien ne suggère des passages, une surveillance humaine. Le village de Latira, celui de Shungura sur l’Omo, est·déserté lui aussi. Mais il nous réserve une surprise de plus : l’an passé, ce village s’était notoirement agrandi. Eh bien nous découvrons aujourd’hui que toutes ces adjonctions ont été, disons, déconstruites. Non pas démolies, ni incendiées, à moins que les pluies n’aient déjà oblitéré les marques d’incendies légers. Le terrain est net, et déjà recouvert de végétation. Les huttes subsistent dans le quartier de Latira, de Lolabbe, de Nyoputa, soit le cœur du hameau trouvé en 1970 ; mais il subsiste encore le quartier de Loriep, la cuisine multiple des femmes du côté de chez Pireni. Nous y recueillons une marmite fêlée, dont l’intérêt ne peut plus être que muséographique. Nous reconnaissons, chez Latira, l’emplacement où nous avons campé. Comme à Lokitala, les huttes ont été vidées de tout objet utile, refermées avec soin. Nous notons quelques charmes au-dessus de certaines portes : un fragment de la tige quadrangulaire d’une Euphorbe, des coquilles d’œufs enfilées sur des baguettes. Près d’une haie, une sépulture a été ouverte ; le crâne et les ossements sont répandus, en désordre, sur le côté. Ces restes suggèrent qu’il s’agissait d’un enfant, plus probablement d’une fille, de huit à dix ans. L’hyène a dû profiter du départ des hommes... Mais c’est étrange, l’excavation a la forme ovale et régulière d’une tombe fraîche. C’est comme si la terre avait sauté comme une croûte lorsque le corps a été arraché du lieu de son repos, à une faible profondeur. S’agirait-il d’une violation, de la part des Marile ? Rien ne le prouve, bien que nous trouvions finalement des indices certains de visites humaines : des chiques assez fraîches de tiges de sorgho. Peut-être les pêcheurs dassanetch continuent-ils à remonter le
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fleuve, peut-être campent-ils aux abords du village déserté où, l’an passé encore, ils venaient danser avec les filles... Et cependant l’Omo, indifférent, impassible, roule silencieusement ses flots brunâtres sous le soleil. Nous quittons ces lieux, la mort dans les yeux. Shungura déserté marquera de son signe notre troisième séjour chez les Nyangatom. De retour au camp, nous essayons de glaner des informations. Les Américains, arrivés les premiers, campent comme d’habitude à quelques km au nord du camp français. Je recueille chez eux au moins deux versions différentes des événements. Selon la première, les Nyangatom auraient tué une fille marile ; l’attaque du côté de Kibish, qui aurait fait quatre cents morts, aurait été la vengeance des Marile. Selon l’autre version, la cause du conflit aurait été le refus, de la part des Nyangatom, de laisser abreuver, au sud de Kanyi Kany, le bétail dassanetch. L’attaque aurait bien eu lieu, non pas sur l’Omo, du côté de Kanyi Kany, mais à Kibish. Là, les Nyangatom se seraient repliés au nord. Il n’y aurait plus personne aux alentours du poste éthiopien. Ces informations auraient été obtenues du lieutenant Joseph, à Kalam. 12 juillet 1972. Je profite d’un aller-retour d’une Land Rover du camp jusqu’à Kalam. Là, je réussis à rencontrer, pour quelques instants, le lieutenant Joseph, qui se veut non seulement un militaire, mais unsocial worker, formé à l’université d’Addis Ababa. Il est très préoccupé car il attend la venue, en liaison avec les événements meurtriers, de hauts personnages, civils et militaires. Il me confirme la réalité de l’attaque dassanetch à Kibish, son caractère massif, sans pouvoir chiffrer d’aucune manière le nombre de victimes. Selon lui, la situation actuelle est en bonne voie, comme on dit au lendemain d’un désastre qu’on aurait tendance à minimiser. Ces jours prochains, le lieutenant compte accompagner à Kibish le gouverneur de la province, de même qu’un gradé de l’armée. Il voudrait organiser une réconciliation 1 en réunissant, à Kibish, les anciens des Dassanetch et ceux des « Bume » Il annonce la venue d’une « équipe médicale, d’au moins une personne », pour soigner les blessés. Pour l’instant, Dieu soit loué, il n’y aurait pas d’épidémies chez les Bume. Le lieutenant reconnaît que, côté dassanetch, on craint des raids de vengeance : c’est pour cela que les camps dassanetch sont si denses autour du poste de Kalam. Ce détail met en évidence le rôle éminent du gouvernement impérial dans la
1  Dans l’administration, on continue de nommer nos Fusils Jaunes, non pas Nyangatom, comme ils se nomment eux-mêmes, mais toujours Bume, nom issu d’un sobriquet,KumouHum, en usage au Sud-Soudan pour désigner les Toposa, les Jiye et d’autres Paranilotes du Centre (groupe karimojong).
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