Modernité insécurisée
472 pages
Français
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Description

L'incertitude, l'imprédictibilité, le danger, la peur, la violence, la défiance, le clientélisme qualifient les sociétés au XXIe siècle. Les cadres de vie et les principes de la sécurité des populations sont affectés. Concept opératoire, la Modernité Insécurisée rend compte du fait d'être moderne dans un contexte globalisé d'insécurité culturelle, économique, sociale, politique et climatique. L'ouvrage pointe le caractère inédit et dynamique des pratiques des populations confrontées à la survie.

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Publié par
Date de parution 01 février 2013
Nombre de lectures 10
EAN13 9782296516915
Langue Français
Poids de l'ouvrage 7 Mo

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Extrait

9778822880066110000991177
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Charlotte Bréda, Marie Deridder, Pierre-Joseph Laurent (dir.)
Anthropologie des conséquences de la mondialisation
LA MODERNITÉI INSÉCURISÉEI
Investigations d'Anthropologie Prospective
LA MODERNITÉ INSÉCURISÉE
C O L L E C T I O N « Investigations d’anthropologie prospective »
Déjà paru : 1. JulieHERMESSE, MichaelSINGLETONAnneMarie et VUILLEMENOT (dir.), Implications et explorations éthiques en anthropologie, 2011. 2. KaliARGYRIADIS, StefaniaCAPONE, RenéeDELA TORRE et AndréMARY,Reli gions transnationales des Suds. Afrique, Europe, Amériques, 2012.
INVESTIGATIONS D’ANTHROPOLOGIE PROSPECTIVE
LA MODERNITÉ INSÉCURISÉE Anthropologie des conséquences de la mondialisation
CharlotteBréda, MarieDeridderet PierreJosephLaurent(dir.)
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Photo de couverture : « Espoir d'être embarqué », port de Furna, Brava, Capvert, sept. 2005, P.J. Laurent.
Mise en page : CW Design
D/2012/4910/52
© AcademiaL’Harmattan s.a. Grand’Place, 29 B1348 LOUVAINLANEUVE
ISBN : 9782806100917
Tous droits de reproduction, d’adaptation ou de traduction, par quelque procédé que ce soit, réservés pour tous pays sans l’autorisation de l’éditeur ou de ses ayants droit.
www.editionsacademia.be
Introduction
CharlotteBRÉDA,MarieDERIDDER,PierreJosephLAURENT
1 Ce livre relate les conséquences de la globalisation qui induit la reformulation des tissus sociaux et culturels à l’aune des enjeux contemporains. Les bouleversements des sociétés et des modes de sécurisation des populations n’ont jamais été aussi rapides que depuis dix ans. L’urbanisation se généralise. Les disparités entre les différentes couches sociales se creusent. Le plus souvent en conflits ouverts avec les populations locales, des firmes interna tionales rivalisent, d’une part, pour décrocher les droits d’exploi tation des ressources miniÈres et pétroliÈres générant des fortunes colossales réservées à une élite, et, d’autre part, pour accéder aux derniers vastes espaces agricoles et forestiers de la planÈte consi dérés comme libres d’occupation, selon leur conception néolibé rale généralisant la propriété individuelle comme seul mode d’appropriation de l’espace. Les changements climatiques obli gent des pans entiers de populations à modifier leur mode de vie et/ou à se déplacer, rejoignant ainsi le sort des réfugiés politiques, nouvelle catégorie sociale produite par l’enlisement des multiples conflits traversant le monde et la mise en place de l’aide humani taire par les organisations internationales (Agier, 2002). La liberté
1. Le terme « globalisation » provient deglobalization, un vocable anglais produit depuis les ÉtatsUnis et généralement traduit en français par « mondialisation ». Dans le cadre de cet ouvrage, globalisation et mon dialisation doivent être considérés comme des notions interchangeables.
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des marchés supposés autorégulés par la « main invisible » d’Adam Smith se traduit, pour nombre d’États du Sud, « en termes d’ouver ture régulée à l’exploitation internationale de leurs ressources, qu’elles soient naturelles, culturelles ou humaines » (De Lame, Mazzocchetti, 2012 : 10). Cette configuration peut conduire au renforcement autoritaire des États. Pour une grande majorité des populations, ces transformations économiques, politiques, socia les et culturelles, ainsi que les situations de violence qui les accompagnent, ont pour conséquences des formes quotidiennes d’insécurité et une augmentation significative des flux migratoi res qu’ils soient « choisis » ou forcés. Loin de l’idéal démocratique rêvé par l’Occident pour le reste du monde, ces constats se rapportent à l’émergence d’une forme de capitalisme dérégulé où se côtoie une minorité s’accaparant les biens et les richesses et une grande majorité précarisée, de plus en plus reléguée dans des logiques de survie, de débrouille, confrontée à la violence, la partialité de l’État, la défiance et la peur, comme autant d’éléments qui composent le lien de société. Les conséquences de ces phénomÈnes sur les principes de la vie commune et sur la gouvernementalité induisent des transforma tions majeures qui sont tour à tour abordées dans les études ras semblées dans ce volume à partir d’ancrages empiriques solides. Cet ouvrage vise à établir un « diagnostic d’époque » (Martuccelli, 2010). Dans un contexte néolibéral globalisé en crise, il questionne la nature des relations entre les groupes de popu lations et un Étatnation affaibli, de plus en plus défaillant en matiÈre de protections sociales et économiques, induisant d’im portants bouleversements des cadres de vie, des êtres au monde et du fairesociété. Les phénomÈnes de mondialisation ne sont ni récents ni l’apanage de l’Occident. Certains de ses traits furent étudiés dans des travaux pionniers tels que ceux de G. Balandier et R. Bastide. À travers ce qu’il a appelé la « situation coloniale », G. Balandier a mis en exergue que la rencontre entre les cultures est avant tout inégale (Balandier, 1951). En décrivant l’histoire marquante du déracinement et de la traite esclavagiste transatlantique à partir La modernité insécurisée de Salvador de Bahia (Brésil), R. Bastide (voir notamment Bastide, 6INTRODUC TION 1955) a mobilisé le principe de coupure qui rend compte des
phénomÈnes de résistance, de ruse et d’insoumission par la sau vegarde des formes intimes d’un systÈme de pensées malgré les conditions extrêmes d’existence de ces populations déplacées et asservies. Toutefois, audelà de ces situations singuliÈres de contact, si, comme le suggÈre J.L. Amselle, on postule que « toute société est métisse et que le métissage est le produit d’entités déjà mêlées, renvoyant à l’infini l’idée d’une pureté originaire » (Amselle, 2000 : 210), la globalisation ne se résume pas à une homogénéisation ou une uniformisation du monde prenant la forme d’un simple processus d’occidentalisation du monde. Au contraire, elle évoque un phénomÈne plurivoque, multiple, poly centré, contradictoire, paradoxal, et déjà ancien. Des travaux comme ceux de J. Assayag (1998, 2005, 2007) ou de C. Piot (1999) ont démontré qu’il n’avait jamais existé de sociétés closes, anhis toriques, échappant aux différents flux qui ont, de tout temps, traversé les diverses contrées de la planÈte. Au contraire, il est clairement établi la porosité et la (relative) plasticité des sociétés. Cellesci sont le produit d’une histoire. Rappelons briÈvement que l’idée de sociétés closes et anhis toriques provient directement de la construction historique de l’anthropologie comme discipline qui, initialement, afin d’échap per aux tentations évolutionnistes de ses débuts, étudiait les sociétés dites « primitives » et/ou « exotiques » comme des « huis clos anthropologiques » selon l’expression de J.L. Amselle (2000). Ce point de départ a ainsi, d’une part, introduit le clivage entre « sociétés primitives » et « sociétés modernes » dont, encore aujour d’hui, l’anthropologie a parfois du mal à se départir, et,d’autre part, est responsable de la déshistoricisation des sociétés. À la différence, les études présentées dans cet ouvrage intÈgrent une perspective historique forte afin de sortir de cette double impasse, tout en cherchant à mettre en évidence les changements sociaux observés. Si l’optique adoptée dans cet ouvrage n’est pas de poser la globalisation en termes de rupture, il nous apparaît toutefois important de considérer l’ampleur et la radicalité des transforma tions contemporaines. Depuis le tournant amorcé dans les années 1990 suite au nouveau contexte géopolitique postguerre froide symbolisé par la chute du mur de Berlin, il semble que les grands
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flux de la globalisation n’épargnent presque plus personne dÈs lors que « la constitution d’un marché intégré de capitaux, le triomphe du néolibéralisme s’imposant dans le monde postin dustriel comme dans les pays en développement ont transformé durablement la donne » (AbélÈs, 2012 : 8). Les phénomÈnes de globalisation et leurs conséquences jusqu’au niveau le plus micro local imposent une réarticulation singuliÈre entre les différents échelons micro, méso et macro que l’anthropologie ne peut pas négliger. Ce dernier aspect correspond à une « mutation anthro pologique majeure » (AbélÈs, 2012 : 8) qui se donne à voir notam ment dans l’extension de la sphÈre de l’économie de marché à l’ensemble des territoires de la planÈte et des secteurs de la vie humaine dont le culte de la mise en scÈne désirable de soi, de la réussite personnelle exacerbant la compétition, les défis et les rivalités, ainsi que dans les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) comprenant notamment les déve loppements d’internet, la généralisation de la télévision par satel lite et les processus de communication de masse. Ces révolutions e du début deXXIsiÈcle reformulent la place des médias qui forgentles opinions publiques et qui participent à une « ouverture des imaginaires sans précédent » (Mazzocchetti, 2009 : 22 ; voir aussi Appadurai, 2005). Elles permettent, de plus en plus aisément, de s’informer et d’informer induisant ainsi une densification, une mas sification de l’information tout en produisant également une mul titude de discoursreadymade qui questionnent la pratique du 2 métier d’anthropologue en contexte globalisé . Pour saisir ces multiples transformations, il apparaît nécessaire de modifier la focale du regard anthropologique en y incluant la dynamique des réseaux. Ce positionnement permet d’intégrer la question de la globalisation à la réflexion anthropologique en considérant les rapports de force, de pouvoir, de domination et
2. Les conséquences épistémologiques et méthodologiques de la mondialisation (dont l’impact des NTIC) sur la pratique de l’anthropologie font l’objet d’un travail collectif en cours, initié conjointement avec l’unité d’anthropologie de la University of CaliforniaIrvine. L’un des moments forts La modernditeécientsteéccuorlilsaébeoration sera la chaire Singleton organisée à LouvainlaNeuve en mai 2013 précisément sur ces questionnements et feront l’objet d’une 8INTROpDuUbCliTcIaOtiNon future.
les hégémonies sans pour autant tomber dans le biais idéologi que de l’impérialisme occidental. Ceci pose alors la question de l’altérité radicale qui a été d’emblée placée au cœur de la disci pline anthropologique dÈs sa naissance. Comment se reformule telle, se reconstruitelle ? Atelle encore lieu d’être postulée et dans quelles conditions ? Comment envisager le questionnement anthropologique à travers d’autres catégories sans pour autant sonner le glas de la discipline ?
Aborderlesphénomènesdeglobalisationpar le bas ? Une anthropologie de la modernité insécurisée
Les transformations contemporaines dues à la globalisation questionnent le projet moderne. De nombreux auteurs en ont déjàmontré les limites. Pour certains, il n’aurait jamais été pleinement réalisé (Latour, 1991) tandis que pour d’autres : « Nous ne sommes pas allés audelà de la modernité, mais nous vivons précisément une période de radicalisation de cette modernité » (Giddens, 1994: 12). L’incertitude, l’imprédictibilité, les tensions, le danger, la peur et la violence seraient alors devenus des attributs inextricablement liés à cette modernité radicale. U. Beck considÈre ainsi qu’au cen tre des communautés réside la peur comme produit de la société moderne (Beck, 2001 : 135), si bien qu’elle deviendrait le mode d’appréhension du monde. DÈs lors, « la gestion de la peur et de l’incertitude devient même une qualification culturelle essentielle » (Beck, 2001 : 139). Quant à A. Giddens, il ajoute à la peur lanotion de défiance pour décrire les attitudes émergentes d’un état d’« insé curité ontologique » (Giddens, 1994 : 100). Dans les agencements singuliers qu’elles peuvent adopter, peur, insécurité, incertitude et défiance sont autant de caractéristiques de la modernité insé curisée. La modernité insécurisée doit avant tout être comprise comme un concept opératoire, un outil à penser le projet moderne pris dans les logiques de globalisation. Profondément ancré dans l’empirie, ce concept a progressivement émergé à partir d’une
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