La jeunesse de Max Weber

Suzie Guth

Description

Max Weber effectue son service militaire à Strasbourg, ville du Reich allemand à partir de 1870. Il reviendra plusieurs fois dans cette ville pour des périodes de préparation militaire, et y séjournera une dernière fois en 1892. Cet ouvrage propose une interprétation des lettres de Max Weber envoyées de Strasbourg et une traduction en langue française de ces lettres de jeunesse que Marianne Weber avait publiées en 1936.

Sujets

• Sociologie
• Sciences humaines et sociales

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 04 juin 2020
• Nombre de lectures: 8
• EAN13: 9782140150807
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 3 Mo

Extrait

Suzie Guth

La jeunesse de Max Weber Les lettres de Strasbourg (18831892)

L O G I Q U E S S O C I A L E S

La jeunesse de Max Weber

Logiques sociales Collection dirigée par Bruno Péquignot En réunissant des chercheurs, des praticiens et des essayistes, même si la dominante reste universitaire, la collection « Logiques Sociales » entend favoriser les liens entre la recherche non finalisée et l'action sociale. En laissant toute liberté théorique aux auteurs, elle cherche à promouvoir les recherches qui partent d'un terrain, d'une enquête ou d'une expérience qui augmentent la connaissance empirique des phénomènes sociaux ou qui proposent une innovation méthodologique ou théorique, voire une réévaluation de méthodes ou de systèmes conceptuels classiques. Dernières parutions Juan-Luis KLEIN et Bernard PECQUEUR (dir.),Les Living Labs, Une perspective territoriale,2020. Georges JOURDAM,Au croisement du travail et du politique : l’emploi salarié. Le cas français : mutations et transformations, 2020. Jacqueline FELDMAN,Françoise Laborie (1938-2016), Histoire d’une femme en science, 2020. Mathieu SORDET,La demande d’asile en France,La pénitence civilisée,2020. Lionel CLARIANA, Laïcité, radicalisation et protection de l’enfant. Articulations et enjeux sociopolitiques, 2020. Eguzki URTEAGA,L’essor du vote nationaliste basque, 2020. Alexander María LEROY,Penser la sexualité des personnes e âgées. De Disney à l’EHPAD du XXI siècle, 2020. Mélody JAN-RÉ (dir.),L’œuvre du genre, 2019. Gilles VIEILLE-MARCHISET,La conversion des corps, 2019. Aurélie NETZ,Les Cercles de Femmes, Ritualiser l’identité de genre dans les spiritualités alternatives,2019. Roland GUILLON,La question sociale face à la globalisation, 2019. François SICOT (coord.),Les parcours de soins en psychiatrie au prisme d’une analyse sociologique,2019. Nicole LUCAS et Danielle OHANA,Ces Françaises venues de l’Est, 2019.

Suzie Guth La jeunesse de Max Weber Les lettres de Strasbourg (1883-1892)

*** © L’Harmattan, 2020 5-7, rue de l’École-Polytechnique‒75005 Paris www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-20143-6 EAN : 9782343201436

INTRODUCTION

Dans les pages qui suivent, nous allons évoquer le séjour strasbourgeois de Max Weber. Les jeunes Allemands allant à l’Université pouvaient devancer l’appel et n’effectuer qu’une année de classe, c’est la raison pour laquelle ils étaient appelés desEinjährige Freiwillige,en d’autres termes desVolontaires Sursitaires.Cette disposition leur permettait aussi de choisir le lieu de leur incorporation, Max Weber va choisir la capitale du Reichsland d’Alsace Lorraine : Strasbourg. Son séjour à Strasbourg comme volontaire — sursitaire est à sa charge, c’est la raison pour laquelle les questions financières occupent une telle place dans sa correspondance, il ne loge pas à la caserne, il choisit son logement librement, ses repas sont dispendieux, écrit-il, car il y a toujours du vin, et comme il l’indique, il peut aussi avoir une ordonnance moyennant paiement. Ses uniformes nécessitent aussi de multiples réparations, de l’entretien, des achats et grèvent son budget. Il juge d’ailleurs que le service militaire est plus onéreux que les études à Heidelberg. S’il a choisi Strasbourg, c’est sans doute en raison de la présence de ses oncles professeurs d’université, et de sa parenté, celle des sœurs de sa mère, de ses cousins et de ses cousines : il dispose ainsi d’un port d’attache familial, et, comme il l’indique à la fin de son séjour, il a été traité comme un fils. Il s’était déjà rendu avec Otto Baumgarten, son

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cousin, à Strasbourg lorsqu’il faisait ses études à Heidelberg, c’est donc en connaissance de cause qu’il arrive à Strasbourg dans des famillesAltdeustche, on nomme ainsi les Allemands de souche, par opposition aux nouveaux Allemands que sont devenus les Alsaciens. Pour l’Empire allemand, l’Alsace retourne dans sa patrie d’origine, et les Alsaciens qui étaient desFrères Perdusde l’Empire,retrouvent le Reich qu’ils avaient e quitté avec la conquête française de l’Alsace au XVII siècle ; c’est une histoire très simplifiée, souvent fausse, des provinces de l’est de la France ou du sud de l’Allemagne, elle correspond à la propagande et à l’histoire officielle. Hermann Baumgarten, l’oncle de Max Weber pense que Strasbourg estune ville du destin, elle doit revenir à ce qu’elle avait été du temps de l’humaniste e Johannes Sturm au XVI siècle : une ville protestante germanique. Pourtant, Max Weber relève à maintes reprises le refus de la population de participer à l’accueil des troupes, il considère d’ailleurs les Alsaciens, alors qu’il est en Alsace, comme des étrangers par rapport aux Nous Allemand. Cantonné à Saverne où il dort dans un lit rempli de punaises et de puces, il voit les habitants de la région comme des canailles en raison de son impossibilité de dormir après une marche harassante de 37 km depuis Strasbourg. Nous sommes encore loin de l’Affaire de Saverne de 1913, mais nous voyons déjà poindre dans la réaction du soldat Weber, les prémisses de l’exaspération de ces lointains successeurs qui avaient traité les recrues 1 alsaciennes de Saverne deWackesreconnaît qu’il! Il existe de beaux villages qu’ils ont traversés, mais la marche militaire n’incite guère au loisir de la promenade, et au plaisir d’observer son environnement. Ultérieu- rement lorsqu’il reviendra en Alsace pour une dernière fois, il fera une marche dans les Vosges avec des collègues 1 Wackes : garnements, voyous

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et amis. Il s’interroge cependant : que pensent-ils de nous les militaires quand ils nous voient ? La réponse en 1884, aurait été qu’ils voient en eux, et quotidiennement qu’ils sont une nation conquise par les Schwowes ou les 2 Prussiens. Le séjour alsacien est d’abord une relation avec une famille, celle des Baumgarten avec laquelle il sympathise le plus, il évoque moins la deuxième famille, celle des Benecke, mais nous voyons au fil des lettres que la stratégie familiale, et celle de Max Weber en particulier, englobe l’ensemble des membres de ces groupes familiaux en lignée maternelle. Il se déplace, même lorsqu’il s’agit d’un déplacement militaire, auprès de sa parenté qu’il va saluer. Nous apprenons aussi que l’usage des visites, d’une cousine ou d’un cousin, auprès d’une famille apparentée pour des séjours plus longs, est un usage courant dans cette famille étendue ; d’ailleurs, Marianne Schnitger future épouse de Max Weber, en est le témoin, c’est lors d’un de ces séjours à Charlottenburg qu’elle nourrit l’ambition de vouloir épouser le fils de la maison, et s’en ouvre à Hélène Weber lorsqu’on lui propose le pasteur Göhre comme fiancé. Les liens familiaux reflètent l’élément essentiel de la socialité de Max Weber pendant cette période ; c’est du moins ce que les lettres laissent entendre. Il est probable qu’il ait beaucoup insisté sur ces relations dans sa correspondance, car ces personnes étaient connues de ses parents, il avait ainsi l’occasion de mettre à jour les évolutions de ces configurations familiales. L’épistolier s’essaye à la psychologie individuelle et interpersonnelle, il s’interroge sur le caractère, la personnalité des uns et des autres, il explore les situations avec une certaine naïveté quelquefois, et de bons sentiments, on le voit qui veut aider, même si 2  Schwowe : désigne en alsacien d’une manière péjorative, les Allemands en général : les Boches. En allemand, le terme désigne les Souabes.

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vraisemblablement son aide ne change rien à la situation, mais il se sent impliqué de par ses relations affectives. C’est Otto Baumgarten, son cousin qui représente l’ami dont il se sent proche, même si son mariage suscite de nombreuses réactions négatives dans son entourage. Celle qu’il va écouter chanter Wagner, même s’il est très fatigué par ses activités militaires, c’est Emmy, sa cousine, pour laquelle il va nourrir une grande affection et même de l’amour. La période militaire de Max Weber conduit paradoxalement au resserrement des liens familiaux avec la famille maternelle étendue, à Strasbourg, à Heidelberg et à Karlsruhe, et en même temps, elle engendre une certaine distanciation chez le soldat avec son milieu d’origine, avec la recherche de la compréhension des relations sociales et familiales. La sœur aînée d’Hélène Weber était pour sa mère un modèle, or Max Weber ne partage pas ce point de vue, il considère qu’Ida Baumgarten s’est infligé à elle-même, au nom de l’éthique protestante, une vie avec ses aspérités, sa rudesse, dans un environnement matériel très bourgeois, où elle ne voulait pas, semble-t-il, à vivre en fonction de ses moyens pécuniaires qui étaient grands. Elle n’était de toute façon, pas gestionnaire de sa fortune, c’était son mari qui décidait de l’usage des fonds lui appartenant, il en allait de même pour Hélène Weber, mais les femmes Fallenstein tenaient bon et leur solidarité était exemplaire ! Max Weber conclut dans la dernière lettre de Strasbourg que beaucoup se sont éloignés d’elle, comme l’a fait son cousin Otto qui se trouve maintenant à l’université d’Iéna. Ainsi, tout en capitalisant les relations familiales du côté de la parenté maternelle, Max Weber interroge le modèle maternel, en regardant vivre la famille Baumgarten, et en participant à ses deuils et à ses joies. En questionnant dans ses lettres leurs manières de faire et leurs manières d’être, leur personnalité et leur caractère, le jeune soldat objectivise d’une certaine façon

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