Abélard croyait avoir mis tout ça derrière lui. Déshumanisé, arraché à ses proches, malmené, torturé puis, enfin, réfugié, il a refait sa vie dans son nouveau chez-lui, à Cocagne, capitale de l’archipel, pour suivre une formation médicale exhaustive et offrir à son tour ses soins aux gens qui en ont grandement besoin. Désormais psychiatre et psychanalyste, il laisse se déposer sur la page blanche de son visage les désarrois, les craintes et les désirs refoulés de ses patients, s’émerveillant chaque fois du cheminement de ceux-ci. Or, un jour, son patient le plus notoire lui confie vouloir démissionner. Paul, gouverneur de l’archipel récemment arrivé à la démocratie, souffre de la fatigue liée à sa tâche. Abélard, appréhendant une catastrophe, passera les mois suivants à se demander comment il aurait pu intervenir pour éviter à son pays d’adoption une dépression politique. Quatre ministres attablés autour d’elle lui paraissaient déjà complètement intoxiqués. Un autre, sur le point de flancher, affichait un sourire de courtisan. La politique au sens noble du terme se résumait à une question, une seule, qu’elle avait posé maintes fois à son cher Paul quand le doute s’emparait de lui dans l’exercice de ses fonctions : « Vous êtes là pour servir, d’accord, mais servir qui ? » Une action politique bien ciblée transforme sans détruire. Tel était le credo de Bernadette. Cela exigeait vision et conscience, deux qualités rares qu’il avait eues. Des êtres de l’envergure de Paul, y en avait-il seulement la moitié d’un autour de cette table ? « Pourquoi a-t-il abandonné ? », se demanda-t-elle en regardant les convives qui mâchaient d’un air satisfait. Elle ne comprendrait jamais.
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