Le monde de la prostitution à Paris au XVIIIe siècle
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Le monde de la prostitution à Paris au XVIIIe siècle , livre ebook

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Description

« Le plus vieux métier du monde ». Mille fois répétée, cette expression incarne et représente la place qu'occupe la prostitution dans l'imaginaire collectif : celle d'une activité pour le moins controversée mais pourtant perpétuellement présente. Cet ouvrage examine le monde de la prostitution à Paris au XVIIIe siècle pour tenter de décrypter le mode de fonctionnement du réseau lui-même, dans sa constitution et son organisation, et pour s'interroger sur l'existence possible d'un « métier » de la prostitution au Siècle des Lumières.

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Informations

Publié par
Date de parution 21 décembre 2018
Nombre de lectures 1
EAN13 9782336859446
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Chemins de la Mémoire
Fondée par Alain Forest, cette collection est consacrée à la publication de travaux de recherche, essentiellement universitaires, dans le domaine de l’histoire en général. Relancée en 2011, elle se décline désormais par sér ies (chronologiques, thématiques en fonction d’approches disciplinaires spécifiques). Depuis 201 3, cette collection centrée sur l’espace européen s’ouvre à d’autres aires géographiques. Derniers titres parus e Laporte (Samy),siècle (1795-1914),La vie quotidienne des Juifs de Pologne au XIX 2018. Giacchetti (Claudine Anne),Les déplacés. La diaspora juive est-européenne dans la France occupée. Témoignages et combats, 2018. Lafage (Franck), Louis III, dernier roi de Bavière, (1913-1918),Un souverain dans la tourmente de la Première Guerre mondiale,2018. Louis (Abel A.),artinique de la fin du Directoire à la M onarchie deLe livre et ses lecteurs en M Juillet (1799-1848). Essai d’histoire sociale et ma térielle, 2018. e e Lagardère (Vincent),Commerce fluvial et batellerie sur l’Adour du XVIIau XVIII siècle. Les ports de Dax, Saubusse, Port-de-Lanne, La Marquèze, 2018. Louis (Abel A.),Le monde du négoce à Saint-Pierre sous la M onarchie de Juillet (1830-1848), Essai d’histoire sociale et matérielle,2017. Feinermann (Emmanuel),La tradition juive et sa survivance à l’épreuve de la shoah, Tome 1 et 2, 2017. Louis (Abel A.),Les bourgeoisies en Martinique (1802-1852).Une approche comparative,2017. Massé (Paul),Le monde au siècle de Louis XIV. Faits historiques et politiques, société, économie, sciences, littérature, arts, religions,2017. Vignal Souleyreau (Marie-Catherine),« La raison de guerre », Correspondance du cardinal de Richelieu, Année 1635,2016. Ces dix derniers titres de la collection sont classés par ordre chronologique en commençant par le plus récent. La liste complète des parutions, avec une courte présentation du contenu des ouvrages, peut être consultée sur le sitewww.harmattan.fr
Julia TORLET Le monde de la prostitution e à Paris au XVIII siècle Métier de corps, corps de métier ?
© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr EAN Epub : 978-2-336-85944-6
Introduction
« Le plus vieux métier du monde »… Mille fois répétée, cette expression incarne et représente la place qu’occupe la prostitution dans l’imaginaire c ollectif : celle d’une activité pour le moins controversée, mais pourtant perpétuellement présente. Au cours des siècles, à travers tous les pays, traversant cultures et civilisations, le commerce du corps est une constante qui se renouvelle sans cesse. Produit même de la société qui l’entoure, la prostitution y demeure profondément ancrée et s’adapte à son évolution : du racolage près des temples antiques jusqu’aux annonces sur Internet, le métier se métamorphose et joue de toutes les ressou rces qui lui sont accessibles afin d’être toujours plus efficace. Pourquoi parler d’efficacité ? Parce que la prostitution est avant tout un commerce et, à ce titre, se doit d’exploiter le marché et d’en suivre les tendances. Commerce du corps, commerce des sens et commerce humain : il est peu étonnant que la prostitution déroute. La « marchandise » de ce commerce, le plaisir, est à la fois insaisissable et pourtant pleinement matérielle puisqu’elle passe par le biais du corps humain. Et c’est précisément parce que le véhicule de cette vente est un véhicule humain que la prostitution occupe cette position si particulière dans la conscience collective. Elle n’est que très – trop – rarement considérée comme u n métier, une profession à part entière. En revanche, la société l’a affublée de bien des sentiments, tous aussi divers que contradictoires. Du simple mépris pour ceux qui « s’abaissent à se vend re » jusqu’à une pitié excessive envers ces « esclaves de la société », toutes les opinions coexistent et se heurtent sans cesse au cours de débats dont les protagonistes ne sont presque jamais, paradoxalement, les acteurs de la prostitution eux-mêmes. Ces derniers sont quasiment invisibles. Ils ont beau hanter le cœur des villes, passer des heures au coin des rues ou des forêts, peupler un l arge pan de la littérature et même, de temps à autres, occuper le devant de la scène médiatique, ce ne sont jamais les prostitué-e-s ou les proxénètes qui s’expriment directement, mais le plus souvent des organisations qui au mieux les représentent, ou bien défendent prétendument dans leur intérêt de grandes causes telles que les conditions des femmes ou les droits humains essentiels. En somme, la prostitution est un sujet tabou. Tabou parce qu’il aborde la question des libertés humaines, tabou parce qu’il est directement lié à la sexualité, tabou enfin parce qu’il remet perpétuellement en cause le fonctionnement de la société. Cette remise en cause est due majoritairement au statut qui est accordé à la prostitution au sein de la société, variable en fonction du pays, de l’époque et de la civilisation. Certains pays considèrent actuellement la prostitution comme une activité légale et, à ce titre, réglementée, tandis que d’autres la maintiennent dans la clandestinité et la forcent ainsi à s’exercer en cachette, non seulement dans la crainte des autorités mais aussi dans les condition s de travail les plus déplorables. En effet la réglementation, en fournissant un cadre strict au s ein duquel peut être exercée l’activité, permet d’instaurer une certaine sécurité pour les acteurs de la prostitution. De plus, elle met également en place la reconnaissance d’un véritable statut juridique qui leur est propre et permet donc une reconnaissance professionnelle. Historiquement, ce sont ces mêmes points d’articula tion qui structurent le discours sur la prostitution. Les questions de la présence du métier au cœur de la société – et donc souvent de la ville –, de son interdiction ou de son autorisation , de son rapport aux autorités, à l’Etat et à l’ensemble de la population, et enfin du jugement moral qui lui est porté demeurent primordiales. Car si ces questions fondent leur raisonnement sur l’existence déjà pérenne de la profession, elles en façonnent également, par les conséquences qu’elles impliquent, l’évolution à venir. En France, la situation de la prostitution connaît plusieurs revirements. Globalement tolérée dès e le XII siècle, elle est par la suite, jusqu’à la fin du Moyen Age, encouragée et organisée, notamment afin de lutter contre les violences excessives faites aux femmes dans les communautés villageoises et urbaines. C’est Saint-Louis le premier qui, après avoir fermement interdit la prostitution, l’autorise finalement en 1256, en lui assignant quelques rues de référence à Paris, esquissant déjà le cœur géographique de la débauche, à savoir la quartier entourant les rues Saint-Martin et Saint-Denis. L’Eglise adopte tacitement la même posture que le pouvoir séculier en déclarant, à la suite de Saint-Augustin, que la prostitution est un moindre mal, et que le désordre serait bien pire si ce commerce n’avait plus cours. C’est pourquoi, bien qu’elle ne puisse réellement approuver la prostitution qui va
à l’encontre de l’idéal de vie conjugale, elle se montre relativement laxiste sur le sujet et tolère sa présence. L’époque moderne connaît en revanche un durcissement de la répression des prostituées. e Ce changement est dû essentiellement à la vague de contagion syphilitique de la fin du XV siècle et e du XVI siècle. La prostitution fait alors l’objet d’une méfiance extrêmement forte, non seulement sur le plan de la morale, comme toujours, mais également désormais sur celui de l’hygiène et de la santé publique. Dès 1560, l’ordonnance d’Orléans dé fend « tous bordeaux ». Cette interdiction e subsiste tout au long du XVII siècle et recourt essentiellement à l’exclusion, qui sert de moyen de punition. La création de la Salpêtrière à Paris en 1656 vient néanmoins bouleverser les rouages de la répression en permettant, sous l’impulsion de Louis XIV, la mise en place d’un projet de « grand renfermement ». Partie intégrante de l’Hôpital général, à la fois maison de force et hôpital, la 1 Salpêtrière devient alors pour les prostituées un « espace d’exclusion », point de départ également d’une répression nouvelle et extrêmement active, réglementée notamment par les ordonnances de 1684. e A l’aube du XVIII siècle, la répression des prostituées est donc en hausse et leur stigmatisation de plus en plus forte. L’activité n’a entre-temps évidement pas disparu. Elle existe toujours, aussi présente que précédemment à Paris, mais son fonctio nnement et son organisation muent afin de s’adapter au cadre qui l’entoure. Si la définition concrète de la prostitution demeure identique – il s’agit toujours de vendre une faveur sexuelle contr e de l’argent – la définition qu’en font les autorités connaît quant à elle quelques modificatio ns, et a d’ailleurs toujours tendance à rester assez e floue. Les filles du monde au XVIII siècle ne sont quasiment jamais arrêtées pour un d élit de prostitution en tant que tel, mais plutôt soit pour des fautes comme le vol ou l’escroquerie, soit pou r des délits de débauche, assez variés mais ne recoupant que partiellement la prostitution. En réalité, ce que la société condamne, plus que le vice, c’est le scandale. La définition de la prostitution est, to ut au long de l’époque moderne, extrêmement vague. Seu ls quelques éléments communs demeurent constants, dont évidemment l’aspect lucratif du commerce sexuel. Or, ce n’est précisément pas cet e aspect « mercenaire » qui est sanctionné au XVIII siècle, mais plutôt le dérangement et les remous que provoque la prostitution dans la ville. C’est-à-dire que, bien que toutes les filles, de tous niveaux sociaux, soient potentiellement coupables de délit de débauche, seules celles qui possèdent une certaine « notoriété », c’est-à-dire un accès visible à la vie publique, sont inquiétées et appréhendées. Les filles en chambre, qui n’exercent pas dans la r ue, ou les femmes entretenues échappent donc davantage au contrôle de la police. Cette différenciation des notions faite parmi les éléments de définition de la prostitution engendre un problème majeur, qui est celui de l’identification même des filles. Comment en effet envisager un recensement, voire simplement une connaissance des filles par e les hommes du XVIII siècle lorsque l’on sait la difficulté pour ceux-ci de leur attribuer un statut précis ? Certains contemporains s’essayèrent pourtant à l’estimation du nombre des prostituées. 2 Mercier par exemple recense environ quarante mille filles , ce qui est résolument excessif. Ce 3 nombre est néanmoins le plus fréquemment repris par l’historiographie . D’autres, alarmés par ce qu’ils considèrent comme une invasion de la prostitution, montent même encore plus haut dans leurs 4 5 chiffres, portant leurs estimations à 40 000 voire 60 000 prostituées. L’estimation la moins 6 démesurée est sans doute celle de Restif de La Bretonne , qui évalue en 1769 le nombre des filles à 20 000, toutes classes confondues. L’historienne Er ica-Marie Bénabou avance quant à elle prudemment le chiffre de 10 000 à 15 000 prostituées, qui semble être le plus probable bien que délicat à affirmer de manière certaine. Quoi qu’il en soit, c’est une véritable fourmilière que le e monde de la prostitution à Paris au XVIII siècle. Les catégories de filles sont nombreuses, déterminées à la fois par le milieu social au sein duquel elles évoluent, le type de travail qu’elles accomplissent et le mode de vie qu’elles mènent. Ce s subdivisions semblent de prime abord extrêmement complexes car mises en jeu par de subti ls équilibres et nuances. Mais surtout, un e élément apparaît difficilement dans ce tableau de l a prostitution au XVIII siècle : celui de la cohésion. En effet, si la prostitution est un métie r, il est on l’a vu clandestin dans une certaine e mesure et, au XVIII siècle, fortement réprimé. Mais les protagonistes de l’activité, aussi bien prostituées que proxénètes, sont issus de milieux et de strates sociales si différents les uns des autres qu’il est parfois délicat de saisir l’unité qui rel ie le groupe, si groupe il y a. En effet, les étude s
historiques pour l’instant menées ont principalement mis l’accent sur les relations entre monde de la prostitution et monde de la police, ou entre prostituées et clientèle. Mais l’intérieur du réseau, son organisation et sa structure, les enjeux qui le gou vernent et les axes qui le sous-tendent sont quant à eux bien moins connus. e C’est pourquoi l’histoire de la prostitution au XVIII siècle sera ici abordée sous cet angle, celui d’un réseau tentaculaire couvrant l’ensemble de la capitale, et se concentrera sur les rouages et mécanismes qui interviennent au sein même du groupe socio-professionnel de ce commerce. Souhaitant déterminer ses caractéristiques, l’étude s’attachera à disséquer ce vaste ensemble, constitué à la fois de prostituées et de proxénètes . L’objectif de cette recherche est de tenter d’entrevoir les composantes communes d’un métier éclaté afin d’en rechercher les points d’accroche et, ainsi, d’en dégager une possible cohérence globale propre à la profession. Le parallèle avec le monde des corporations a été retenu en tant qu’il s emble en effet pouvoir être établi à partir de l’observation du monde de la galanterie. Un parallè le délicat certes tant les souterrains de la débauche paraissent éloignés des métiers réglés ; néanmoins, ce parallèle pourra constituer un fil rouge à l’aune duquel il sera possible de mesurer la cohésion globale du métier de prostitution. Loin des clichés les plus répandus présentant la prostitution comme une activité anarchique, où filles légères côtoient maquereaux crapuleux, nous projetons de démontrer que le monde de la débauche constitue au contraire un milieu professio nnel réglementé, organisé et structuré selon des codes qui lui sont propres, et relève à la fois d’u n héritage d’anciennes traditions et d’une adaptation à la société nouvelle dans laquelle il évolue.
1 M. Foucault,Histoire de la Folie, Paris, 1961. 2 L.-S. Mercier,Tableau de Paris,Hambourg, 1781, 2 vol., vol. 2, p.8 : « On compte à Paris trente mille filles publiques, c’est-à-dire vulgigagues ; et dix mille environ, moins indécentes, qui sont entretenues ». 3 Par exemple A.J.B Parent-Duchâtelelet,De la prostitution dans la ville de Paris, considérée sous le rapport de la morale, de l’hygiène et de l’administration, 1837, 2 vol., t.1, p.30 : « Dans ce dernier nombre de trente mille on comptait les femmes galantes de tout genre, les ouvrières faisant ressource de leur corps et les femmes de théâtre ; les femmes publiques, notoirement connues pour telles, faisaient plus de la moitié de ce nombre ; et de cette dernière classe, il y en avait neuf à dix mille qui trafiquaient dans les rues ». 4de la Reynière, Grimod Réflexions sur le plaisir par un célibataire, Paris, 1784, p.123, cité par e Erica-Marie Bénabou,La Prostitution et la Police des mœurs au XVIII siècle, Perrin, Paris, 1987, p.327. Lecointe,La Santé de Mars,Paris, 1790, p.223,Ibid. 5dit Elie Harel, Maximilien Les Causes du désordre public, Avignon – Rouen, 1784, p.55 : « On en compte soixante mille de prostitution, auxquelles on en ajoute environ dix mille privilégiées, ou qui font la contrebande en secret »,Ibid. 6 N.-E. Restif de La Bretonne,Le Pornographe ou la Prostitution réformée, Londres, 1769.
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