Intermède en psychiatrie
265 pages
Français

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Intermède en psychiatrie , livre ebook

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Description

A travers une quête effrénée pour échapper au suicide, Marie nous apporte son témoignage sur la vie quotidienne d'une clinique psychiatrique. Contre toute attente elle s'y est trouvée plongée pendant près de soixante-dix jours. La qualité très relative des soins qu'elle y a trouvé témoigne d'une politique thérapeutique dont la logique pourrait bien être axée prioritairement sur la rentabilité. Dans ce contexte, quel soutien médical digne de ce nom peut on réellement espérer ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 novembre 2010
Nombre de lectures 90
EAN13 9782296711471
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Intermède en psychiatrie
Mourir sans y laisser la vie
Marie Cédy
Intermède en psychiatrie
Mourir sans y laisser la vie
© L’Harmattan, 2010
5-7, rue de l’Ecole polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-13329-7
EAN : 9782296133297
Fabrication numérique : Actissia Services, 2012
Je remercie tout particulièrement :
Christine,
Lucie,
et Zabou
Une sortie impromptue : illusion réaliste publiée dans le dernier numéro du fanzine toulousain « Moi Je », n ° 18, décembre 2004.
Déchiquetée, volée en éclats - Ainsi je suis - À la stridente sonnerie du réveil - En plein milieu de la nuit, pour moi - Et déjà le matin pour celle qui va travailler… pour moi aussi.
Le bruit est déchirant, donc.
Je me lève… forcément ! - M’exécute sans patience, agacée, engoncée dans la brume à l’intérieur de ma tête - Une douche… pour se réveiller - Bof ! - Un café - Une grosse tasse pleine - Un autre.
Je pars.
Les premiers brouillards de la saison m’aident à rester dans le flou - … - … - Me débattre contre la sensation de sombrer - Dormir - Peut-être ce week-end…
Nous sommes mardi.
Je conduis par réflexe - J’écoute la musique - De la douceur dans mes oreilles cette fois - Du jazz, avec trois clarinettes - Une clarinette basse - Qui se parlent - Qui dansent - Qui se croisent et se retrouvent - Qui s’amusent ensemble - Une brèche de plaisir dans la nuit – La nuit, le brouillard, la route - Le brouillard, les ombres qu’on devine, la nuit, le brouillard, le froid - Tiens ! Un arbre énorme a poussé cette nuit ! - Un arbre tellement gros ! - Comme ça, en pleine route ! - Dans la nuit ! - Comme c’est drôle !
Je le contourne, je continue.
Une heure de route, c’est long - Pas assez pour se réveiller - Pas assez pour comprendre - Suffisamment pour se rendormir.
Il n’y a plus de bruit, plus de musique, plus de secousse, plus d’ombre, plus de brouillard.
Seule reste la nuit.
Avec un calme étrange.
Je suis assise dans un pré.
Non, couchée plutôt.
Ça s’est fait tout seul, en douceur - Je conduisais, je suis couchée - M’endormir désormais.
Et cette fois, pour une nuit sans le son de la fin.
Môa
JEU EN SOLITAIRE
Bien avant de tracer mes mots dans le cœur de l’histoire que je relate ici, j’avais eu l’intention d’utiliser une caméra, pour dresser une suite d’images illustrant mon récit. Je désirais dire mieux, montrer mieux, donner à voir et à penser tout en faisant du joli pour les yeux, en arrosant les corps et les décors de couleurs et de noir et de blanc, en produisant du rythme aussi, pour ravir les oreilles de silences et de sons.
Seulement, il m’a été impossible de mener mon projet à terme. Il ne fut qu’une ébauche. Même si des images ont bel et bien été capturées par mes yeux avant de les être par la caméra, même si par quelques prouesses deux caméscopes ont pu pénétrer dans l’enceinte de l’interdit, elles demeurent désormais prisonnières de leurs cassettes vidéo qui se terrent, inertes, chez mon ex-très bonne amie, la meilleure, disais-je alors.
À ce moment-là encore, au temps de la caméra, au temps des prises de vue et des idées de réalisation, je distinguais encore Annie parmi toutes mes autres amies en l’habillant du qualificatif enfantin et tellement prometteur d’éternité de « Ma-Meilleure-Amie ».
Avant de la compter parmi mes plus proches, je n’avais jamais ressenti ce besoin puéril de rassurer quelqu’un (et moi-même par la même occasion) en la traitant de la sorte, de « Meilleure-Amie » et plus encore, de « LA-Seule-Meilleure-Amie-comme-Jamais-Je-n’ai-eu ». Et bien entendu, un jour, le rêve d’une amitié parfaite pour la vie tout entière se brisa. Plus exactement, il vola en éclats. Oui, en éclats ; car un rêve qui prend fin dévoile en son cœur la présence d’un véritable détonateur. Lors de son anéantissement, le rêve brisé provoque l’inéluctable explosion d’une violence funeste.
Et désormais, les images filmées de ce que je veux nous raconter sont hors d’atteinte pour moi.
Je ne téléphone plus à Annie, je n’écris plus à Annie, je ne vois plus Annie. Et les cassettes vidéos se meurent chez elle…
Par la suite, pendant un an et demi, je me suis laissée aller à oublier ce projet de film pourtant déjà ébauché. Puis, hier, en fin d’après-midi, l’idée a ressurgi. Je me trouvais alors au volant de mon auto, sous une pluie froide et battante de fin d’été, un samedi où personne ne met le nez dehors tant le climat se montre hostile. Je rentrais de deux jours passés à Gaillac où une conférence fort agréable avait abordé les problèmes de filiation à travers les yeux de la psychanalyse mêlés à ceux du septième art - le septième art qui me fascine tant. Le film de Jonathan Caouette en particulier a redonné l’étincelle à mon projet de film. C’est en quelque sorte grâce à lui, grâce à son film Tarnation - Éternelle damnation - que j’ai commencé à refuser d’abandonner mon projet de raconter un événement singulier de ma vie. Seulement, n’ayant point entre mes mains les images envoûtantes de cet épisode crucial de mon histoire, je me suis décidée à écrire. Écrire toujours, tout simplement. Et laisser choir l’idée du plaisir de jouer avec l’image, la lumière, les voix-off et surtout la musique… et puis le Silence. Abandonner aussi le désir de construire un rythme filmé, le rythme qui parle ; le rythme, le temps, la vie, la mort, la vie en suspens. Je compenserai par des mots choisis, des mots aimés.
Hier, dès mon retour de Gaillac, je me serais bien endormie à même le seuil de ma porte d’entrée tant j’étais éreintée par les émotions de la journée et par le trajet du retour où la pluie battante empêchait mes yeux de distinguer correctement le sillage des cent vingt kilomètres de goudron aquatique. J’ai quand même réussi à rassembler des miettes d’énergie pour me traîner jusqu’au pied de mon lit, m’y déshabiller et m’y abandonner enfin. Il devait être à peine vingt heures.
À minuit sonnant, mes yeux se sont rouverts, bien décidés à mettre un terme à ma nuit. À leur tour, mes pensées n’ont pas tardé à s’agiter, à m’agiter pour me faire lever puis m’emmener telle une évidence devant l’ordinateur face auquel je me suis dit alors : « Vas-y, écris ! Maintenant, c’est le moment ! »
Puis, un premier titre sauta soudain à mon esprit.
Deux mots formant un bien bel oxymore, deux mots qui résument parfaitement ces deux mois et des poussières, hors du temps de ma vie, ces soixante-dix jours durant lesquels ont fini de s’accumuler de vieilles particules nauséabondes dans l’abîme de mon trépas, le temps de mon « Suicide réversible ».
L’arrivée, une route chaotique
Voilà bien six années que, lorsque je me rends à mon travail le matin ou bien lorsque je rentre chez moi le soir, je passe et repasse en voiture devant une intersection à peine visible et sur laquelle un panneau indique pudiquement la direction c. La question de la nature de cette clinique méconnue et pourtant si proche de ma maison m’effleure peut-être de temps en temps l’esprit, mais sans que j’y prenne vraiment garde.
Or aujourd’hui, contre toute attente, mon médecin me recommande vivement de séjourner quelques temps dans ce lieu mystérieux. C’est alors que je comprends instantanément ce qu’il abrite. Tout d’un coup, sa vérité éclate sur l’écran de ma conscience où se dessinent les visages de ceux que la clinique efface hypocritement du regard des passants, dissimulés en contrebas de la route.
D’abord choquée, terrorisée plutôt, je ne parviens nullement à me résoudre à l’entreprise d’un tel tournant dans ma vie. Mon visage ne peut se mêler au leur, aux autres portraits, aux portraits du hors-jeu. Mon visage va continuer à passer devant l’intersection, impassible, au volant de son automobile, pour se rendre à son labeur quotidien et, le soir, rentrer bien sagement dans sa demeure. Ma vie va continuer d’avancer sur le même chemin qu’elle a emprunté depuis plusieurs années, en évitant soigneusement les bas-côtés, les côtés bas, vertigine

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