Le dispositif humanitaire

Emil Cock

Description

Si les médias limitent souvent l'humanitaire aux seules institutions caritatives, ces dernières ne constituent en réalité qu'un maillon du système. Se basant sur son expérience de terrain auprès de Médecins sans frontières et de Médecins du monde, l'auteur analyse ici ce dispositif complexe. Il dégage les liens entre l'humanitaire et les sphères politique, économique et militaire, révélant les enjeux réels de la générosité occidentale en identifiant son origine, ses rouages et son rôle dans la géopolitique actuelle.

Sujets

• Politique
• Développement
• Diplomatie
• Géopolitique
• Relations internationales

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 mai 2005
• Nombre de lectures: 61
• EAN13: 9782336271897
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 1 Mo

Extrait

© L’Harmattan, 2005
9782747584227
EAN : 9782747584227
Le dispositif humanitaire
Géopolitique de la générosité

Emil Cock
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Le dispositif humanitaire Cadre conceptuel Les lieux institutionnels du dispositif Médias et humanitaire Conclusions Bibliographie Humanitaire et ONG à l’Hatmattati
« Mais je dois à la vérité de dire que, pour nous autres, novices, le tournoi était plutôt décevant. Plus les pièces composaient sur l’échiquier leurs étranges arabesques, moins nous en pénétrions le sens caché. Nous ne saisissions ni les intentions de deux adversaires ni dans quel camp se trouvait l’avantage. Nous voyions seulement qu’ils déplaçaient leurs pièces, comme des généraux font marcher leurs troupes pour tâcher de faire une brèche dans les lignes ennemies. Mais nous ne pouvions comprendre les buts stratégiques de ces mouvements, car des joueurs aussi avertis combinent leur affaire plusieurs coups d’avance. »
Stefan ZWEIG, Le joueur d’échecs
Le dispositif humanitaire
Depuis la fin du XX e siècle, nous observons le renforcement du phénomène humanitaire dans l’espace international. Avec le déploiement des interventions humanitaires, nous voyons s’installer et se renforcer toute une série d’institutions qui forment un système complexe. Alors que jusqu’à la fin des années 1980, les actions de secours se concentraient et s’organisaient généralement dans la périphérie des catastrophes ou des conflits, on constate qu’après la guerre froide, les interventions humanitaires vont avoir tendance à se retrouver au cœur même des conflits 1 .
Aujourd’hui, l’humanitaire est formé d’un réseau d’institutions, de pratiques et de discours possédant des logiques particulières, indépendantes en apparence bien qu’interconnectées, donnant lieu à un appareil efficace de pouvoir.
Michel Foucault définit le pouvoir comme un « ensemble d’actions sur des actions possibles : il opère sur le champ de possibilité où vient s’inscrire le comportement de sujets agissants : il incite, il induit, il détourne, il facilite ou rend plus difficile, il élargit ou limite, il rend plus ou moins probable ; à la limite, il contraint ou empêche absolument ; mais il est bien toujours une manière d’agir sur un ou sur des sujets agissants, et ce tant qu’ils agissent ou qu’ils sont susceptibles d’agir. » 2
Loin de l’action spontanée, urgente, isolée et imprévisible, l’action humanitaire appartient à un système devenu complexe qui suppose des savoirs, des techniques, des discours, des disciplines, des institutions et des individus. L’action humanitaire trouve ses ressources théoriques dans des disciplines comme le droit, la médecine, l’économie, mais aussi dans l’éthique et dans la politique. Le dispositif humanitaire agit dans un champ dans lequel évoluent également d’autres dispositifs. Nous essaierons de détecter certains des points de contact, certaines des différences, des contradictions, des identifications, des méfiances, mais aussi nous tenterons d’évaluer le degré d’isolation, d’intégration, de liberté et de contrainte des acteurs et des institutions ; il s’agit donc de relever ce qui fait fonctionner ce dispositif.

Figure 1 . Les flux de ressources à I’intérieur du système de secours international. OCDE/CAD, Conseils pour I’évaluation de I’aide hmanitaire apportée dans les situations d’urgence complexes, Paris, 1999.

Ainsi, la figure 1 , parue dans l’ouvrage Conseils pour l’évaluation de l’aide humanitaire apportée dans les situations d’urgence complexes, publié par le Comité d’aide au développement (CAD), expose les différentes institutions qui participent aux flux des ressources à l’intérieur du système de secours international. On retrouve ce même graphique dans le Rapport sur les catastrophes dans le monde, 1996 publié par la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. En effet, ce schéma a été accepté de façon informelle par les institutions de recherche, par les institutions qui financent l’élaboration d’un certain discours sur l’humanitaire et par les institutions activcs dans ce domaine.
A l’aide de cette figure, nous nous interrogerons sur les rapports de pouvoir existant entre ces institutions, le rôle de chacune, le degré de leur indépendance et le périmètre de leur action. Il faudra également identifier les particularités de leurs activités, de leurs discours, le rôle des individus, leurs intentions et leurs limites. Nous nous demanderons quel est le rapport de ces institutions avec le public et avec ce qu’elles identifient comme la « population touchée », c’est-à-dire les victimes. Cette figure est particulièrement intéressante, parce qu’elle ne fait état d’aucune hiérarchie, et qu’elle se vérifie sur un plan purement opérationnel. Chaque Etat, chaque organisme, chaque institution trouve sa place et joue son rôle dans ce système. Une analyse plus détaillée de ce dispositif est susceptible de remettre en cause certaines des valeurs et certains principes revendiqués par ces institutions, tels l’universalité, la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. A partir de cette analyse, nous voudrions proposer des réponses à deux ensembles de questions :

Figure 2 . le dispositif humanitaire
• Quelles sont les composantes du dispositif humanitaire ? S’il n’y a pas de hiérarchie formelle, comment se définissent les relations entre les différentes composantes ? Pouvons-nous identifier une force implicite qui dirige l’ensemble du dispositif humanitaire ? • Le dispositif humanitaire entretient-il, à côté de sa mission de soulagement des souffrances des victimes de catastrophes et de conflits , des visées politiques et stratégiques propres à une dimension géopolitique internationale ?
Dans l’optique d’une analyse du pouvoir, nous pourrions ajouter des acteurs dans ce schéma, définir leurs rôles, leurs tâches. Aussi, à partir de la figure 1 , nous avons créé la figure 2 , où nous avons ajouté certaines institutions qui nous semblent essentielles pour mieux comprendre le dispositif humanitaire. Nous pensons notamment à l’Etat, à l’institution militaire, aux institutions intergouvernementales, aux institutions académiques et aux médias.
Comme dans tout système complexe (éducatif, de santé, militaire, etc.), le dispositif humanitaire réunit non seulement des institutions mais également des supports académiques, scientifiques et juridiques qui procurent une cohésion croissante à un appareil à multiples facettes et objectifs. A partir de concepts essentiels comme ceux de dispositif, de pouvoir et de discours, nous voudrions décrire et analyser quelques aspects de certaines institutions retenues à chaque niveau de la figure 2 . En débutant cette analyse, nous avançons les hypothèses suivantes : • Le dispositif humanitaire est un ensemble d’institutions, de ressources, de discours et d’individus, défini par des relations de pouvoir. Les différentes institutions ont, entre autres, pour objectif de contrôler ou de garder leur indépendance les unes par rapport aux autres, en fonction de leurs capacités financières, discursives, juridiques et politiques ; • Le dispositif humanitaire, mis à part son objectif de secours aux souffrances des victimes de catastrophes et de conflits, est aussi un appareil de politique internationale avec d’autres buts, affichés ou non, qui favorise en réalité certains pays par rapport à d’autres,
Dans ce travail, nous ne prétendons pas mener une analyse exhaustive du système humanitaire dans son ensemble, ni faire un recensement de toutes les disciplines, les normes, les règles qui se trouvent à l’intérieur du dispositif. Notre intention n’est pas non plus d’exposer les principes philosophiques, moraux ou philanthropiques qui pourraient être à la base d’un « véritable » humanitaire. Mais, à partir de quelques institutions qui nous paraissent significatives, nous essaierons de montrer qu’il est possible, premièrement, de pénétrer un système complexe ; deuxièmement, d’identifier des composantes différentes de celles que les graphiques et les discours nous montrent ; et enfin, d’identifier certaines lignes de force, certaines politiques ainsi que les objectifs du système. Nous essaierons d’amorcer des pistes de travail qui permettent d’aller au-delà de ce que nous pr&#