L’affiche a de quoi réjouir les amoureux du foot. Pour le match d’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations (CAN), l’Égypte, menée par la superstar de Liverpool Mohamed Salah, affronte vendredi 21 juin, au soir, le Zimbabwe au Caire. Mais la grande fête du football africain est gâchée par le torrent de scandales qui s’abat sur l’organisateur de l’événement, Ahmad Ahmad, président malgache de la Confédération africaine de football (CAF) depuis deux ans et vice-président de la Fifa.
Aux soupçons de corruption s’ajoute le fiasco du match retour de la finale de la Ligue des champions africaine entre l’Espérance de Tunis et le Wydad Casablanca, le 31 mai dernier, interrompu par les Marocains dans une ambiance électrique après que le but de l’égalisation leur a été refusé par l’arbitre de façon litigieuse, et que leur recours a échoué parce que la VAR, l’assistance vidéo, était en panne ! Le président Ahmad a fait voter par son comité exécutif la décision sans précédent de faire rejouer le match. À la grande fureur cette fois des Tunisiens, déchus de
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leur titre. Il faut dire que l’annulation d’un match pour cause de VAR défaillante n’est pas prévue dans les statuts de la CAF…
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et « faux et usage de faux ». Le président Ahmad est ressorti libre de son interrogatoire, sans poursuites à son encontre à ce stade. Mediapart et son partenaire allemandDer Spiegelse sont procuré des dizaines de documents confidentiels qui contiennent des informations inédites sur l’affaire. Au cœur de l’enquête judiciaire, il y a les contrats passés par la CAF à une société nommée Tactical Steel, basée à La Seyne-sur-Mer, près de Toulon, dont les locaux ont été perquisitionnés par les policiers. Selon nos informations, la Confédération africaine a acheté à Tactical Steel, en seulement un an et demi, au moins 4,5 millions de dollars d’équipements de foot (ballons, tenues, accessoires), dont les tenues des arbitres qui vont officier à partir de ce soir lors de la CAN 2019 en Égypte. Les soupçons portent en particulier sur l’achat à Tactical Steel de 60 000 ballons pour 2,5 millions de dollars. Au moins 369 000 dollars ont en fin de compte été payés par la CAF à une société immatriculée à Dubaï, contrôlée par le patron de Tactical Romuald Seillier et par Laurent Emmanuelli, directeur du centre
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de formation du prestigieux Rugby club toulonnais (RCT), quatre fois vainqueur du Top 14 et triple champion d’Europe.
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étayées. Des documents confidentiels, également obtenus par Mediapart, montrent qu’Ahmad a largement arrosé les présidents de fédérations africaines pour favoriser sa future réélection – un grand classique à la Fifa et dans ses confédérations continentales. Dès le mois de mai 2017, deux mois après son élection, Ahmad a fait voter le versement, chaque année, de 100 000 dollars à chaque fédération nationale, dont 20 000 euros pour couvrir les dépenses personnelles de leurs présidents ! Certains ont refusé. D’autres, comme les présidents des fédérations capverdienne et tanzanienne, ont demandé à la CAF que les fonds soient versés sur leur compte bancaire personnel. Idempour le patron du foot namibien, suspendu pour corruption par sa fédération en octobre dernier pour avoir accepté cet argent. Ahmad a également convié l’an dernier les présidents de fédération de confession musulmane à un sympathique pèlerinage en Arabie saoudite, qui a coûté au moins 40 000 euros à la CAF selon nos documents. Ahmad a affirmé àFrance Football que les frais avaient été payés par les Saoudiens et pour partie« sur[ses]deniers personnels ». Le Malgache de 69 ans, ancien ministre et aujourd’hui sénateur de son pays, soigne aussi son train de vie. Il a fait acheter par la CAF des voitures de luxe destinées à la présidence pour 474 000 dollars, dont trois Range Rover au siège de la Confédération au
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Caire, et une Mercedes à Madagascar. La CAF« a les moyens d’allouer des véhicules de qualité à ses hauts dirigeants », s’est-il justifié.
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d’assainissement à La Seyne-sur-Mer, se tourne vers un de ses amis et ancien voisin de zone industrielle : Romuald Seillier.
Ce chef d'entreprise, qui dit employer 300 salariés, dirige le groupe de chaudronnerie (travail du métal) Acti, actif notamment dans le domaine maritime.« Je travaille avec l’armée[…], j’entretiens des fleurons de la flotte française »basés dans le port de Toulon, indique-t-il à Mediapart. Une autre de ses sociétés, Tactical Steel, fabrique desracks d’haltérophilie (notre photo ci-dessous). Bref, Seillier n’a aucune expérience dans la fourniture d’équipements de foot. Mais il accepte le challenge.« Dans ma vie, je n’ai relevé que des défis très difficiles », dit-il.
Certaines prestations posent néanmoins question. Une facture obtenue par Mediapart montre que Tactical Steel a obtenu 54 000 dollars pour couvrir les salaires des trois personnes qui ont travaillé« une semaine »Maroc pour distribuer les produits au lors de la compétition – ce qui correspond à un salaire mensuel de 72 000 dollars pour chacun (notre document ci-dessous). Romuald Seillier n’a pas répondu précisément, mais indique qu’il a embauché« entre trois et cinq personnes pendant cinq semaines ».
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livraison pour 738 670 dollars est émise par ES Pro Consulting Limited, immatriculée à Dubaï (paradis fiscal réputé pour son opacité) et dotée d’un compte bancaire à la Banque islamique d’Abou Dhabi(notre document).
rez-de-chaussée confirment que le siège d’ES Pro est bien là. Selon eux, le premier étage, où se trouvent ses bureaux, est entièrement vide et fermé, et ils n’ont vu aucun salarié d’ES Pro depuis longtemps.
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Tactical Steel a en tout cas décroché d’autres contrats de la CAF en 2018, dont les équipements du championnat africain debeach soccer en Égypte et ceux de la CAN féminine au Ghana. Pour ces deux compétitions, il y a eu quelques ratés. Lors de la CAN féminine, une partie des tee-shirts des arbitres ne sont pas arrivés.« La compétition est déjà bien entamée », se plaint à Tactical un salarié de la CAF le 19 novembre, deux jours après le début du tournoi.Idem pour une partie du matériel du championnat debeach soccer en Égypte, qui a été livrée après le tournoi. Cela n’a pas empêché la CAF de faire de nouveau appel à Tactical pour la CAN 2019 qui démarre ce vendredi.
Cela n’empêche pas Gianni Infantino de prendre le Malgache sous son aile, en l’installant à la commission des associations de la Fifa.« Je suis pleinement disponible pour travailler avec vous à cette noble mission[…],en respectant les règles et l’éthique de cette institution », avait-il promis. Un scandale éclate pourtant quelques mois plus tard, dès l’élection d’Ahmad en mars 2017 à la tête de la CAF. Infantino l’a utilisé pour déboulonner le tout-puissant Issa Hayatou, l’un des derniers survivants de l’ère Blatter, qui a régné sur la Confédération africaine pendant vingt-neuf ans, et a eu l’outrecuidance de ne pas soutenir Infantino en 2016 lors de son élection à la tête de la Fifa. Comme l’a révélé leGuardian, Infantino et sa secrétaire générale Fatma Samoura sont très vite accusés d’avoir manipulé l’élection, en promettant à des présidents de fédérations africaines d’accélérer le versement des fonds de la Fifa s’ils votaient pour Ahmad. L’enquêteur en chef du comité d’éthique de la Fifa, Cornel Borbely, se saisit de l'affaire. Il est immédiatement viré par Gianni Infantino en mai 2017, et remplacé par une proche du président qui semble chargée d’enterrer les dossiers sensibles(lire notre enquêteici). Infantino a très vite compris que l’Afrique était indispensable pour asseoir son pouvoir. Avec 54 associations sur 211, le continent pèse un quart des voix au congrès de la Fifa. Avec Ahmad à la tête de la CAF, Infantino y était comme chez lui. Reconnaissant, le Malgache a été l’un des premiers à se prononcer en faveur de sa réélection. Le 4 juin, à la tribune du congrès de la Fifa à Paris qui lui a accordé un second mandat de quatre ans, Infantino semblait encore défendre son protégé.« Je sais qu’il y a quelques turbulences[à la CAF], avait-il lancé aux délégués venus du monde entier.Je vous
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demande, en ce moment difficile, de conserver votre calme et votre esprit de solidarité. Essayez de trouver des solutions, pas des problèmes. »
Cette enquête a été réalisée avec l’hebdomadaire allemandDer Spiegel, partenaire de Mediapart au sein du réseauEuropean Investigative Collaborations
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(EIC). L’EIC a notamment publié les enquêtes sur lesarmes de la terreur, lesFootball Leaks, les Malta Files les noirs secrets de laCour pénale internationale, lesCarLeaks, l'évasion fiscale du groupeKering, ou les affaires de corruption visant Airbus. Contacté par Mediapart etDer Spiegel, Ahmad Ahmad a refusé de nous répondre.« Le président de la CAF, M. Ahmad, ne fait l’objet d’aucun contrôle judiciaire ni d’aucune mise en examen. Aussi, son profond respect de la justice le conduit à ne pas réserver ses réponses aux médias », nous a écrit son porte-parole. Son ancien secrétaire général Amr Fahmy s’est refusé à tout commentaire. Romuald Seillier nous a d’abord accordé un entretien téléphonique de quinze minutes, puis a refusé de répondre à nos questions écrites. Laurent Emmanuelli a refusé de commenter et nous a menacés de poursuites judiciaires. Les deux associés affirment n’avoir commis aucune irrégularité et nous accusent d’être instrumentalisés par les ennemis du président de la CAF(lire l’intégralité de leurs réponses dans l’onglet Prolonger). Prolonger Le directeur de la conformité de la CAF nous a fait parvenir cette réponse par courriel à la suite de nos questions à Ahmad Ahmad : « Comme vous ne l'ignorez pas, le président de la CAF, M. Ahmad, ne fait l'objet d'aucun contrôle judiciaire ni d'aucune mise en examen. Aussi, son profond respect de la justice le conduit à ne pas réserver ses réponses aux médias. » Romuald Seillier, patron de Tactical Steel et coactionnaire d’ES Pro Consulting, nous a fait parvenir la réponse suivante par courriel : « Je fais suite à votre courriel du lundi 17 juin 2019 à 17h28, et vous informe par la présente que je ne pourrai donner suite favorable à vos sollicitations.
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En effet, une procédure judiciaire est en cours, au titre de laquelle je me tiendrais a la disposition du magistrat et des services d’enquêtes afin répondre à toutes les convocations qui me seraient éventuellement délivrées.
Je tiens à préciser que je réfute formellement toutes les accusations ainsi que les insinuations qui pourraient être portées à l'encontre de mes sociétés, de mon épouse et de moi-même.
Je vous rappelle que Tactical Steel est une victime collatérale des règlements de compte entre différentes factions au sein de la CAF, entre ceux, qui pendant des années ont mis cette institution en coupe réglée, et la nouvelle équipe dirigeante.
Je pense que Mediapart se laisse ainsi instrumentaliser dans cette guerre ouverte, en donnant crédit à des éléments sujets à caution et qui ont déjà donné lieu à une plainte pénale de la part de Tactical Steel.
A cet égard, il apparaît très clairement que la présente démarche de Mediapart, ne vise qu’à se conformer aux obligations de la loi de 1881, mais en aucun cas à participer à un débat équilibré et à armes égales, tant les questions que vous m’avez transmises ne laissent aucun doute quant au point de vu grossièrement à charge de Mediapart contre Tactical Steel, mon épouse et moi-même dans cette affaire.
En conséquence, je vous informe que Tactical Steel ne répondra exclusivement qu’aux demandes des autorités judiciaires, et collaborera activement et effectivement avec ces dernières, n’ayant rien à cacher à la justice. »
Laurent Emmanuelli, coactionnaire d’ES Pro Consulting et directeur du centre de formation du Racing club toulonnais, nous a fait parvenir la réponse suivante par courriel :
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« Suite à votre e-mail du 19 Juin à 15H37, je vous avise en retour que je ne pourrai accéder favorablement à vos requêtes. A ce titre, une investigation se déroule à l’heure actuelle pour laquelle je me tiendrais, si besoin, à la disposition des services d'enquête afin de répondre à toutes les convocations qui me seraient éventuellement délivrées. Je conteste formellement et vigoureusement toutes les allégations voire les éventuelles accusations qui pourraient être dirigées à mon encontre. A mon sens, il existe une lutte de pouvoir et de gouvernance au sein de la CAF qui se traduit par des tentatives d’instrumentalisation des médias et de la justice sans aucun fondement réel. J’invite donc à la plus grande prudence quant à la diffusion des prétendues informations par l’ensemble des protagonistes. Dans cet esprit et ne comprenant absolument pas l’agitation actuelle, je me permets de vous indiquer que je poursuivrai judiciairement toute initiative qui serait préjudiciable à moi-même et à mes proches. A cet égard, il apparaît très clairement que la présente démarche de Mediapart, ne vise qu’à se conformer aux obligations de la loi de 1881, mais en aucun cas à participer à un débat réellement contradictoire. Votre enquête est quoiqu’il arrive biaisé et conduite à charge. En conséquence, je vous informe que je ne répondrais exclusivement qu’aux demandes des autorités compétentes, et collaborerais activement et effectivement avec ces dernières, n’ayant rien à cacher à la justice. »
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Directeur de la publication: Edwy Plenel Directeur éditorial: François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel (Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des Amis de Mediapart.
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