Minorités et minoritaires
119 pages
Français

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Minorités et minoritaires , livre ebook

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Description

Qu'est-ce qu'être minoritaire dans une société ? Il ne s'agit pas d'une question d'arithmétique : les Noirs en Afrique du sud ont pu être analysés comme « minoritaires » alors qu'ils sont largement plus nombreux que les Blancs. Inversement, une minorité infime peut avoir un poids colossal dans l'histoire d'un pays. Cette relation complexe entre majorité et minorités est analysée ici au travers de huit exemples, dans des aires très éloignées : Grande-Bretagne, Palestine, Australie, Canada, Jamaïque et Afrique de l'Ouest.

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Informations

Publié par
Date de parution 24 octobre 2018
Nombre de lectures 3
EAN13 9782336854526
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1050€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Collection Racisme et Eugénisme dirigée par Michel Prum La collection « Racisme et eugénisme » se propose d’éditer des textes étudiant les discours et les pratiques d’exclusion, de ségrégation et de domination dont le corps humain est le point d’ancrage. Cette problématique du corps fédère les travaux sur le racisme et l’eugénisme, mais aussi sur les enjeux bioéthiques de la génétique. Elle s’intéresse à toutes les tentatives qui visent à biologiser les rapports humains à des fins de hiérarchisation et d’oppression. La collection entend aussi comparer ces phénomènes et ces rhétoriques biologisantes dans diverses aires culturelles, en particulier l’aire anglophone et l’aire francophone. Tout en mettant l’accent sur le contemporain, elle n’exclut pas de remonter aux sources de la pensée raciste ou de l’eugénisme. Elle peut enfin inclure des ouvrages qui, sans relever véritablement de l’étude du racis me, analysent les relations entre les différents groupes d’une société du point de vue de l’ethnicité. Parmi les 54 ouvrages déjà publiés dans la collection : Marie-Claude Barbier et Cécile Perrot (dir.),Afrique du Sud : Mémoires, héritages, ruptures Lijuan Wang :L’école chinoise et l’action affirmative envers les minorités Michel Prum (dir.),Catégoriser l’Autre Hinès Mabika,Médicaliser l’Afrique Florence Binard,Les Mères de la Nation Michel Prum (dir.),Ethnicités et construction identitaire Gilles Teulié,Aux origines de l’apartheid Michel Prum (dir.),Questions ethniques dans l’aire anglophone Maryse Fauvel, Exposer l’Autre Françoise Richer-Rossi (dir.), L’Autre et ses représentations au cinéma Marie-Claude Mosimann-Barbier et Michel Prum (dir.), Missions et colonialisme : le Lesotho à l’heure du bicentenaire d’Eugène Casalis Michel Prum (dir.), Comparer les diversités
So9s la direction de Florence BINARD et Michel PRUM Gro9pe de recherche s9r l’e9génisme et le racisme Minorités et minoritaires
Ouvrage publié avec le soutien du laboratoire « Identités, Cultures, Territoires » (EA 337) et de l’UFR EILA de l’université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité Merci à Marie-Claude Barbier, pour sa lecture très attentive de l’ensemble de l’ouvrage.
© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr EAN Epub : 978-2-336-85452-6
Introduction
Michel Prum
Le sociologue américain Louis Wirth (1897-1952), de l’école de Chicago, est l’un des premiers à avoir utilisé, dans son ouvrageThe Ghetto(1928), le terme « minorité » dans le sens d’un gro upe 1 social doté de moindre pouvoir. Il emploie le terme “minority groupspropos de groupes sociauxˮ à e comme les juifs. Pour la France, le dictionnaireRobertsiècle » et ladate cette acception du « XX définit en se référant à une citation du juriste René Capitant (1901-1970) : « collectivité de race, de langue ou de religion caractérisée par un vouloir v ivre collectif, englobée dans la population 2 majoritaire d’un État dont ses affinités tendent à l’éloigner » . Ce sens contemporain vient s’ajouter aux acceptions de « minorité légale » ‒ qu’elle soi t pénale ou politique – (« être trop jeune pour… »), et au sens de minorité dans une réunion de votants (« une minorité s’est opposée à la grève ») ou, plus largement, dans un ensemble quelconque (par exemple « une minorité de cas »). Lorsqu’il désigne un groupe au sein d’une populatio n, le terme de minorité a deux sens différents, 3 comme le rappelle la sociologue française Colette G uillaumin (1934-2017). Il peut référer simplement au nombre, à la quantité. Il peut aussi ̶ et c’est le sens qui nous intéresse ici ̶ désigner une situation d’infériorité, qu’elle soit socio-économique, politique, juridique ou coutumière. Les deux acceptions ne coïncident pas. Les Noirs, dans l’Afrique du Sud de l’apartheid, les esclaves athéniens ou les femmes dans de nombreuses sociétés sont ou é taient des groupes arithmétiquement majoritaires mais auxquels on peut donner le terme de « minorités ». Le minoritaire n’existe pas en soi. Il n’existe qu’au sein d’une relation avec le majoritaire, comme l’indique le comparatif dont il est issu :minor(quam), plus petitque… Selon l’autre terme de la relation, le minoritaire peut devenir majoritaire et réciproquement. Une femme blanche peut être minoritaire en tant que femme dans une société patr iarcale tout en étant majoritaire en tant que blanche dans une société racisée. On rejoint là, bien sûr, les problématiques de l’intersectionnalité. Enfin, on peut être minoritaire à plusieurs titres : en termes d’ethnicité, de genre, de classe, de handicap, etc. En revanche, le majoritaire ne se définit pas ‒ sinonnégativementpar rapport au minoritaire. Comme l’écrit Colette Guillaumin, « être majoritaire (appartenir à la majorité) consiste d’abordà 4 n’être pas(noir, femme, juif, homosexuel, colonisé, étranger, etc.) » . Et Guillaumin de conclure : 5 « La majorité ne peut se définir que parla relation, non parl’êtreCeci dit, on peut nuancer cette» . opposition, carl’êtredu minoritaire, ce qu’ile s t: sa judéité, son homosexualité, par exemple, n’existe, lui aussi, qu’en termes relationnels. Un Noir n’est « noir » que parce qu’il rencontre des humains qui ne sont pas noirs. Un Blanc qui n’a vu que des Blancs toute sa vie ne se perçoit pas comme « blanc ». Le majoritaire comme le minoritair e ne se définissent qu’à l’intérieur de leur relation binaire, de leur opposition mutuelle. Les premiers « minoritaires » présentés dans cet ou vrage le sont avant tout sur des critères de classe. Ce sont les pauvres de l’Angleterre victori enne recueillis dans lesworkhouses, ces institutions qu’on retrouve dans les romans de Dickens, et qui étaient conçues pour décourager les indigents de bénéficier de l’aide sociale, tant les conditions d’hébergement y étaient dures. Or le problème, pour le chercheur aujourd’hui, est de retrouver la parole de ces femmes et de ces hommes, autrement dit de briser le silence de la grande précarité. On ne peut se contenter des témoignages rapportés par les explorateurs sociaux, comme Henry Mayhew ou Charles Booth.Fabienne Moine montre ici qu’il est possible de retrouver la parole authentique de ces « sans voix ». Elle a pu lire un volumineux corpus de sources primaires, fait de lettres de plainte adressées à l’assistance publique, de biographies d’anciens résidants desworkhouses, de textes écrits par des vagabonds qui les fréquentent, et enfin de poèmes écrits à l’intérieur de ces asiles. Ces textes sont à lire avec toutes les précautions de l’historien.ne, mais ils donnent une image nouvelle de cette population de l’ombre, en dévoilant des aspects jusqu’ici peu mis en valeur, comme la capacité de résistance des pauvres, leur volonté de « se réapproprier l’espace de la contrai nte » et de regagner, par l’affirmation de leur
parole, leur dignité d’êtres humains. e La grande pauvreté n’a malheureusement pas disparu de l’Angleterre du XXI siècle.Alexandrine Guyard-Nedelece tAlicia-Dorothy Morningtonparlent même d’« une explosion du nombre de travailleurs pauvres », couplée à de sévères coupes budgétaires dans l’aide sociale. Cette précarité extrême a des effets désastreux sur le domaine de l a protection de l’enfance et du placement des mineurs, qu’étudient ici ces auteures. Leur analyse prend en compte les critères de classe mais aussi d’ethnicité, dans une approche intersectionnelle. Leur étude montre de quelle façon cette minorité de précaires est discriminée en Grande-Bretagne aujour d’hui, en particulier en ce qui concerne la justice. Quand il s’agit de prendre une décision de placement, et donc d’éloignement de l’enfant de sa famille, « les juges semblent parfois tenir les parents pauvres pour responsables de leur pauvreté », ce qui conduit à un phénomène de double peine : les familles indigentes souffrent de leur précarité et sont punies du fait qu’elles en souffrent. Si la poésie a permis aux pensionnaires desworkhouses de s’exprimer face à l’institution qui les contraignait, la chanson contribue elle aussi à la résistance face aux agressions dont sont victimes les minorités ethniques en Grande-Bretagne depuis une s oixantaine d’années (l’arrivée massive d’immigrés extra-européens remonte à 70 ans, avec l a très symbolique arrivée dans le port de Tilbury, le 22 juin 1948, du navireEmpire Windrush, amenant 492 immigrants, surtout jamaïcains). C’est sur un large corpus de chansons antiracistes, britanniques et irlandaises, couvrant donc cette période, que travailleJohn Mullen. Avant d’analyser ces textes (et leur musique), il brosse un rappel historique des principales campagnes antiracistes, dontRock against Racisme tLove M usic Hate Racismsont les plus célèbres. Il s’intéresse aussi à la façon dont ces chansons sont écoutées et font l’objet d’une réappropriation, dans un processus de co-narration très participatif. La chansonLet the Boots Do the Talking, en particulier, rappelle la « bataille deCable Street », en octobre 1936, au cours de laquelle les militants de laBritish Union of Fascistsd’Oswald Mosley, déterminés à parader dans les quartiers juifs de Lo ndres, se heurtèrent à une forte résistance de la population. Avec le chapitre dePatrick Farges, nous passons des juifs de Londres aux juifs 6 germanophones ‒ lesYekkes‒ qui durent, dans le cadre de ce qu’on a appelé la « cinquièmealiya», quitter l’Allemagne dans les années 1930 pour rejoindre la Palestine mandataire, laquelle deviendra le jeune État d’Israël. LesYekkesprirent toute leur part dans la construction du mythe fondateur du nouvel État. Au travers de l’étude d’une série d’entretiens menés au début des années 1990, Patrick Farges entreprend une analyse genrée de l’image de « l’homme nouveau » des années 1930 et 1940, qu’il soit l’agriculteur, le bâtisseur ou le soldat . L’éloge du « soldat-héros » s’intègre ainsi à la construction d’une idéologie viriliste que ce chapitre examine du point de vue d’une histoire critique des masculinités. Ici encore, genre et ethnicité se conjuguent dans un jeu d’oppositions et d’altérisations : la masculinité desYekkescontre la « masculinité arabe », ou la « virilité » ashkénaze contre celle desM izrahim(juifs orientaux), « blanchité » et masculinité revêtant l’une comme l’autre un rôle normatif et hégémonique. La question de la prise en compte des minorités et des cultures non blanches a donné lieu, dans les campus britanniques, à un mouvement virulent de décolonisation culturelle qui s’est articulé autour de revendications telles que le déboulonnage de la statue de Cecil Rhodes à Oxford ou, à Cambridge, la restitution au Nigéria ducockerel(jeune coq), chef-d’œuvre de l’art béninois. Marie-Claude Barbieré colonial de la Grande-Bretagne enpart de cet épisode récent pour revenir sur le pass Afrique de l’Ouest, et en particulier sur les pillages perpétrés dans l’ancien royaume du Bénin, qui ne se situait pas dans l’actuelle République du Bénin mais au sud de ce qui est aujourd’hui le Nigéria. La demande de restitution de cette statue animalière pose la délicate question de la légitimité de toutes les collections d’art détenues par les grands musées des anciens pays colonisateurs, collections nourries en grande partie par les spoliations systématiques des trésors de ces civilisations anciennes. Ici la relation de pouvoir entre majorité et minori tés s’exprime dans le cadre interétatique des relations internationales Nord-Sud. Les minorités ethniques et les étudiants britanniques voient dans cet héritage postcolonial un tort à redresser pour l’affirmation de leur identité.
L’affirmation de l’identité des minorités ethniques est au cœur du multiculturalisme. C’est au Canada, puis en Australie, que cette idéologie est née, avant d’atteindre la Grande-Bretagne et de nombreux autres pays.Martine Piquetretrace l’évolution parallèle des politiques multiculturalistes dans ces deux pays, en soulignant leurs nombreuses similitudes mais aussi leurs claires différences, dues à leurs histoires respectives. Cette évolution aboutit à ce qu’elle appelle le « délitement » du multi-culturalisme dans les deux pays. Dans les deu x pays, certes, mais de façon opposée. 7 L’Australie du Premier ministre libéral Scott Morrison reste officiellement attachée à ce concept et 8 affirme que la diversité est « l’un des principaux atouts du pays » . Mais, de fait, le pays a pris ses distances envers cette politique et se tourne vers une forme de nouvel assimilationnisme. En revanche, le Premier ministre canadien Justin Trude au pousse sa foi multiculturaliste jusqu’à l’extrême et semble tolérer les pratiques les plus monstrueuses au nom du relativisme et du droit à la différence. Face à un député canadien qui s’indigne des crimes d’honneur, de l’excision et des mariages d’enfants, Trudeau s’indigne, lui, de cette indignation. Dans ce qui apparaît comme une phase caricaturale du multiculturalisme, les minorités ethniques, pour le coup, cessent d’être « minoritaires ». Mart ine Piquet cite cette phrase de Trudeau au 9 lendemain de son élection : « Il n’y pas de noyau identitaire, pas de culture dominante au Canada ». Les « majoritaires » se sont dissous dans un ensemb le anhistorique défini par Trudeau comme « post-national » : un « laboratoire de la vacuité identitaire où personne n’aurait à s’adapter à une culture nationale particulière », selon les mots de Martine Piquet. Une minorité ne représentant que 0,16 % de la popul ation a-t-elle une quelconque importance pour un pays ? C’est la question à laquellePhilippe Brilletrépond, de façon surprenante, par l’affirmative, à propos de la Jamaïque. Cette île anglophone de près de trois millions d’habitants, peuplée surtout de Noirs et de quelques métis, comp te une infime minorité de Blancs. Mais l’importance des Blancs dans l’histoire jamaïcaine est qualitative, et non quantitative. Philippe Brillet évoque les grandes figures tutélaires (blanches) qui ont façonné le pays, et remarque qu’au e milieu du XX siècle, « l’autonomie, puis l’indépendance, de l’î le furent menées par deux autres Blancs ». Les deux cousins Alexander Bustamante et Norman Manley étaient « issus de la petite bourgeoisie de l’île, de ce monde dit des “petits planteursˮ ou encore des “petits Blancsˮ ». Le premier dirigea le parti qui gagna les premières élections au suffrage universel et devint « Premier ministre en chef ». Le second gagna à son tour les élections et poursuivit le processus d’émancipation. Tous les deux reçurent le titre de Héros de la Nation. Mais les deux « héros » furent par la suite critiqués pour avoir mis en place deux dynasties politiques (de Blancs) qui mirent le pays « à feu et à sang ». Au final, l’image du Blanc reste donc, dans la mémoire nationale, comme très négative et menaçante. 10 Ce livre se clôt avec le second volet d’une étude sur les îles du Cap-Vert (Repùblica de Cabo Verde).Dominique Lecomptenous plonge dans cet univers lusophone très particulier : situés à sept cents kilomètres du continent africain, en plein Atlantique, les Cap-Verdiens se distinguent par leur prise de distance par rapport à l’Afrique dont, pour une grande part, ils sont pourtant originaires. « Le paradoxe de l’archipel, écrivait Dominique Lecompte, est de constituer une société dans laquelle les origines européennes apparaissent peu dans le phéno type des habitants, mais où, au contraire, du point de vue culturel, l’héritage de l’Afrique est plus faible que dans d’autres sociétés issues de 11 l’esclavage » . Pourtant, une réévaluation du rôle de l’Afrique s ’est bien opérée au cours de la e seconde moitié du XX siècle, grâce entre autres à l’apport politique d’Amilcar Cabral, grande figure de la décolonisation, assassiné deux ans avant l’indépendance du Cap-Vert. Cette indépendance semble paradoxalement avoir complexifié, et non simplifié, la question de l’identité cap-verdienne, explique Dominique Lecompte, qui termine ce diptyqu e par l’examen des nouveaux défis que cette population créolisée va devoir affronter. Les huit contributions de ce volume couvrent des aires fort éloignées, de l’Europe à l’Australie, du Moyen-Orient à la Jamaïque, du Canada à l’Afriqu e de l’Ouest, mais on retrouve partout cette problématique complexe des minorités, avec, dans to utes ces sociétés étudiées, le constat que l’identité n’est jamais un « en soi » mais le fruit d’unerelationoù chaque groupe se construit dans
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