Les rêves et les visions de Carl Gustav Jung

Jean-Luc Van Den Bergh

Description

Si les rêves sont la voie royale vers l'inconscient, comment le psychanalyste les travaille-t-il pour son propre compte ? Quel intérêt y a-t-il à analyser ses rêves ? Telles sont les questions auxquelles répond Jung tout au long de sa biographie, de sa correspondance et de son œuvre. L'auteur décrit l'importance qu'ont pu avoir aux yeux de Jung les matériaux oniriques qui l'ont saisi et l'impact de ses rêves dans son cheminement.

Sujets

• Psychologie
• Psychanalyse
• Psychiatrie

Informations

• Publié par: L'Harmattan
• Date de parution: 01 juillet 2010
• Nombre de lectures: 105
• EAN13: 9782296261136
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 4 Mo

Extrait

Introduction On considère comme quatrième état ce qui n’a ni connaissance intérieure ni connaissance extérieure, ni connaissance de l’un et de l’autre, ni connaissance globale, ni connaissance et non connaissance à la fois qui est invisible, inapprochable, insaisissable, indéfinissable, impensable, innommable, qui n’a pour essence que l’expérience de son propre soi, qui annule la diversité, qui est apaisé, bienveillant, sans dualité. 1 C’est le Soi. C’est lui qui est l’objet de connaissance. Jung a toujours accordé beaucoup d’importance aux rêves, tant dans sa vie intérieure que dans sa théorie. Sa vie, telle que sa biographie et sa correspondance le donnent à voir, est fondamentalement façonnée par les rêves et les visions. Les contenus oniriques sont le grand architecte de la vie de Jung. Autour de cette architecture onirique, les événements extérieurs se greffent et constituent toute vie consciente selon l’importance que nous leur accordons. C’est ainsi que Jung considère les événements extérieurs affectant l’homme ordinaire : comme des épiphénomènes sociaux qui tournent autour d’autres événementsŔ intérieurs ceux-làŔ hautement plus importants parce qu’ils renvoient et reflètent plus la vie de l’âme. Cette vie psychique se compose essentiellement de rêves et de visions, de phantasmes et de fantaisies, d’imaginations et d’inspirations, de souvenirs et, en dernier lieu, de pensées. Ces événements intérieurs façonnent l’homme et ils vont constituer le fondement de la biographie de Jung, tel qu’il l’a élaborée avec Aniela Jaffé, sa secrétaire et co-auteur deMa vieSouvenirs, rêves et pensées. Jung accorde plus de foi à la vie intérieure qu’à la vie sociale. En nous appuyant sur les matériaux oniriques de ce livre écrit à deux voix, nous avons réécrit la biographie intérieure de Jung : celle constituée essentiellementpar ses rêves et ses visions, vécus endormi ou éveillé, tirés de son autobiographie mais aussi provenant de sa correspondance et de l’Œuvre (l’ensemble des écrits de Jung). Si les rêves sont la voie royale vers l’inconscient, comment le psychanalyste les aborde-t-il et les travaille-t-il pour son propre compte ? Qu’en tire-t-il ? Que lui indique l’inconscient ? Quel intérêt y a-t-il à analyser ses rêves ? Jung répond à ses questions en les illustrant concrètement, à la fois dans ses livres mais aussi dans sa correspondance au cours de laquelle il peut échanger sur les rêves avec son interlocuteur et, tant qu’à faire, citer les siens.

1 Mandukya Upanishad, Librairie d’Amérique etd’orient, 1981, p. 21.

Nous avons donc fait le choix de centrer notre regard uniquement sur les matériaux oniriques de Jung. Ceci veut dire que nous avons mis volontairement de côté les analyses de rêves d’autrui que Jung a beaucoup pratiquées au détour de sa correspondance. Si Freud évoque quelques-uns de ses rêves dansL’interprétation des rêves, Jung n’hésite pas à en livrer plusieurs -explicitement - et à proposer ses propres interprétations dansMa vie. De surcroît, il nous décrit l’impact qu’ont eu ses rêves dans son cheminement : par exemple, l’écriture d’articles ou de livres (Métamorphoses de l’âme et ses symboles,Réponse à Job,L’esprit Mercure…), la création de certains concepts (l’ombre, l’anima, l’animus), l’émergence de certaines thématiques (l’alchimie, le religieux, le Soi). C’est dire l’importance qu’ont pu avoir aux yeux de Jung les matériaux oniriques qui l’ont saisi. Jung invoque et exhorte les rêves (en les amplifiant) pour qu’ils le conduisent sur le chemin de la réalisation de soi, sur ce processus d’individuation où le narcissisme naissant se transmute en œuvre collective, en miroir de l’histoire de l’humanité. Au travers des rêves, les mythes et les religions viennent habiter la parole, l’écriture et l’imagination active de Jung. Par-delà les matériaux oniriques, ces résidus archaïques d’autres siècles, un mythe personnel se dessine, un destin hors du commun se trace. Et une aventure prodigieuse surgit au détour de la confrontation avec l’inconscient, qu’il soit personnel ou collectif. À l’heure où les conflits se déroulent dans le monde, il est bon de se rappeler qu’avant que les guerres ne se déclenchent sur un plan manifeste, elles naissent d’abord sur un plan latent, c’est-à-dire à l’intérieur même de l’homme. Les rêves que Jung fait (il vaudrait mieux dire : les rêves qui font Jung) au moment des deux guerres du siècle dernier sont sur ce plan impressionnants : se pourrait-il que certains rêves tout au moins captent « l’air du temps », voire pronostiquent ce qui pourrait se dérouler ? La question reste en suspens. Et ce n’est pas le moindre de la pensée jungienne de surprendre et de poser les choses autrement que ses contemporains. En effet, son expérience intime de l’Autre, de ce qui nous est inconscient, inconnu, inconcevable sur un plan conscient, conduit à sortir hors des sentiers battus, y compris de la sente freudienne. Au fur et à mesure que vous lirez sa confrontation avec l’inconscient qui, comme cette expression l’indique, laisse à penser que «Ça» n’est pas du tout de tout repos (!), les questions commencent à se bousculer aux portes de la raison. Se peut-il que de telles expériences subjectives soient possibles ? Jung n’a-t-il pas mythifié sa vie ? Ce qu’? Et, dans ce cas,il rapporte relève-t-il du délire comment faire la part des choses entre le normal et le pathologique ? Le vécu de Jung conduit inévitablement à se questionner sur la force des puissances inconscientes qui peuvent nous entraîner dans leurs mouvements, sans que nous puissions résister à cet attrait des profondeurs et à cette projection de l’inconscient lui-même jusque dans la périphérie des yeux. En

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effet, Jung évoque la relation entre le conscient et l’inconscient qui passe par la prise en compte des rêves et des visions, le dialogue avec les figures de l’inconscient qui se présentent spontanément lors de l’usage de la technique de l’imagination active, voire dans les moments de rêverie. Voilà ce dont il préfère parler plutôt que d’insister sur les manifestations de l’inconscient dans la vie quotidienne tel que Freud a pu le décrire sous forme de lapsus, d’actes manqués, de refoulements…. Jung se confronte à un inconscient fait «d’images parlantes ». Il décrit la rencontre avec l’inconscient et les moyens pour intégrer ses messages, ses enseignements, sans pour autant « devenir fou ». Jung nous indique comment comprendre ses rêves, comment intégrer au quotidien les enseignements de l’inconscient pour, peu à peu, tracer son propre chemin - en toute conscienceŔen direction de l’individuation. Qu’est-ce à dire ? Il s’agit ni plus ni moins que de vivre l’ensemble des différents aspects de la personnalité. Jung nommait ce vaste programme le processus d’individuation qu’il nous invite à découvrir tout au long des périples qu’évoque sa biographie… rêvée. Évidemment Jung n’a pas livré au public tous ses rêves. Ce n’était pas nécessaire car notre homme, pédagogue érudit, cherchait avant tout à se faire comprendre et entendre ; comme l’un de ses derniers rêves de 1960 l’atteste ainsi que le livreL’homme et ses symbolesentièrementécrit à l’adresse de Monsieur tout le monde. Il se souciait de vouloir enseigner surLes enseignements durêve(un article sur le rêve publié dansL’homme à la découverte de son âme1928). À en savoir : une certaine pratique d’interprétation, une conséquence du rêve sur la vie quotidienne, un aspect théorique conçu à partir de rêves, une synchronicité, une résonnance avec un rêve de correspondant, une vision prospective. Jung sélectionne ses rêves, moins par désir de censure due à un quelconque complexe et autre refoulement, mais plutôt par ambition pédagogique. Néanmoins, rien n’est livré au hasard : la nécessité de l’inconscient paraîtŔ souventŔ l’emporter sur des choix conscients : couramment dans la correspondance, le personnage n°1 de Jung (le personnage que nous présentons à autrui, fait depersonaet de Moi) s’efface au profit du n°2 (le personnage issu de l’inconscient). Qu’il le veuille ou non, Jung laisse transparaître sesombres, « son »animaet d’autres figures de l’inconscient qui habitent ses rêves. Pour ces raisons (souci didactique et pédagogique, confrontation avec l’inconscient personnel mais aussi collectif, figures de l’Autre, techniques et approches singulières et pragmatiques du rêve), lire Jung conduit à penser très rapidement qu’il n’est pas l’épigone de Freud comme les disciples de ce dernier et certains historiens de la psychanalyse ont pu le laisser entendre ! En matière de rêve, Jung a une autre conception et une autre pratique que celle de Freud. Il est important de le noter : Jung est pragmatique. L’expérience d’abord du rêve prime sur la théorie du rêve. Certes, comme chez Freud, l’expérience du rêve est là pour confirmer ou infirmer la conception théorique. Pour autant, Jung s’est toujours défendu de détenir ou de postuler une théorie du rêve (dans

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le sens d’un système rigide). Cela aurait été aller à l’encontre de son refus de tout dogmatisme, de toute forme d’unilatéralisme, de toute « inflation intellectuelle » (le discours du maître qui refuse tout questionnement du « décimètre »). Néanmoins, il a pu repérer et formaliser certains invariants des manifestations de l’inconscient : les figures de l’Autre, duSoi. Dans ce sens, il a élaboré une « théorie » qu’il a cherché ensuite à prouver en recherchant chez ses patients s’ils vivaient ce type «d’exercice du symbole onirique» tout en établissant des parallèles historiques. Jung a recherché dans des textes anciens des traces, des descriptions d’expériences similaires. Et c’est là toute l’originalité de Jung : s’appuyer sur des motifs oniriques, vécus aussi par d’autres, pour en concevoir une œuvre. A différentes époques, différents chercheurs et créateurs ont fait des découvertes grâce à leurs rêves : l’aiguille à coudre d’Elias Howe, le mouvement des électrons par Neils Bohr, la théorie de la relativité d’Albert Einstein, la structure moléculaire du benzène chez Friedrich August Kekule, la seconde partie deJonathan le goélandrêvé par son auteur Richard Bach,Cris et chuchotements inspiré à Bergman. Jung, pourrait-on dire, se rapproche de ces rêveurs. Néanmoins, il s’en démarque au sens où il élabore une théorie, une œuvre à partir de ses rêves, à partir d’une façon de procéder qui consiste à dialoguer avec l’inconscient. Jusqu’avant sa rencontre avec Freud, jusqu’au rêve du parapluie remis à une divinité (1902), juste à ce moment où Jung fait sa thèse sur les phénomènes dits occultes, chacun de ses rêves et visions rapportés dans Ma vie sont matière à élaborer et à confirmer ce qui deviendra un concept, ce qui apportera une pierre à l’édifice jungien, à l’Œuvre (expression qui désigne l’ensemble des travaux de Jung, en particulier ceux consacrés à l’alchimie). Par la suite, Jung poursuivra ce travail de réflexion écrite, de dialogue sur ses productions oniriques suite à une série de rêves alchimiques. C’: lest ce que vous allez lire ’ensemble (non exhaustif) des rêves de Jung que nous avons retrouvés dansMa vie Souvenirs, rêves, penséesainsi que dans sa correspondance et son Œuvre. Cette vie intérieure se moque de la chronologie, d’autant plus lorsqu’il s’agit de repenser à sa vie soixante-dix ans plus tard et de se la raconter de nouveau, de la réaménager en fonction du moment présent qui, déjà, scandé par le rythme des mots énoncés et écrits, se fait passé, à cet instant même où le futur vient de tracer le présent. Les événements intérieurs, constitutifs de la vie de l’âme, englobent différents temps qui, plutôt que de se faire succession chronologique (marque de fabrique de la causalité reproductible) se superposent et s’entrecroisent pour tendre à se succéder en formes circulaires (marque de fabrique de la synchronicité répétitive). Jung se moque de la rectitude historique, de la finitude de l’événement daté et quantifié. Néanmoins, par souci d’une meilleure lisibilité de la vie intérieure de Jung, nous présentons les rêves et les visions de Jung sous forme d’une « ligne du temps »

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