La mémoire familiale
285 pages
Français

La mémoire familiale , livre ebook

-

285 pages
Français

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1985
Nombre de lectures 89
EAN13 9782296297470
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0900€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

JosetteCoenen-Huther La mémoire familiale
La mémoire familiale : un travail de reconstruction du passé On parle beaucoup aujourd'hui de "mémoire", surtout de "mémoire collective". Pourtant nos connaissances en ce domaine restent très limitées. Cela est d'autant plus regrettable qu'on n'est pas très sûr des rapports que nos contemporains entretiennent avec le passé et avec leur passé. Sont-ils, comme certains l'affirment, si individualistes et autocentrés qu'ils rejettent tout ce qui leur vient de leurs prédécesseurs ? Ou sont-ils au contraire, comme d'autres le soutiennent, passionnés par ce qui a été et nostalgiques ? Cet ouvrage apporte un éclairage nouveau sur ces questions. Basé sur l'analyse de quelque cent vingt mémoires des lignées de maris et de femmes, il montre que les souvenirs qu'on garde de son passé familial et l'attitude qu'on adopte à l'égard de ses ascendants sont fonction, comme l'avait déjà souligné Halb-wachs, de ce qu'on est dans le présent. Ainsi varient-ils notam-ment selon le sexe de la personne, son milieu social et son idéologie familiale. Ils sont toutefois modelés aussi par les interactions de chacun, et tout particulièrement par la "conver-sation conjugale". Les huit types idéaux de rapport à son passé mis en évidence dans ce livre montrent que souhaits de fidélité et prises de dis-tance sont également caractéristiques de notre époque. Josette Coenen-Huther est docteur en sociologie. Elle s’est spécialisée en sociologie de la famille et en étude des rapports sociaux de sexe. Après avoir enseigné et poursuivi des recherches à l'Université de Genève, elle est actuellement à la retraite et prépare un ouvrage sur la réalité et les faux-semblants de l’égalité hommes/femmes dans le domaine du travail.
Table des matières INTRODUCTIONCHAPITRE1  Passé et présent : une définition  sociologique de la mémoire  Le concept de mémoire collective  Les usages du passé  Précisions méthodologiques CHAPITRE2  Le travail de la mémoire  Mémoire et âge  Mémoires féminines et mémoires masculines  Classes sociales et mémoires  Les relations avec la famille d'origine et les  souvenirs qu'on garde de ses ascendants  Le concept de type de familles CHAPITRE3  La vie conjugale Les types idéaux de familles  La dynamique conjugale
9
15
16 25 34
41
41 43 50
57 61
67
67 98
CHAPITRE4  Des groupes de lignées intégrés  Les mémoires de relations  Les mémoires d'ancrage CHAPITRE5  Des groupes de lignées désintégrés  La désintégration subie du groupe familial  La désintégration voulue du groupe familial  Types idéaux de mémoires et finalités familiales CHAPITRE6  Les rapports au passé  Types de mémoires et attitudes déclarées  Identité personnelle et rapports au passé CHAPITRE7
 La négociation conjugale des  mémoires des lignées  Types de familles et types de mémoires  Le devenir des mémoires des lignées au sein  du couple  Les cartes du jeu de la négociation conjugale  des passés des lignées CONCLUSIONSPUBLICATIONS CITEES
109
110127
147
147 163 176
179
180 204
209
210
218
235
245
253
Introduction Deux siècles se sont écoulés depuis que les philosophes des Lumières proclamaient la nécessité d'affranchir les humains des traditions qui les enchaînaient et d'en faire des êtres libres de penser et d'agir en dehors de cadres imposés. Or, nombre d'ana-lystes de notre culture affirment que l'Occidental correspond aujourd'hui à cet idéal de refus des modèles. Certains vont même jusqu'à nier l'intérêt de leurs contemporains non seulementpour le passé, mais également pour le futur. Pour des auteurs comme Bellah et ses collègues (1985), l'évolution s'est produite en deux temps. Au cours d'une première phase, l'homme émancipé des liens divers et multiples qui l'attachaient à ses ascendants mobilise son énergie pour améliorer sa condition car il croit au progrès. Son prototype est l'entrepreneur de la période d'essor du capitalisme, leself-made manaméricain dont Benjamin Franklin a défini le credo mieux que tout autre. Puis, avec l'abstraction croissante de la société (cf. à ce propos Zijderveld, 1970, mais aussi Balandier, 1985) d'une part, l'accélération des changements semblant échapper à tout contrôle humain et la perte de foi en un futur lourdement hypothéqué par la menace de catastrophes nucléaires et écologiques d'autre part, l'homme se met, selon certains, à éprouver "le sentiment de la discontinuité de l'histoire, l'impression de vivre dans un univers où le passé n'éclaire pas
le présent et où le futur est devenu complètement imprévisible." (Lasch, 1979:102). Parallèlement, selon ces auteurs, l'individualiste se transforme et se radicalise : il ne croit plus à rien qu'à lui-même, n'a plus d'autres fins que son bonheur personnel et l'approfondissement de son moi. Largement influencé par la "sensibilité thérapeutique" (Bellahet al., 1985), il vit dans l'immédiateté, refusant aussi bien le poids du passé que ces autres limites à sa liberté et à l'évolution constante de ses désirs que lui fixerait un projet d'avenir arrêté. Il se veut sans cesse disponible pour de nouvelles expériences, au point de rejeter jusqu'à la notion même d'irréversibilité du temps, l'idée, insupportable pour lui, que tout ne puisse pas rester toujours possible (Roussel et Girard, 1982). Pour Bellah et ses collègues (id.), ces deux formes de l'individualisme - la variante utilitariste, typique de la première phase, et la variante thérapeutique, caractéristique de la seconde - définissent dans une grande mesure la culture des classes moyennes américaines de cette fin du XXe siècle. Bien sûr, elles ne comptent pas que des adeptes - les auteurs mettent même en lumière l'existence d'une autre éthique, fortement minoritaire il est vrai, basée sur le respect de la tradition - et l'on ne rencontre guère d'individualistes "purs". Toutefois, et c'est le plus important, même ceux qui cultivent encore des valeurs morales absolues sont sur la défensive, utilisant fréquemment des expressions empruntées à la rhétorique thérapeutique qu'ils rejettent pourtant. C'est dire la prégnance de celle-ci. Selon ces analyses, la tendance majeure, dans nos sociétés, serait donc à l'oubli du passé ou tout au moins au rejet de ses enseignements. Comment interpréter alors les signes témoignant d'une pas-sion certaine de notre époque pour tout ce qui l'a précédée, signes si nombreux qu'on n'a pas hésité à écrire que nous vivons dans une "société assoiffée de patrimoine et de racines" (Rioux, 1988), où "le grand public <est> obsédé par la crainte
1 d'une perte de mémoire, d'une amnésie collective" (Le Goff, 1988:170) et dans laquelle "chacun cherche à retrouver ses racines familiales, locales ou culturelles" (Bourdin, 1986:209) au point qu'"Il n'est guère de famille dont un membre ne se soit pas lancé, récemment, dans la reconstitution aussi complète que possible des existences furtives dont la sienne est issue." (Nora, 1984:XXIX) ? Sur un plan général, chacun sait, en effet, l'intérêt que rencontrent l'histoire en général, et plus encore l'histoire orale qui, des Etats-Unis, a déferlé sur l'Europe au cours des années soixante-dix. De plus en plus nombreux sont les scientifiques comme les néophytes qui se lancent dans la récolte de récits de vie ou écrivent leur biographie, leurs mémoires, leurs confes-sions, leurs souvenirs... Les archives font l'objet d'un culte semblable. Nora ne cite-t-il pas pour la France l'exemple, "troublant", de celles de la Sécurité sociale, "somme documentaire sans équivalent, repré-sentant aujourd'hui trois cents kilomètres linéaires, masse de mémoire brute dont le dépouillement par ordinateur permet-trait, idéalement, de lire, de la société, le tout du normal et du pathologique, depuis les régimes alimentaires jusqu'aux genres de vie, par régions ou par professions; mais, en même temps, masse dont la conservation aussi bien que l'exploitation concevable appelleraient des choix drastiques et pourtant infaisables." (1984:XXVIII). Il n'est jusqu'aux entreprises qui prennent goût à la conservation et à la mise en valeur de leurs propres archives, engageant des spécialistes pour les exploiter (Rioux, 1988). Mais c'est également tout un patrimoine physique qu'on s'ef-force de sauvegarder : non plus seulement des monuments -
1 . Les règles suivantes ont été adoptées pour toutes les citations (qu'elles soient extraites de textes ou d'entretiens) : a) les mots rajoutés pour des raisons grammaticales figurent entre crochets; b) les mots "superflus", mais qui appartiennent à la citation, sont mis entre parenthèses; c) trois points de suspension signifient que la personne s'est interrompue avant d'avoir achevé sa phrase; d) trois points de suspension placésentre parenthèsessignalent une coupure dans la citation.
châteaux, églises, oeuvres d'art -, mais aussi de simples maisons, des fontaines, des cafés, des bâtiments industriels, des objets artisanaux et agricoles, des machines. Comme l'écrit Jeudy (1986), la mode de la muséophilie ne connaît pas de limites et le passé se rajeunit tant que les derniers ouvriers d'une entreprise en voie de fermeture "pourraient envisager d'achever leur carrière en devenant les gardiens culturels de leur propre lieu de production", transformé en musée (p. 37). Dans la sphère plus limitée de la famille, on peut citer le succès croissant de la généalogie. Tout récemment, Segalen et Michelat (1991) estimaient à 40'000 les généalogistes amateurs en France, dont 20'000 membres d'associations, alors qu'ils n'étaient que 300 lors de la création de la Fédération des sociétés françaises de généalogie, d'héraldique et de sigillographie en l968. Les revues spécialisées dans ce domaine que dépouille la "Bibliographie annuelle de l'Histoire de France" ont passé, elles, de 2 à 40 en quelques années (Histoire économique et société, 1, 1987). Le phénomène est aussi développé aux Etats-Unis : à la fin des années soixante-dix, 750 sociétés généalogiques y regroupaient environ 250'000 membres, qui disposaient de 500 périodiques (Taylor, 1982:32). Mais il y a davantage, lors d'un sondage Gallup conduit il y a quelque dix ans, 40% des Américains déclarèrent s'intéresser à la reconstitution de leur chronique familiale; plus de vingt-cinq mille de ces histoires avaient alors déjà été publiées (Lindahl et Back, 1986). 2 Or, les auteurs frappés par cette boulimie en attribuent bien souvent la cause aux mêmes phénomènes que ceux sur lesquels les tenants de la théorie du rejet systématique du passé appuient leurs propres réflexions.
2 . Il faudrait encore mentionner ici la multiplication récente, en histoire et en sociologie - et après le long silence, exception faite de Bastide (1970), qui a suivi la publication des ouvrages de Halbwachs - de livres spécifiquement consacrés à une réflexion sur la mémoire collective et le sens du passé. Citons, parmi beaucoup d'autres, Finley (1981); Hobsbawm et Ranger (1983); Shils (1983); Lowenthal (1985); Namer (1987); Le Goff (1988); Middleton et Edwards (1990).
Pour définir le rapport de l'homme actuel à ses prédécesseurs, il faut donc aborder la question d'un point de vue différent. La seule observation de tendances sociétales permet de rendre compte ni de la diversité des comportements, ni des motivations des acteurs. De l'abstraction du monde dans lequel nous vivons et de sa fragmentation, on ne peut en effet, comme on tend trop souvent à le faire, déduire sans autre un besoin universel de quête de racines et de repères dans le passé. A l'intérieur de ces cadres globaux, les individus se conduisent de façons différentes, pour des raisons qui leur sont propres. C'est donc d'eux qu'il faut partir pour s'interroger sur l'engouement qu'éprouvent certains pour la manière dont ont vécu leurs aïeux plus ou moins lointains. C'est leurs attitudes qu'il faut scruter pour savoir si cet intérêt - lorsqu'il existe -correspond à un besoin de continuité dans un environnement qui change trop rapidement, à un souci d'identité alors que tout tend à s'uniformiser, à une exigence d'ancrage pour pallier la disparition des communautés, à une recherche de modèles éprouvés face au pluralisme des normes actuelles et à l'impression d'anomie qu'on peut en éprouver, ou tout simplement à un souhait de dépaysement dans un monde où l'exotisme est de plus en plus familier. L'intérêt pour l'histoire et la généalogie n'est toutefois qu'un aspect très particulier et très limité de la relation que chacun entretient avec le "temps perdu". Le premier dépositaire du passé n'est-il pas la mémoire humaine ? Sauf cas pathologique, chacun possède en soi un ensemble de souvenirs, plus ou moins riches, plus ou moins vieux, qui le lient,de facto, à ceux qui l'ont précédé. Or, ces souvenirsne sont pas que des images. Au-delà des lieux, des personnes, des événements, des ambiances ... dont ils gardent la trace, unevision du mondepeut se lire à un second niveau, moins immédiat. Ainsi la mémoire contient-elle toujours des modèles. Ces derniers ne sont toutefois pas donnés une fois pour toutes. Les souvenirs, en effet, et plus encore les interprétations qu'on s'en donne, sont constamment modifiés. Revisités tout au cours de la vie, ils se chargent d'autres significations et s'organisent autour d'autres représentations au fur et à mesure que l'individu
évolue et transforme ses conceptions. Passé, présent et projets d'avenir orientant ce dernier sont inextricablement liés. La question de la relation au passé se complique donc. Il y a certes l'attitude qu'on manifeste à l'égard de ce dernier. Elle se traduit à la fois par la volonté, ou son absence, d'en conserver des traces tangibles ou de retrouver ce qui en a été oublié, par le sentiment qu'on a d'être en continuité ou en rupture avec ceux qui nous ont précédés, par le désir ou le refus de leur rester fidèle et de transmettre ou non son histoire familiale et les modèles qu'elle véhicule à ses propres enfants. Mais il y a aussi la façon - probablement le plus souvent inconsciente -dont onreconstruitcesse les contenus de sa mémoire sans autour de nouvelles définitions de situations, reconstructions qui constituent en elles-mêmes une prise de position face au passé. Se poser ces questions à propos de la mémoire des ascendants - comme j'ai choisi de le faire - a non seulement pour conséquence de les rendre encore plus complexes, mais aussi d'enrichir la problématique dans la mesure où la famille est, en même temps, le groupe le plus continu et le plus discontinu qu'on puisse imaginer. En tant que succession d'individus basée sur la filiation, elle ne peut disparaître que par extinction biologique. Pour survivre - et de là naît précisément son caractère discon-tinu - elle doit donc se reproduire, soit s'allier, à chaque géné-ration, à une autre famille. Tout mariage se situe ainsi à l'intersection de deux mémoires. Ne peut-il, dès lors, y avoir divergences entre les systèmes de représentations cachés derrière les souvenirs que chacun des partenaires garde de sa famille ? Qu'advient-il dans ce cas ? Et que se passe-t-il en matière de transmission aux enfants ? S'interroger à ce sujet revient à s'intéresser à la "conversation conjugale" (Peter Berger et Hansfried Kellner, 1964) ainsi qu'aux ressources dont chacun des époux dispose pour peser sur son issue. Dans quelle mesure ceux-ci ont-ils des chances égales de l'emporter lorsque leurs conceptions ne concordent pas ? Le fait d'être femme, ou homme, ne constitue-t-il pas un avantage en soi ? Et une position sociale meilleure que celle de son conjoint n'a-t-elle pas valeur d'atout ? La question de la négociation des mémoires
  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents