Le nain de jardin

Jocelyn Gadbois

Description

Le nain de jardin porte fièrement différents bonnets. Il semble vide de sens tellement il peut en avoir. Polysémique à l'excès, il paraît insignifiant. La sémiotique du nain de jardin serait-elle une entreprise absurde ? Ce livre explore sérieusement la symbolique culturelle du nain. Il ose voir la culture à hauteur de nain de jardin.

Sujets

• Anthropologie
• Ethnologie
• Civilisation
• Beaux arts

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 janvier 2010
• Nombre de lectures: 320
• EAN13: 9782296245013
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 5 Mo

Extrait

le nain de jardin
objet en éclatsJocelyn Gadbois
le nain de jardin
objet en éclats
L'HARMATTAN({)
L'HARMATIAN, 2009
5-7, rue de l'École-Polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[e-mail]
harmattan [e-mail]
ISBN: 978-2-296-10737-3
EAN: 9782296107373À la mémoire de Réjeanne BienvenueTable des matières
LE NAIN DE JARDIN, L'ÉTUDE 9
4]LE SUJET, L'OBJET
42l'ob,jet, la chose
46l'histoire, le présent
le
le travailleur, le retraité 60
l'inutile. l'utile 64
le dérisoire,
le sujet, l'être 77
la personnalité,
la survie, la mort
LE PROTÉGÉ. LE RÉDUIT 91
le compagnon, le pauvre 95
le libéré, la victime 100
l'armé, l'arme 107
ILE SIGNIFIANT, L'INSIGNIFIANT 123
126le sexué, le sexuel
le le macho
le coquin, le pervers
142le légendaire, l'inauthentique
le politicien, Je révolté 148
le social, le marginal 153
le rehetle, le handicapé 153
l'orphelin,
le mystère, le sourire 164
"""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""""'"
L'INCLASSABLE, LE POLYSÉMIQUE 169
170l'autre, le miroir
le syndrome, la thérapie 174
le différant, le même 182
LES RÉFÉRENCES, LES SOURCES 185
195à hauteur de nainComme les gnomes sont [...] d'un
naturel extrêmement réservé et
n'aiment pas être interrogés, notre
étude comporte fatalement des lacunes
et des impeifections.
w. Huygen(2003 : 5)
LE NAIN DE JARDIN, L'ÉTUDEBonheur, malédiction, mon logement contient des milliers
d'objets. Je l'avoue, j'ai mes préférés. J'aime particulièrement
cajoler mes petits derniers, desquels je me lasse parfois
rapidement. Je vis dans un monde d'objets et surtout de
consommation. Je ne consomme en revanche que les objets
qui me paraissent familiers; je laisse les infami/iers aux
étrangers, aux autres consommateurs. Mais j'avouerai aussi,
j'ai chez moi quelques objets infami/iers, qui ne me
ressemblent ni ne me rassemblent, qui apparaissent comme
des intrus chez moi. Par exemple, j'ai dans ma bibliothèque
quelques livres que je n'ai toujours pas rendus à mon ami. Je
n'ai aucunement envie de les lire, mais j'ai encore moins
envie d'expliquer à cet ami que je ne les lirai pas. J'ai dans
mon armoire maudite un ou quatre briquets que j'ai volés par
inattention dans mes jeunes années de fumeur, et que je
conserve « au cas où »... J'ai un parfum qui sent l'horreur sur
moi, mais que je garde par orgueil, puisque j'ai dit à mon
amie que je n'avais pas besoin de l'essayer avant de l'acheter.
J'ai un souvenir de Punta Cana, une sorte de sculpture en bois
ni laide ni intéressante, même si je n'y ai jamais mis les
pieds; je ne me souviens plus qui me l'a donné. J'ai un tapis
qui jure dans mon décor, que ma mère m'a offert, car il lui
faisait « penser à moi », que je piétine tous les matins. J'ai une
boîte de fils et de câbles de différentes natures et couleurs qui
ne font que me rappeler à quel point je ne connais rien en
électronique. J'ai un truc, je ne saurais le qualifier autrement,
qui ne (me) sert strictement à rien, mais que je conserve dans
l'espoir de résoudre son énigme. Enfin, tous ces objets
infamiliers, auxquels s'ajoutent tous les autres qui se sentent
menacés dès que j'ouvre un sac vert, s'obstinent à
s'empoussiérer çà et là. Je les tolère chez moi, comme si
j'attendais qu'ils trouvent un sens à leur vie d'objet. Ils sont
comme une part d'inutilité en moi, un appendice, un ongle de
petit orteiL.. Ils me posent une énigme aussi embarrassante
que leur présence: peut-on exister et être fatalement inutile?
10C'est une question qui me hante depuis longtemps. Je
me souviens d'une situation où elle m'a giflé de plein fouet.
J'étais adolescent et j'avais invité chez moi mes meilleurs
amis, car (chance inespérée) mes parents avaient décidé de
déserter les lieux. Au menu: hot dogs, Radiohead, cigarettes
et bien d'autres substances. Les esprits s'altéraient gaiement
jusqu'à ce qu'un intrus, pourtant là depuis le début, attire et
fasse dévier notre attention. Il s'agissait de l'un des (fichus)
nains de jardin de ma mère. À cette époque, je nourrissais une
sorte de haine timide envers ces objets. En fait, ils me
faisaient honte, voire doublement honte. Honte d'une part,
parce qu'ils affichaient, dans la rue en plus, une différence
que je refusais d'assumer. Et honte d'autre part, car à chaque
fête d'Halloween, ma mère les déguisait, dans le but qu'ils ne
troublent pas la sombre fête, en petits fantômes.
Malheureusement pour ma mère qui ne voyait pas l'analogie,
ces petits fantômes au bonnet pointu ressemblaient davantage
à des membres du Ku Klux Klan qu'à des spectres de nains de
jardin. On peut donc comprendre que ce nain dérangeait la
fête. Trop vieux pour qu'on le considère des nôtres, trop petit
pour nos ambitions, trop éclatant devant la langueur de notre
existence, trop futile pour mériter un quelconque respect, trop
angélique pour être dans notre état; il n'avait pas sa place
parmi nous. Il nous énervait. Il était là, inutile et bête, et
joyeux de l'être. Il nous énervait tant que nous avons
commencé à comploter contre lui. En chuchotant, de peur
qu'il nous entende comploter son assassinat, nous avons
trouvé drôle et d'une rare (im)pertinence de l'attacher sur les
rails du chemin de fer.
Enthousiaste à l'idée d'exécuter un nain sans procès
aucun pour lui apprendre ce qu'est la vie, un de mes amis a
cependant apposé son veto. Il faut croire qu'il lui a sauvé la
vie. Cet ami nous a rappelé que le nain gardait le secret du
bonheur et que ce n'était pas en (le) tuant qu'il nous le
révèlerait. Devant son insistance, et le tremblement de sa
11voix, nous nous sommes tus. Ce soir-là, rien n'a été ou ne
s'est attaché aux rails. Ce même soir, cet ami nous a confié, à
l'arraché, ses idées suicidaires. Peut-être ce nain l'aura-t-il
aidé à les expier, ou du moins aidé à formuler son profond
malheur. D'apparence inutile, le nain m'a alors semblé
profond. De mon côté, je me sentais petit et profondément
inutile.
Dès lors, je ne croyais plus en une insignifiance
typiquement naindejardine. Parfois, être là et sourire est
fatalement utile. Derrière la menace d'être infamilier et de ne
servir à rien se cache une mer de significations. Finalement,
ces objets en révèlent beaucoup plus sur soi que l'on semble
le croire. Ils siègent sur nos limites et nos incohérences
individuelles et collectives et le traitement qu'on leur réserve
pourrait témoigner de nos manières de résoudre nos
questionnements existentiels. De cette manière, il est
important de se demander qu'est-ce qu'un nain de jardin:
d'où vient-il, où va-t-il et, surtout, que veut-il? Mais avant de
viser semblables problèmes, il faut préalablement explorer le
potentiel interprétatif d'un tel objet. Vers quel monde
renvoiet-il et que nous apprend-il de lui? Le nain de jardin est certes
un objet d'étude original, mais cette originalité garantit-elle sa
pertinence?
Pour répondre par l'affirmative, il faut s'appuyer, entre
autres, sur deux postulats. Le premier est que la culture de
masse est en soi une culture et qu'elle peut par conséquent se
prêter aux interrogations savantes. L'ethnologue peut alors la
conquérir. Mais s'il veut traiter ses questions de manière
convaincante, il doit absolument être convaincu du
relativisme culturel et oser croire en l'égalité des objets entre
eux. L'ethnologue doit réussir à considérer la riches