Itinéraire d un transclasse
172 pages
Français

Itinéraire d'un transclasse , livre ebook

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172 pages
Français

Description

Les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron parlent ainsi d' « acculturation » pour caractériser l'acquisition de la culture dans le cas des fils d'agriculteurs, d'ouvriers, d'employés ou de petits commerçants. Loin d'être naturel, cet apprentissage relève d'une véritable « conquête ». C'est l'histoire de cette conquête semée de doutes, de difficultés mais aussi de grands bonheurs et de rencontres qu'entend retracer cet ouvrage qui éclaire d'un jour nouveau les goûts esthétiques et les préoccupations épistémologiques d'un « transclasse », aujourd'hui spécialiste des études sur les identités en Amérique hispanique. Situés « au centre de la marge », les travaux de Nicolas Balutet s'appesantissent non seulement sur des questions liées à des individus discriminés en raison de leur genre, de leur préférence sexuelle, de leur ethnie, etc., mais s'appuient également parfois sur des corpus dépréciés.

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Informations

Publié par
Date de parution 26 février 2019
Nombre de lectures 4
EAN13 9782140115059
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0750€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

les personnes en situation de mobilité sociale, autrement qualiIées de
réussite des uns et les difIcultés des autres. Les sociologues Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron parlent ainsi d’ « acculturation » pour caractériser l’acquisition de la culture dans le cas des Ils
C’est l’histoire de cette conquête semée de doutes, de difIcultés
Poética de
NicolasBALUTET
Itinéraire d’un transclasse Au centre de la marge
HO MO TEXTUALITÉS
Itinéraire d’un transclasse
Au centre de la marge
Collection Homotextualités Dirigée par Nicolas Balutete Depuis la fin du XIX siècle, avec l’émergence d’une culture gayet lesbienne, la thématique homosexuelle s’est développée dans lalittérature. La collection « Homotextualités » entend donc analyserces rapports entre création littéraire et homosexualité. Comment lesécrivains portent-ils leur regard vers ce qui sort des normes ?Comment écrivent-ils le corps, la sexualité, le bizarre ? Quelsgenres et thématiques privilégient-ils ? S’inscrivent-ils dans lescourants et champs de la création et de l’imaginaire collectif ?Ouverte à toutes les littératures, cette collection entend aussiconfronter les époques pour faire entendre d’autres voix. Déjà parus CUROPOS Fernando,Queer(s) périphérique(s), Représentation de l’homosexualité au Portugal (1974-2014), 2016. CUROPOS Fernando,L’émergence de l’homosexualité dans la littérature portugaise (1875-1915), 2016. EL ACHIR Khadija,Transgression et identité autofictionnelle dans l’œuvre de Rachid O.L’enfant ébloui, Plusieurs vies, Chocolat chaudetCe qui reste, 2014. KRAUTHAKER Marion,L’identité de genre dans les œuvres de George Sand et Colette, 2011. ISOLERY Jacques,François Augiéras. Trajectoire d’une ronce, 2011. DUBUIS Patrick,Emergence de l’homosexualité dans la litté-rature française : d’André Gide à Jean Genet, 2011. CUROPOS Fernando,António Nobre ou la crise du genre,2009. LARRIEU Gérald,Des genres qui dérangent.La transgression de Manuel Puig, 2009.
Nicolas BALUTETItinéraire d’un transclasse
Au centre de la marge
© L’Harmattan, 2019 5-7, rue de l’École-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-16738-1 EAN : 9782343167381
OUVERTURE
Pour Patrick qui tolère mes infidélités avec la recherche depuis plus de dix ans.
Un très grand merci à Lionel Souquet qui, par sa lecture minutieuse et ses qualités humaines et profesionnelles, a permis d’enrichir substantiel-lement les idées développées dans cet ouvrage et dans l’inédit de mon Habilitation à Diriger des Recherches.
« Hijo, ya sé que no te veré más ; procura de ser bueno, y Dios te guíe ; criado te he y con 1 buen amo te he puesto ;válete por ti. »
La vida de Lazarillo de Tormes
Dans le cadre de l’Habilitation à Diriger des Recherches dont le présent travail reproduit le premier volume, le mémoire de syn-thèse requiert de porter sur soi et sur ses travaux un regard à la fois réflexif et intime. Il ne s’agit pas d’écrire une autobiographie mais de proposer plutôt un récit s’apparentant à l’ego-histoire, dé-finie par Pierre Nora comme un exercice destiné à « expliciter […] le lien entre l’histoire qu’on a faite et l’histoire qui vous a fait » (1987 : 7). Il convient donc de se muer en « ethnologue de soi-mê-me », pour reprendre une jolie expression de l’écrivaine Annie Er-naux (1999 : 40), afin de retracer un parcours personnel et intellec-tuel et d’en montrer la cohérence. Mon goût pour la méthodologie et les objets d’étude populai-res longtemps méprisés par le monde académique, mon engage-ment dans les études sur le genre et l’homosexualité, puis le che-minement de mes recherches vers l’exploration de questions iden-titaires plus larges, ne sont intelligibles qu’à la condition de pren-dre en compte ma situation de « transclasse ». Ce néologisme, créé par Chantal Jaquet à l’occasion de l’écriture de son essaiLes trans-classes ou la non-reproduction, désigne les personnes en situation de 1 Je souligne.
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mobilité sociale, autrement qualifiées de « transfuges de classe ». Étant donné que cette dernière expression possède une connota-tion péjorative en lien avec l’idée de traîtrise et qu’elle ne semble faire référence qu’aux changements vers le haut de la hiérarchie sociale en omettant l’existence des déclassements, la philosophe préfère parler tout simplement de « transclasses », un terme que je fais mien : « Le préfixe “trans”, ici, ne marque pas le dépassement ou l’élévation, mais le mouvement de transition, du passage de l’autre côté. Il est à prendre comme synonyme du mot latintrans, qui signifie “de l’autre côté”, et il décrit le transit entre deux clas-ses » (Jaquet, 2015 : 13-14). Issu d’une classe dite populaire – je suis fils, petit-fils, arrière-petit-fils… d’agriculteurs –, je fais désormais partie de la catégorie sociologique des cadres supérieurs. Dans cette catégorie figurent les ingénieurs, les professeurs de l’enseignement supérieur et se-condaire (à l’exception des maîtres auxiliaires) ainsi que les cadres administratifs supérieurs (directeurs, cadres supérieurs commer-ciaux, cadres A de la fonction publique, etc.) (Thélot, 1982 : 43). Or, cette mobilité sociale ascendante apparaît exceptionnelle. De 1953 à 1985, la part des cadres supérieurs provenant d’une famille d’agriculteurs exploitants, c’est-à-dire « tous les propriétaires-ex-ploitants, fermiers, métayers, quelles que soient la taille et la spéci-alisation de leur exploitation » (Thélot, 1982 : 42) – ce qui est mon cas –, est ainsi passée de 1 à 5% (Bertaux, 1977 : 253 ; Thélot, 1982 : 46 ; Merllié et Prévot, 1991 : 37, 62). Je n’ai pas réussi à ob-tenir de données plus récentes mais, quand on sait que, en 2010-2011, seul 9% des étudiants universitaires étaient issus de familles réunies dans la large catégorie des agriculteurs, des artisans et des petits chefs d’entreprises (Pasquali, 2014 : 18), on peut penser que la mobilité sociale ne s’est pas beaucoup amplifiée ces dernières années. Il semblerait même, selon Paul Pasquali, que « les chances d’ascension des générations nées après les années 1960 se sont nettement détériorées et que le risque de déclassement intergéné-rationnel s’est accru pour les jeunes de tous les milieux » (2014 : 413). La sortie des enfants d’agriculteurs, qui s’est accentuée avec la diminution du poids du secteur primaire dans l’économie, se fait surtout vers la classe ouvrière ou, selon une terminologie plus ré-cente, vers la classe moyenne inférieure (Bertaux, 1977 : 15-16 ; Merllié et Prévot, 1991 : 66 ; Arabyan, 2014).
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Comment expliquer cette faible mobilité sociale alors que l’ac-cès aux études s’est fortement démocratisé à partir des années 1960, que les différents ministres de l’Éducation nationale s’enor-gueillissent année après année du taux chaque fois plus important de bacheliers ? La raison principale de cette situation provient du fait que l’origine sociale constitue un élément essentiel dans la réussite scolaire sur le long terme (Bourdieu et Passeron, 1985 : 22 ; Gaulejac, 2016 : 15, 25). Malgré les nombreux discours van-tant les possibilités de promotion qu’offre l’école républicaine, force est de reconnaître que, aujourd’hui encore, les enfants nés de parents diplômés et/ou de milieux sociaux supérieurs ont beaucoup plus de probabilité d’obtenir des diplômes universitaires et de se maintenir ou d’accéder aux classes élevées (Boudon, 1979 : 27 ; Hoggart, 2013 : 310 ; Peugny, 2013 : 57 ; Pasquali, 2014 : 17, 414). Si les individus issus d’un milieu favorisé passent de nos jours par les mêmes étapes scolaires que les autres et, en ce sens, se situent sur un plan d’égalité, il ne faut pas oublier qu’ils sont, en même temps, deshéritiers. Comme le soulignent Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, ils reçoivent, en effet, « des ha-bitudes, des entraînements et des attitudes qui les servent directe-ment dans leurs tâches scolaires [mais aussi] des savoirs et un sa-voir-faire, des goûts et un “bon goût” dont la rentabilité scolaire, pour être indirecte, n’en est pas moins certaine » (1985 : 30). C’est la possession ou non de ce patrimoine culturel qui explique en grande partie la réussite des uns et les difficultés des autres. Je ne veux pas dire par là que « [t]out est joué d’avance ! », comme lance Didier Éribon (2010 : 52) dans son remarquable travail d’auto-1 analyse , mais qu’il est important de prendre conscience qu’un en-fant ayant grandi dans un milieu social plus désavantagé n’aura pas, de prime abord, la même familiarité avec la culture (livres, musées, concerts, théâtre, etc.) et donc les mêmes chances. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont raison de parler d’ « accul-turation » (1985 : 37) pour caractériser l’acquisition de la culture dans le cas des fils d’agriculteurs, d’ouvriers, d’employés ou de pe-
1 Le sociologue poursuit : « Les verdicts sont rendus avant même que l’on puisse en prendre conscience. Les sentences sont gravées sur nos épaules, au fer rouge, au moment de notre naissance, et les places que nous allons occuper définies et délimitées par ce qui nous aura précédé : le passé de la famille et du milieu dans lesquels on vient au monde » (2010 : 52-53).
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