Le Suicide et la souffrance dans l entreprise
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Description

L'article essais d'alerter l'opinion et le monde de l'entreprise sur les causes réelles de la vague actuelle de suicides dans des sociétés et organismes en France. Ainsi qu'il prévoit l'échec des actuelles mesures prises pour éviter la continuation de ce type de suicides.

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Publié le 21 octobre 2016
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Langue Français

Extrait

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Le Suicide et la souffrance dans l'entreprise
Les radios, la télévision et les journaux nous informent avec étonnement, surprise et incompréhension de la suite interminable et effarante de suicides de travailleurs dans certaines grandes entreprises. Ces suicides sont plus particulièrement observable dans les anciennes entreprises dont l'État était propriétaire ou dans les entreprises où ce denier est en train d'entamer le processus de privatisation. France Télécom, La Poste, Renault, etc. sont en tête de ce phénomène, dont l'absence d'explication nous étonne, ainsi que son ampleur et sa soudaineté. Sans distinction de sexe, femmes et hommes décident de se suicider montrant ostensiblement leur acte ou laissant trace claire de son rapport avec leur mal-être ressenti dans le lieu du travail. Les entreprises prises de court par ce fait, confient la situation à des spécialistes en communication afin que leur image ne soit pas entachée par ces actes macabres et décident dans le meilleur des cas de formuler une autre politique de management de leur personnel comme palliatif et réponse au phénomène. Les syndicats de leur côté essaient d'interpréter et d'avancer comme explication la dureté des managers et la réduction du personnel, ce qui donnerait comme résultat une pression accrue ressentie comme insupportable. Malgré la probable vérité de ces constats et les remèdes appliqués, le phénomène n'a pas diminué. Pour notre part, nous pensons qu'il est nécessaire de comprendre profondément les mécanismes structuraux de l'organisation de l'entreprise qui sont mis en cause et montrés du doigt par ces comportements suicidaires.
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Sans cette compréhension et analyse, toute action, toute mise en œuvre même guidée par la bonne volonté, restera vaine. Ces actes malheureusement risquent de continuer à se présenter et de s'amplifier dans un avenir proche. En conséquence il est impératif et nécessaire que les vraies causes de ce mal-être puissent être comprises et décortiquées profondément dans leur dynamique institutionnelle. Il est de notre responsabilité, due au fait de notre pratique de l'analyse institutionnelle en entreprise, d'avancer quelques points de repérage afin de pouvoir nous approcher de la compréhension de cette dramatique et grave situation, et d'esquisser ainsi une démarche probable à suivre afin de pallier à cette situation douloureuse.
Laomtr
Nous ne pouvons pas occulter que tout ce qui concerne la mort prend dans les pays de culture occidentale une dimension particulière, voire occulte. Depuis bien longtemps le monde moderne et plus principalement les pays occidentaux font des efforts pour ne pas être confrontés au fait de la mort. Elle est seulement admise comme un risque possible dans le cas des actes de guerre.
La mort et les morts ont presque disparu de la vie de la cité. Dans notre propre immeuble et dans l'appartement près du nôtre sur notre propre pallier, le corps de notre voisin une fois mort, disparaît au plus vite. Il n'existe plus, il s'évanouit sans laisser de trace; et plus particulièrement, on cache ce fait de la mort aux enfants et aux adolescents. De ce fait, ces sociétés ont oublié peu à peu les rituels dus
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aux morts et à la mort. La crémation étrangère à la culture judéo-chrétienne prend place comme un moyen de se débarrasser des morts et leurs corps dans la plus grande discrétion et l'oubli rapide. Dans ce contexte de dénégation, le suicide dans l'entreprise sert d'expression et d'effort de communication en tant que signe polysémique. Il est à la fois: rappel d'un fait dénié, violence, cri de souffrance, révolte, demande de commisération, et pour la plupart des cas, gage de solidarité avec son groupe d'appartenance, et exigence immédiate et impérative de solutions pour la situation de souffrance où se trouvent ses collègues et camarades de travail.
Bien entendu, il ne suffit pas de traduire et de démêler le sens de l'acte du suicide pour tout comprendre, il est nécessaire de savoir et d'analyser les causes réelles que le motivent surtout quand il y a eu lieu au sein de l'entreprise.
Dans toutes les époques, il y a eu suicides de travailleurs, de cadres, de fonctionnaires ou d'agents de maîtrise. Suicides commis soit à l'intérieur de l'entreprise, dans les bureaux ou dans les ateliers de travail ou soit à l'extérieur de celle-ci. Mais ce qui est inusité et plus rare ce sont des suicides à répétition accompagnés de déclarations, de lettres ou de documents d'accusation contre la hiérarchie ou contre l'entreprise, voire même de mises en garde et de menaces annonciatrices de l'intention de commettre l'acte irréparable de se donner la mort. Que quelques uns de ces suicides soient le fait et le résultat de la fragilité ou pathologie personnelle, c'est possible et envisageable; mais pas tous et dans la proportion alarmante où ils se sont produits.
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Mais même si c'était le cas, en tant que cliniciens, nous savons que ce sont des cas fragiles qui servent malheureusement en premier lieu comme maillon faible et comme signal d'alarme d'un dysfonctionnement de l'institution d'appartenance; soit l'institution familiale, soit l'institution où le travailleur exerce son activité professionnelle. Pire encore, si de l'acte du suicide silencieux et presque anonyme, nous passons au fait de l'acte public et impressionnant de l'immolation par le feu, il y a de quoi s'interroger avec une acuité plus grande. De multiples significations de l'immolation par le feu, nous allons en retenir une seule, celle d'une sorte de potlatch négatif où le corps prend la place réelle des objets à donner, à détruire ou à brûler. L'auteur du suicide veut signaler par cet acte, la misère morale et physique à laquelle il est contraint, et jusqu'à quel point sa personne et sa qualité d'être humain se sont vus réduits. Il décide de ne faire plus don de sa force productive en échange d'un salaire de misère et de conditions de vie insupportables; il défie la direction de l'entreprise là où elle ne peut qu'échouer: faire face à la mort. De l'illusion de travailler et faire partie d'une grande entreprise où des rêves en tant qu'être humain pouvaient être réalisés, il est passé sans presque s'en apercevoir au rang d'objet de consommation. D'objet utilisable à loisir, il va glisser peu à peu et inexorablement à la situation d'objet sans aucune valeur sociale ni économique. De ce fait il devient ainsi un être sans valeur, un objet jetable, presque un déchet.
Dans la compréhension de cette situation dramatique nous laissons de côté les rapprochements qui peuvent être fait avec les suicides des jeunes déclencheurs de la révolte du
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monde musulman, des suicides par le feu de jeunes lycéens en France et des émeutes d'été et d'hiver dans nos banlieues avec leurs risques de dérapage et de mort.
Défier et surpasser la pulsion de vie qui se manifeste par l'instinct de conservation, et aller vers la mort voulue et orchestrée, doit correspondre au ressenti d'un grand désarroi; à un besoin impérieux et impératif qui dépasse tout limite. Il doit être le résultat de la perception d'un très grand danger imminent, qui met en péril quelque chose qui va au-delà de la possibilité de continuer à vivre. Cette situation extrême peut probablement se comprendre 1 avec et par l'affirmation lapidaire de C. Lévi-Strauss : « L'intégrité physique ne résiste pas à la dissolution de la personnalité sociale ». Le changement de statut d'entreprise publique en statut d'entreprise privée sans une adéquate transition, engendre un bouleversement dans l'agencement de l'enveloppe institutionnelle comme enveloppe contenante. De même l'impact de la concurrence mondiale et les peurs inhérentes à ce changement forcent les entreprises quelquefois à laisser de côté des types de structuration qui permettaient par le passé un étayage psychique assez solide de ses employés. C'est bien de cette dissolution de la personnalité sociale, de l'identité mise à mal par la disparition des canaux et des repères institutionnels dans l'entreprise, qu'il s'agit. Ces canaux ou structures étayent et conforment un noyau important de la personnalité du travailleur par différents mécanismes psychologiques comme l'identification. La personne et son expression, la personnalité sociale, se construisent à travers le dialogue enrichissant entre les premiers acquits de la petite enfance, et les expériences
1 Lévi-Strauss ,C. 1958 Anthropologie Structurale, Paris, Plon. Chap. IX.
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que l'adulte en permanent devenir, va engranger pendant toute son existence et plus particulièrement dans son lieu de travail où il va passer plus de la moitié du temps de son existence. Quand l'Institution-entreprise faillit dans l'étayage et le soutien d'une bonne partie de la structure de la personnalité, les repères se diluent et le désespoir apparaît comme premier symptôme. En réalité, c'est de l'angoisse massive et mortifère sans limites qu'il s'agit dans le cas de ces suicides à répétition. Les mesurettes managériales entreprises pour contenir l'hécatombe risquent de ne rien contenir, de ne servir à rien. Elles sont plutôt le reflet de l'incompréhension et de l'incapacité de notre élite dirigeante actuelle à entendre et comprendre avec nuance et finesse le monde du travail. Un exemple de ce divorce sont les déclarations de l'ancien P-DG de France Télecom face aux suicides de ses travailleurs quand il dit: ”Décidément, le suicide devient à la mode dans mon Groupe !” Cette obscène déclaration c'est la démonstration caricaturale de l'impréparation au management humain plus qu'une démonstration de la stupidité d'un ancien élève d'une grande École. Tout ceci exigerait une remise en question du rôle social des élites issues de ces corps. nert'Lespeiranssserrepèteàalev.ridé Dire actuellement que l'entreprise et le monde du travail se trouvent sans repères et à la dérive semble à première vue incongru, voire insensé. En effet, le monde managérial des grands groupes multinationaux montre avec arrogance tous les jours des résultats époustouflants du point de vue de la rentabilité. Plus que jamais les entreprises n'ont été aussi performantes et rentables pour leurs actionnaires. Mais en même temps elles sont dans la réalité de plus en
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plus fragiles et disparaissent très facilement de la scène industrielle et commerciale. Les exemples les plus récents: l'hécatombe de banques américaines et le besoin massif d'intervention des États européens pour sauver du dépôt du bilan leurs industries de l'automobile. Alors, force est de constater que nous sommes en face d'un monde paradoxal où des situations contradictoires peuvent avoir lieu et facilement. On peut observer parmi ces contradictions l'abandon des principes sacrosaints du libéralisme économique comme la non intervention de l'État dans le monde privé des affaires, sans s'en émouvoir, et sans s'interroger sur ses conséquences; de même que l'échec ou la mise en question de ces principes du capitalisme, tenus comme vérités intangibles, ne provoque pas le moindre remous.
Cette insouciance appelée « pragmatisme » semble d'autant plus facile à admettre s'il n'y a pas dans la lorgnette du dirigeant autre visée que la rentabilité; de ce fait, aucun principe ni cadre ne semble être nécessaire pour régir et régler le monde de l'argent. Dès là à dire que l'immoralité règne en maître il n'y qu'un pas; et c'est de là que la prise des risques sans mesure se produit, que l'arrogance des managers côtoie la fragilité de l'entreprise; que la croissance sans partage implique nécessairement réduction de personnel. Qui est de bon aloi: salaires qui se montent à des millions pour la hiérarchie et smic et salaire de misère pour la plupart de ses travailleurs; assurance des parachutes dorés pour la hiérarchie, instabilité de l'emploi et peur de la misère pour le reste du personnel y compris les cadres. Tout ceci provoque un processus permanent et insupportable de « désaffiliation » institutionnelle pour les salariés, cadres et ou ouvriers, et en conséquence, de
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craintes d'anéantissement et de fragilisation psychique. Dans cette situation de désordre et de perte des repères se mêlent dans l'esprit des employés: fantasmes et réalité. C'est pour cela que toute mesure prise dans la réalité par la direction de l'entreprise affectée par les phénomènes de suicide, n'aura pratiquement aucun résultat tangible tant que l'enveloppe institutionnelle pourra présenter des failles vécues comme incompréhensibles, injustes et dangereuses. Nous savons que l'institution quelle qu'elle soit, se règle et se structure par la présence et l'interrelation de cinq 2 instituants majeurs . Nous parlerons ici d'un seul et ceci parce qu'il est probablement le plus mis en question à l'heure actuelle dans nos entreprises. Nous l'avons appelé l'instituant clanique: l'alliance, l'appartenance, l'affiliation et son corollaire la filiation conformant ce pilier essentiel. Il suffit qu'un de ses composants s'altère ou s'affaiblisse, et l'ensemble de la structure institutionnelle va vaciller. Une fois le contenant institutionnel affaibli,désorganisé, l'institution sera la proie facile à l'irruption de comportements anormaux, voire de passages à l'acte, la plupart du temps « inexplicables », et apparemment« incompréhensibles ». L'histoire rocambolesque d'espionnage chez Renault, les suicides en série chez France Télécom ou à La Poste, le cas Kerviel, etc sont des exemples du dysfonctionnement et de passages à l'acte dus au fait de la rupture institutionnelle en action dans ces entreprises. Ce sont des passages à l'acte qui ont pu filtrer vers l'opinion publique, mais certainement pas les seuls à s'être produits; très probablement il y en a d'autres, multiples et variés, qui n'ont pas pu arriver à la connaissance du public. 2 Ramirez H. 2002. Le cadre en thérapie psychanalytique de famille et de couple – La cothérapie en question. Dialogue N° 155. p.114-126. Érès
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Les entreprises face à ces comportements surprenants chercheront comme tout organisme dynamique, à expliquer par la « logique » managériale les échecs subis. C'est ainsi que Renault peut dire, par un audit sollicité immédiatement après ces méfaits, que la faille dans le cas des cadres accusés à tort d'espionnage est due à une concentration dans les lignes de commandement ou de traitement de l'information. On peut rapprocher ces façons de faire de la direction de l'entreprise au mécanisme de défense individuel que Freud a dénommé rationalisation. Ce mécanisme se caractérise par le besoin et l'effort de donner une explication logique, rationnelle, sans pour autant être nécessairement vraie, afin de remplier le vide explicatif ou l'incapacité d'acceptation des causes véritablement réelles. Le problème est que l'utilisation de ces explications à répétition, sans réellement aborder les vraies raisons du mal-être généralisé, peut aboutir à une fragilisation accrue d'une entreprise et en conséquence au risque d'un échec majeur, et à la destruction d'un fleuron de l'industrie d'un 3 pays . Il resterait une objection possible à notre développement dans la compréhension de ces phénomènes: il se peut qu'on nous adresse la remarque que dans d'autres parties du monde, voire même dans d'autres régions de France, ces mêmes entreprises ne présentent pas ces mêmes problèmes. A cette affirmation il nous est relativement facile de répondre. Et cette même observation nous permet d'affirmer et de signaler que si un style managérial trop axé sur la rentabilité et l'anonymat, est utilisé « officiellement » dans l'ensemble de l'entreprise, jamais il n'est appliqué partout de la même façon; il y a des ilots où 3 Ramirez H. 1997. De la pratique à la théorie. Quelques repères pour la psychanalyse en entreprise. 7e. Journées Nationales d'études Psychanalyse et management 15-16 mai, Groupe ESC Toulouse, 89-104.
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le travailleur peut encore vivre et s'étayer. Également dans certains pays voire dans certaines régions d'un même pays, l'étayage institutionnel pour un ouvrier ou un cadre peut être plus varié et étendu. Il est fort probable qu'un ouvrier indien ou chinois par exemple, puisse mieux résister aux pressions d'un management basé sur la rentabilité qu'un ouvrier européen, et tout ceci par des alliances ou appartenances extérieures à l'entreprise plus nombreuses et plus solides. En Europe et en France, ces champs d'appartenances se sont réduits comme une peau de chagrin. Un ouvrier, un cadre en voie d'être licencié est immédiatement considéré, dans la plupart des cas, comme un pestiféré, un exclu; il est fautif pour les autres. Et pour ses camarades il sera délaissé, il n'appartiendra plus au cercle de collèges et d'amis. De fait il va s'éloigner de lui-même de ses anciens groupes d'appartenance, il est un excommunié. Sa famille et plus particulièrement son épouse le considérera comme incapable et un impuissant; et si c'est l'épouse qui est licenciée, on lui fera sentir également sa responsabilité dans les soucis de tout ordre que la famille devra supporter. Il n'y aura pas autour d'eux, d'autres membres de la famille: grands-parents, tantes, oncles ou membres du clan pour adoucir la situation et prendre la relève de l'étayage nécessaire dans ces cas. Malheureusement dans les pays occidentaux, la famille pierre angulaire majeure dans le passé de soutien et d'étayage, s'est fragilisée et le nombre de ses composants s'est vu réduit à une simple trilogie: la mère, le père et un enfant dans le meilleur des cas. Or l'entreprise était un des derniers remparts contre les attaques de destruction des rôles sociaux et de perte identitaire; maintenant elle a tendance à abandonner de
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plus en plus cette fonction. De ce fait les travailleurs se sentant agressés, abandonnés, traqués, sans espoir et en proie à une angoisse indescriptible et mortifère, n'ont pas à l'horizon d'autre issue possible que le suicide, l'autodestruction. Dans le for intérieur de ces travailleurs qui se suicident, et dans leur ignorance que leur situation n'est pas de leur responsabilité, leur acte peut prendre deux sens qui ne s'excluent pas et qui dans certains cas se complémentent ou s'accompagnent. En premier lieu un acte ostentatoire: dernier rôle tragique sur l'autel d'un management absurde, inhumain et cupide, reflet de la dérive et de la rupture institutionnelle. Et en deuxième, il est l'expression d'une terreur innommable qui pétrifie et paralyse, jusqu'au moment où ils décident de prendre la décision fatale, vécue comme libératrice, de se donner la mort.
H. Ramirez – Psychanalyste - Thérapeute du groupe familial et du couple. Conseil des entreprises -- Neuilly-sur-Seine.
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