Lettre ouverte à Emmanuel Macron
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Description

Nadia Karmel, victime d'un très grave accident de la route en avril 2018, adresse au président de la République une série de propositions pour lutter contre les violences routières. Une lettre ouverte publiée dans son livre "Elles s'aimaient très très fort" (Hugo Doc 2019).

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Publié le 16 septembre 2019
Nombre de lectures 6 108
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Lettre ouverte à Monsieur Emmanuel Macron, Président de la République française, Monsieur Édouard Philippe, Premier ministre, Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, Madame Élisabeth Bor ne, ministre chargée des Transports
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, Madame la Garde des Sceaux, Madame la Ministre,
Je m’appelle Nadia Karmel et je suis une citoyenne française maman de trois enfants. Il y a un peu plus d’un an maintenant, le 3 avril 2018, sur la route départementale 1044 entre Reims et Laon, j’ai été victime d’un terrible accident de la route. J’y ai perdu mes deux petites filles âgées respectivement de trois ans et demi et de vingt-six mois. Quant à mon fils qui n’avait qu’un mois et moi-même, nous avons été gravement blessés et nous garderons des séquelles à vie.
Notre accident a été d’une rare violence, un choc frontal, nous avons été percutés par une
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Nadia Karmel
voiture sportive, une Maserati, à quelques kilo-mètres de notre domicile. Le procès n’a pas encore eu lieu, il doit se tenir le 19 septembre 2019, les différentes expertises présentées lors de la pre-mière audience du 6 décembre 2018 attestent toutefois que le conducteur de la Maserati étaiten excès de vitesse par temps orageux. Déjà condamné deux fois pour vitesse excessive et ayant déjà eu deux retraits de per mis, il aurait dû être sous le coup d’une suspension de per-mis. Celle-ci aura finalement été réduite à quatre mois alors que la loi prévoit une peine maxi-mum de trois ans de suspension de per mis. Si la loi et les sanctions à son encontre avaient été appliquées fidèlement et de manière dras-tique, notre accident n’aurait jamais eu lieu, Lila et Adélaïde seraient dans mes bras à l’heure qu’ilest.
Par cette lettre, je ne cherche pas à me morfondre sur notre sort mais à comprendre pourquoi, au mois de mai 2015, cet homme présentant un risque élevé de récidive et de dangerosité pour la société n’a été condamné qu’à quatre mois de suspension de permis et pourquoi a-t-il été possible pour lui de reconduire une voiture aussi puissante lorsque la justice a pu apprécier son comportement excessif sur la route ?
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Elles s’aimaient très très fort
Animée tout au long de ces mois par cette volonté maternelle de certainement pouvoir faire mieux pour nos enfants, mais aussi bercée d’incompréhension, je me suis retrouvée confrontée à des lois sans sens pour les familles de victimes, à des procédures manquant d’une logique certaine et au-delà du manque d’humanité de certains organismes, je me suis rendu compte des failles de tout un système.
Aujourd’hui je sais que notre accident aurait pu être évité alors comment pourrais-je le cacher à ma famille, à nos amis, à nos connaissances et même à la société ? Lila, Adélaïde et Isaac auraient pu être leurs enfants, auraient pu être vos enfants.
Vous avez le pouvoir de changer les choses et je souhaiterais que l’on réfléchisse ensemble à des dispositifs pouvant réduire le nombre de familles endeuillées non pas par la malchance mais par un système perfectible. Je crois profondément en l’humain et en notre société et c’est parce que j’ai l’intime conviction qu’ensemble nous pouvons trouver des solutions que je m’adresse à vous par cette lettre.
Dans le cas de notre accident, le conducteur était assuré, heureusement ou malheureusement, posons-nous la question. À l’heure actuelle, les assurances
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possèdent un système de bonus/malus qui engendre une première sélection chez les conducteurs mais ce système a ses limites. Il ne se met en place et ne sanctionne qu’en cas d’accident responsable. En 2019, il est donc tout à fait possible d’être un conducteur multipliant les excès de vitesse,un danger potentiel pour nos routes, amené à rouler régulièrement au-dessus des limitations de vitesse.Et lorsque ces automobilistes se font réprimer, ils ont la possibilité de payer des stages de récupération de points. Ces conducteurs, au risque de me répéter, potentiellement dangereux sur nos routes, n’auront pas de malus auprès de leur assurance. D’une cer-taine manière, dans ce système, ils peuvent même être considérés comme de « bons conducteurs » en somme, tant qu’ils n’ont pas causé d’accident…. Et c’est bien là que le bât blesse, car il me semble essentiel, et je pense parler au nom de toutes les victimes de la route, que l’on ne puisse pas se faire assurer sans attester d’une bonne conduite sur la route. Les assurances devraient obligatoirement consulter les permis, nombre de points et procès-verbaux relatifs à tous leurs assurés.
Car oui, malheureusement, il y a je pense un profil de personne potentiellement à risque. Afin de définir ce profil, ne serait-il pas judicieux en plus d’un stage payant pour récupérer des points,
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d’instaurer un examen psychiatrique pour les réci-divistes et ce à leurs frais ? Ne devrions-nous pas imposer à ces conducteurs de rencontrer un psy-chiatre spécialisé dans les comportements routiers à risque ? Personne ne peut se retrouver avec une annulation définitive de permis, je peux le conce-voir, nous pouvons changer, nous devons aller travailler, je comprends parfaitement ces arguments, mais pour changer ces comportements routiers ne devrions-nous pas imposer un suivi psychiatrique pour réduire ces récidives, n’y a-t-il pas une forme d’addiction à la vitesse ? En rencontrant un psy-chiatre spécialisé dans les comportements routiers à risque, ces conducteurs bénéficieraient d’un suivi qui déterminerait s’ils sont aptes ou non à la conduite. Ce fonctionnement ne permettrait plus que l’argent suffise pour récupérer des points et son permis, il faudrait aussi se montrer responsable. N’êtes-vous pas aussi responsables de la sécurité de notre société ?
La vie humaine est précieuse. Cette phrase nous amène à un autre point que je souhaite aborder avec vous, un sujet si tabou, combien vaut la vie humaine en France. Si publiquement personne n’ose réellement aborder ce sujet, nous, victimes de la route, on ne nous laisse pour ainsi dire pas le choix, elle se négocie sur papier. Et je peux à
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présent dire qu’il est essentiel d’augmenter les sommes d’indemnités aux victimes en France, en ce qui concerne le préjudice d’affection. À force de recherches, je me suis rendue compte qu’on ne peut même pas les comparer aux autres pays tant elles paraissent dérisoires, voire absurdes. Si ces sommes étaient majorées, les assurances seraient contraintes d’être plus vigilantes sur le choix de leurs assurés, elles procéderaient naturellement à une sélection plus sévère des conducteurs qu’elles accepteraient ou non et majoreraient en consé-quence le montant des cotisations. Pour résumer, un conducteur à risque doit payer bien plus qu’un conducteur prudent, il pourrait même être incité à renoncer à conduire.
Et puisque l’on parle de finances, sachez qu’un an après ce drame qui m’a tout pris, j’ai eu la dou-leur de revivre cet accident, minute par minute. Une reconstitution a été effectuée le 3 avril 2019, un an plus tard jour pour jour… Au-delà de l’impact émotionnel qu’ils peuvent causer, ces accidents de la route entraînent ensuite des reconstitutions, des enquêtes, des expertises au coût considérable pour la justice française et donc pour le contribuable. Il faut en effet faire des recherches, des analyses, des appels à témoins, des dizaines de gendarmes, de policiers, de pompiers, sont mobilisés. Un nombre
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considérable de ressources et d’argent. Ne pourrait-on pas avoir recours, comme dans certains pays, à des caméras embarquées dans les véhicules ? La notion de « boîtes noires » pour les voitures a certes déjà été évoquée mais une simple caméra qui filmerait l’intérieur et l’extérieur de l’habitacle permettrait de connaître les circonstances d’une grande majorité d’accidents, les temps d’attente des procès seraient ainsi réduits et ne dureraient pas en moyenne deux ans.
Le procès nous concernant continuera le 19 sep-tembre 2019, mais que dois-je réellement en attendre ? J’ai peur d’être victime une seconde fois. Victime d’un drame de la route d’abord, puis victime de la justice. L’homme qui m’a pris mes enfants risque une peine de sept ans de prison maximum. La loi prévoit en effet des peines de cinq, sept et dix ans pour un accident de la route avec homicide involontaire selon la présence d’une ou plusieurs circonstances aggravantes. J’ai du mal à comprendre… Qu’est-ce qui justifie le fait que ces peines ne soient que trop, voire pas mises en place ? Il me semble qu’elles sont absolument nécessaires pour avoir un temps de réflexion en dehors de la société qui a été, elle aussi, blessée mais également pour effectuer un travail d’accompagnement psychologique. De plus, elles sont essentielles pour un point vital : éviter les
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risques de récidives et diminuer la dangerosité sur nos routes ! Par ailleurs, en amont de ces accidents dramatiques, ne devrions-nous pas appliquer des peines plus significatives (suspension maximum du permis de conduire, sursis, etc.) en ce qui concerne les récidives et les délits routiers ? Ne devons-nous pas protéger la société par l’application draconienne de ces textes ? Pourquoi ces points sont-ils minorés ? En agissant ainsi jusqu’à ce jour, n’est-on pas tout simplement en train d’augmenter et de cautionner le risque d’accidents de la route ? Je crains que si. Protège-t-on correctement la société ? Je crains que non.
Les accidents de la route sont considérés aujourd’hui comme des homicides involontaires. Ce terme ne correspond pas toujours à la réalité. Ils devraient être requalifiés en « homicides routiers et violences routières ». Nous parlons à juste titre de « violence conjugale », le terme de violence routière est tout aussi légitime. Si une personne adopte, à plusieurs reprises et de manière délibérée, un comportement dangereux au volant, sur des routes partagées par tous et ce, parfois même après un rappel à la loi, nous devrions, à juste titre également, catégoriser cela en violences routières. Si à la suite de cet avertissement, une victime est à déplorer, nous pourrions alors parler d’homicide routier.
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Dans tous les cas, peut-on réellement parler d’accident lorsque le conducteur responsable de la perte de vos enfants s’avère être un habitué des excès de vitesse ? Non, je ne crois pas. Un acci-dent est un événement imprévu mais dans ce cas, n’était-ce réellement pas prévisible ?
Enfin, je souhaite attirer votre attention sur le fait que le pourcentage de Français sensibilisés aux gestes de premiers secours est infime. Le jour de notre accident, je me suis retrouvée face à des personnes pleines de bonne volonté mais qui ne les maîtrisaient pas. Même si dans le cas de mes petites filles, cela n’aurait pas suffi, dans d’autres circons-tances, cela peut sauver des vies. Nous ne pouvons plus être démunis ou dépourvus de ces connaissances vitales. Une prise en charge doit être réfléchie à grande échelle pour le bien de tous. Il serait légitime que, tout comme l’Éducation Civique, l’Histoire et le Français, nos enfants et même l’ensemble des citoyens apprennent dès le plus jeune âge les gestes de premiers secours. Il me semble essentiel d’inclure cet apprentissage dans les cursus scolaires dès le primaire. Des formations pourraient également être imposées et non « proposées » dans les entreprises.
Je suis consciente que cette modeste lettre ne ramènera pas mes enfants, mais j’ai l’assurance
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que vous la lirez avec attention et j’espère que mes requêtes conduiront à des échanges et des changements. Lila et Adélaïde étaient deux petites filles merveilleuses, lumineuses, aimées et choyées de tous, je ne peux me résigner à penser que leur départ n’apporte pas du sens à nos vies, je ne peux penser qu’ensemble on ne puisse pas œuvrer pour changer les choses, pour que de tels drames soient évités à l’avenir, pour que les proches des victimes se sentent écoutés, pour que la justice soit enfin proche de nous et pour que nos lumières brillent encore longtemps.
Je vous demande de prendre en compte mes considérations, au nom de toutes les victimes, pour nous, pour vous aussi puisque mes enfants auraient pu être les vôtres. Pour Lila. Pour Adélaïde.Pour Isaac.
Nadia Karmel
REMERCIEMENTS
Ce livre n’a pas d’étiquette ni de banderole, c’est le livre d’une maman parmi tant d’autres qui souhaitait retranscrire son chemin de vie. Ce livre, c’est beaucoup de mes enfants et c’est juste mon témoignage de maman. Ce sont ces dix-huit derniers mois, c’est ce chemin vers la vérité, vers la vie d’après. J’aimerais dans un premier temps rendre hommage au corps médical, aux pompiers, aux gendarmes, à notre avocat Maître Courtois, aux camarades de classe et à l’école de ma Lila, à la crèche de mon Isaac et de mon Adélaïde, aux personnes qui nous écrivent avec tant de bonté sur les réseaux sociaux, à nos chères familles et nos fidèles amis. Vous l’aurez compris, cette liste est non exhaustive et la liste des belles âmes que nous avons croisées sur ce douloureux chemin est bien plus longue. Alors je tenais à remercier tout simplement chaque personne qui tournera une à une les pages de ce livre. J’espère que vous y ressentirez l’essence de la maman que j’étais et que je suis devenue, j’espère qu’à travers mes yeux vous vous y retrouverez un
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