Les serviteurs sont fatigués
70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Les serviteurs sont fatigués , livre ebook

-

70 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Cet essai décrit le retour de la figure très ancienne de l'affrontement du serviteur avec son maître, au coeur des rapports capitalistes contemporains, au temps de la crise sans fin de la démocratie libérale. La dérégulation généralisée des relations entre le capital et le travail, la disparition toujours accélérée des emplois à statut, la "flexibilisation" du travail se conjuguent avec la crise de la représentation qui dépouille les couches populaires de ce qui leur restait de capacité politique. Ainsi se dessine le nouveau visage de la subalternité.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 avril 2013
Nombre de lectures 16
EAN13 9782336663722
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0424€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
4e de couverture
Quelle drôle d’époque !
Collection dirigée par Alain Brossat et Jean-Louis Déotte
Comment répondre d’une actualité constamment mouvante, comment y déchiffrer des marques d’époque, ou des signes annonciateurs ?
Comment le travail de la pensée, étayé par nos savoirs en partage et l’expérimentation des concepts, peut-il nous soutenir dans nos activités de diagnosticiens du contemporain ?
Avec cette collection d’essais brefs, vifs, se destinant à poser, explorer une question liée à notre actualité plutôt qu’à proposer des réponses ou des recettes, nous tentons d’ engager la philosophie et les sciences sociales dans une activité d’interpellation du présent. Nous nous demandons de quoi (de qui...) sommes-nous vraiment contemporains, et qu’est-ce qu’être contemporain – dans notre relation au plus proche, mais aussi au plus lointain.
Et en quoi cette question rapproche-t-elle les puissances de la pensée des possibilités de la vie active ?
Titre
Alain Brossat
Les serviteurs sont fatigués
(les maîtres aussi)
Copyright
Du même auteur
L’épreuve du désastre – le XX e siècle et les camps , Albin Michel, 1996
Le corps de l’ennemi – hyperviolence et démocratie , La fabrique, 1998
L’Animal démocratique – notes sur la post-politique, Farrago, 2000
Pour en finir avec la prison – l’état d’exception permanent , La fabrique, 2001
La démocratie immunitaire , La dispute, 2003
Le serviteur et son maître – essai sur le sentiment plébéien , Leo Scheer, 2003
La résistance infinie , Lignes-Manifeste, 2006
De l’autre côté de la Terre, Taïwan-Japon, novembre 2005-février2006 , l’Insulaire, 2007
Le sacre de la démocratie – tableau clinique d’une pandémie , Anabet, 2007
Bouffon Imperator , Nouvelles éditions Lignes, 2008
Le grand dégoût culturel , Seuil, 2008
Entre chiens et loups – philosophie et ordre des discours , 2009
Droit à la vie ? , Seuil, 2010
Autochtone imaginaire, étranger imaginé – retours sur la xénophobie ambiante, Éditions du souffle, 2012
© L’Harmattan, 2013 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
EAN Epub : 9782336663722
Citations

A Jean-Louis Thévenin pour sa constance et sa ponctualité
Les serviteurs sont fatigués

« Le majordome apparut, lui prit sa valise et disparut en silence »
Rosamund Lehmann, Poussière (traduit de l’anglais par Jean Talva)
La division, soutient Marx dans les premières lignes du Manifeste du Parti communiste , est l’immémorial, le toujours-déjà-là, serti dans la vie sociale 1 . La vie que l’on dit commune, c’est la vie d’emblée divisée par la lutte, l’affrontement, une sorte de guerre – la lutte des classes . Dans le Discours sur la première décade de Tite-Live , Machiavel ne disait pas autre chose : simplement, il nommait « tumultes » ce que Marx place sous le signe de la lutte des classes. Les tumultes, plutôt que les bonnes lois, comme fondement de l’exemplarité et des vertus de la République romaine 2 .
Plutôt qu’origine, scène originaire ancestrale vers laquelle il conviendrait de remonter pour comprendre les enchaînements de causes et d’effets dont notre présent serait le résultat, la division est ici posée comme une condition et une provenance ( Herkunft ) auxquelles il nous faut sans cesse revenir lorsque nous tentons de nous donner prise sur notre propre actualité. La lutte des classes, dit Marx, c’est l’histoire des enchaînements ininterrompus entre différentes figures de la division, chacune correspondant à une formation historique et sociale : « homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon… ». L’élément invariant, c’est « l’oppression », toute histoire étant histoire de l’oppression, l’un supposé de la vie commune, de l’existence sociale en partage, se divise toujours en deux, sur un mode qui est celui de l’antagonisme et de l’affrontement – des « oppresseurs » d’un côté, des « opprimés » de l’autre. La division n’est pas ici un simple principe de répartition ou de séparation, elle est un principe dynamique dont l’élément moteur est « la lutte », « l’opposition perpétuelle » des uns et des autres.
Pas de pause, pas de trêve, pas d’interruption dans cet affrontement : si l’histoire est un continuum, c’est en tant que cette guerre, jamais, ne prend fin : lorsque la société bourgeoise s’élève « sur les ruines de la société féodale », l’antagonisme de classes change de visage, mais ne faiblit pas. C’est, tout simplement, une nouvelle configuration de la lutte, avec de nouveaux visages, qui prend le relais – bourgeoisie et prolétariat (en termes politiques), capitalistes et salariés (en termes socio-économiques).
On remarquera que la démarche de Marx est ici tout entière indexée sur le cours de l’histoire, historiciste, même : ce sont des époques, des configurations historiques déterminées qui définissent la façon dont la division immémoriale va être, dans chaque cas, différemment « peuplée » : « Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au Moyen Age, des seigneurs, des vassaux, des maîtres de jurande, des compagnons, des serfs et des hiérarchies dans chacune de ces classes ». La ligne de partage qui sépare les unes des autres est celle de l’oppression, la relation fondamentale des unes aux autres, l’affrontement, la lutte.
Dans la société moderne (la société bourgeoise), dit Marx, l’antagonisme se simplifie : ce sont deux « vastes camps », deux « grandes classes » qui s’affrontent -la bourgeoisie et le prolétariat. Cette simplification fait époque : toute la conflictualité sociale tend à se concentrer sur cet affrontement seul ; le renversement du « pouvoir » de la bourgeoisie par le prolétariat peut émanciper l’histoire et la société de cette domination qui étouffe son développement.
Ce qui distingue le prolétaire, l’ouvrier moderne de l’esclave, du serf et même du serviteur d’Ancien Régime, c’est le fait qu’il n’appartient pas au capitaliste comme l’esclave appartient à son maître ni n’appartient à l’atelier (l’usine) où il travaille comme le serf « appartient à la terre et constitue un rapport pour le maître de la terre » ( Travail salarié et capital ). Il n’est pas à proprement parler « libre » (condamné qu’il est à vendre sa force de travail pour subsister), mais son travail, en tant que marchandise, est dit libre au sens où il peut le « vendre aux enchères » à tel ou tel capitaliste – il n’appartient pas, il se vend de gré à gré :
« L’ouvrier libre […] se vend lui-même, et cela morceau par morceau » 3 . Cette distinction fondamentale entre celui qui appartient et celui qui se vend (et en vertu de laquelle un serviteur d’Ancien régime, quel que soit son rang, quel que soit son emploi, est plus proche de l’esclave et du serf que du prolétaire moderne car il « appartient » à une maison, petite ou grande) n’empêche évidemment pas Marx de parler d’« esclavage » pour désigner la férocité de l’exploitation moderne – mais c’est une image : « Maître à la fois distingué et barbare, il [le capital] entraîne dans sa tombe les cadavres de ses esclaves, des hécatombes entières d’ouvriers qui sombrent dans les crises » 4 . Mais ces retours approximatifs de l’immémorial dans l’analyse des rapports de classes modernes n’empêchent pas Marx de prendre tout à fait au sérieux la figure de l’équivoque « liberté » de celui qui, en passant du côté du salariat, a appris à « se détacher » des contraintes et emprises qui s’exercent sur lui (par le biais de la vente de la force de travail) : « Du fait que tout est vendable, les ouvriers ont constaté que tout pouvait être séparé, détaché d’eux, ils se sont libérés de leur subordination à un rapport déterminé. Avantage que l’ouvrier peut utiliser son argent comme il veut, aussi bien contre les livraisons en nature que contre les manières de vivre uniquement prescrites par la classe

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents