Serge MOATI le repenti.
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Une critique du dernier livre de Sege MOATI "dernières nouvelles de Tunis". Un livre en forme de repentir, qui n'enlève rien au talent de son auteur.

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Publié le 12 mars 2012
Nombre de lectures 147
Langue Français

Extrait

Serge MOATI le repenti
J’ai connu Serge MOATI en Corse où il s’était rendu dans les années 80 pour examiner la
situation qui ne cessait de se dégrader, malgré l’arrivée des socialistes aux affaires. J’étais
alors jeune juge, il avait demandé à me rencontrer en ma qualité de responsable du syndicat
des magistrats de Bastia et je dois dire que j’avais été saisi par la qualité de cet homme
simple, pondéré, modeste dans ses objectifs, qui sentait bien que la tâche qui lui était
demandée, d’expliquer la Corse, était un peu haut dessus de ses moyens. Mission impossible,
sauf par tous petits bouts et encore, et c’est d’ailleurs je crois ce qui semble-t-il lui avait été
demandé, puisqu’il devait se limiter pour l’essentiel aux médias publics sur l’île, qui faisaient
à l’époque l’objet des critiques les plus excessives de la part des responsables politiques
insulaires.
J’ai de suite eu un a priori très favorable pour l’homme, alors même que j’ignorais tout de son
attachement à notre pays natal la Tunisie.
Lorsque je l’appris, Serge MOATI allait faire parti de ces gens qui ne peuvent plus quoi
qu’ils fassent, quoi qu’ils disent, me laisser indifférent, car nous avions alors en commun
d’être des
oulad men tunes*
statut que nous revendiquons avec force et fierté, même si je ne
devais plus jamais le rencontrer, à l’exception d’une réception à l’ambassade de Tunisie à
Paris, il y a plusieurs années.
Nous avions aussi en commun comme nombre d’autres tunisiens de cœur, à défaut de l’être
de papier, durant toute notre vie, notre mythe de Sisyphe, vivant dans l’attente du retour au
pays même lorsque lui comme moi nous avons la chance de pouvoir nous y rendre plusieurs
fois par an et y ressentir à chaque fois les mêmes émotions, le même bonheur, d’être « à la
maison », à nouveau parmi les siens, avec très vite l’échéance d’un nouveau départ et à
chaque fois le cœur qui se serre, la gorge qui se noue, puis à nouveau l’attente pour un
nouveau retour...
Cet amour assumé crée des liens profonds d’affection même si par ailleurs je n’ai jamais
trouvé qu’il existait entre ces enfants de Tunis, une grande solidarité, à raison d’une mentalité
peut-être propre au bassin méditerranéen, qui conduit chacun de nous, à faire son chemin par
opposition aux autres, en ne détestant pas de leur montrer sa supériorité, sa réussite sociale et
matérielle, feinte ou réelle peu importe, ce qui m’a toujours un peu exaspéré.
Ce qui ne nous empêche pas, à l’occasion, de nous accaparer de la réussite d’autrui, c'est-à-
dire de nos jours de sa notoriété et je ne compte plus le nombre d’amis tunisiens qui ont été en
classe avec Serge MOATI au Lycée Carnot de Tunis, alors qu’il a quitté la Tunisie à l’âge de
12 ans, ou avec Philippe SEGUIN et Bertrand DELANOE, ma voisine du dessous elle même,
tunisienne aussi, m’ayant toujours assuré qu’elle avait eu comme employée dans son salon de
coiffure de la rue Charles de GAULLE à Tunis, Leila TRABELSI l’épouse de l’ex président
BEN ALI.
Qu’elles qu’en soient les raisons profondes je n’aurais pour rien au monde manqué de
regarder RIPOSTES, l’émission phare de Serge MOATI, le cas échéant après l’avoir
enregistrée, j’ai lu certains de ses livres, comme certains de ceux de sa sœur Nine. Serge
MOATI fait en quelque sorte parti de mon environnement intellectuel et même de mon
environnement tout court.
Et j’ai donc lu tout naturellement «
Dernières nouvelles de Tunis
». Le livre faisait parti d’un
lot acheté chez Sofiane, mon libraire de la rue Sidi Ben AROUS en haut de la médina, je
l’avais un peu oublié, et une émission sur La Chaîne Parlementaire animée par Serge MOATI
devait me rappeler son existence.
C’est peut-être ce retard de lecture qui explique en partie ma grande déception et même ma
surprise. Je ne pensais pas Serge MOATI capable de faire un livre, qui plus est sur Tunis,
aussi médiocre. On y trouve et répétés parfois à l’infini tous les lieux communs, que nous
connaissions depuis de nombreuses années sur Zinedine Ben ALI, son épouse et sa belle
famille. L’absence de toute démocratie, le despotisme, la corruption, l’autoritarisme,
l’absence de liberté, de la presse en particulier, les méthodes musclées utilisée par le régime,
les mauvais traitements infligés aux personnes en dehors de tous les principes qui régissent les
lois internationales, la torture, la non indépendance de la justice, on pourrait continuer ainsi
pendant longtemps, tout ceci étant connu, archi connu et reconnu depuis plus de deux
décennies, et j’avoue mon extrême étonnement d’avoir pu lire, après tout ce temps et alors
que le dictateur objet de cette situation s’est volatilisé dans la nature à jamais, avec armes et
bagages, alors que le pouvoir a changé de mains, alors qu’il n’y a plus de tyran et par
conséquent plus de tyrannie, un livre écrit par Serge MOATI écrivain, animateur d’émissions
télévisées, réalisateur et producteur, pour dénoncer cette tyrannie pour clouer au pilori un
tyran disparu, pour venir proclamer du haut de son autorité tout ce que nous savions tous déjà,
pour le condamner, avec une hargne devenue totalement inutile et déplacée, tout le monde
étant d’accord sur tout, sans la moindre discussion possible.
Serge MOATI s’est en quelque sorte précipité,
après que la bête eut été mise à terre
définitivement, pour rouer son corps devenu inerte, de mille coups de pieds afin de bien
montrer à tous que lui aussi, même s’il ne l’avait jamais dit, n’était pas d’accord. Et pour être
bien sûr qu’on l’ait bien compris, il allait ajouter quelques détails, comme ceux consistant à
reprocher au tyran de saucer son assiette, de mettre de la gomina sur ses cheveux, cheveux qui
sans aucun doute et selon l’auteur de «
Nouvelles de Tunis
» étaient teints. Quant à sa femme
qu’il affuble une centaine de fois au moins tout au long du livre, du surnom de «
la
coiffeuse
», en signe de mépris pour ses origines forts modestes et pour avoir eu le toupet de
séduire un président même vulgaire, certainement de la façon la plus malhonnête qui soit,
pour une femme de sa condition, il en fait au passage, pour faire bonne mesure, une sorcière
qui faisait ingurgiter chaque matin à son niais de mari, qu’elle traitait à tout bout de champ
d’imbécile, des caméléons frits...
Fort bien Serge si je puis me permettre cette affectueuse familiarité, mais après le 14 janvier
2011, tout ceci n’a plus aucun intérêt pour un écrivain de votre trempe, cette dénonciation
posthume est pathétique et vous auriez dû sans aucun doute vous en en dispenser.
Personne ne pourra en effet comprendre pourquoi pendant les 23 ans de pouvoir absolu de ce
clan et de ses exactions au vu et au su de tous, Serge MOATI homme de médias, qui avait les
moyens de s’élever contre la tyrannie sinon contre le tyran s’il voulait à tout prix ou plus
exactement à n’importe quel prix préserver son intimité tunisienne, au détriment de toutes les
victimes qu’il égrène dans son livre, exilés politiques, emprisonnés, torturés, dépouillés,
affamés, personne ne comprend en effet pour qu’elle raison il ne les a jamais dénoncées,
même avec un pseudonyme, un prête nom ou par n’importe quel moyen. Car si je peux
comprendre la faiblesse d’un homme devant l’amour qu’il porte à notre Tunisie, qui nous fait
à tous perdre la tête et garder le silence, je ne comprends pas l’écriture de ce livre « après
coup ».
Son désarroi a dû être tel, devant une situation à laquelle il reconnaît qu’il ne s’attendait pas,
que Serge MOATI s’est certainement senti obligé d’écrire un livre, en prenant d’ailleurs
comme caution de sa moralité, son père mort en 1957, son père qui avait, pour ce qui le
concerne, fait le choix de la justice contre l’injustice, des pauvres contre les riches, du peuple
contre la Résidence Générale où logeaient à l’époque les gouverneurs de l’ère coloniale qui
passaient leur temps à se goberger avec leurs semblables pendant que le peuple tunisien, en
particulier des campagnes, crevait la faim au sens propre du terme. .
N’a-t-il pas senti en écrivant ce livre qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas ? Certes, il le
reconnaît lui-même, il a préféré manger la
loubia**
avec ses copains intellectuels tunisiens
dans les quartiers chics de la banlieue nord de Tunis, où il réside, plutôt que de prendre le
moindre risque. Certes encore on trouve dans la deuxième partie de ce livre, après un
enthousiasme excessif en forme de repentir, une inquiétude marquée sur le nouveau pouvoir
qui s’installe et à qui il rappelle à la fin de son livre qu’en définitive la seule chose qui compte
pour lui est «
de pouvoir revenir souvent ici. Chez moi. Je veux que mes enfants se sentent
chez eux en Tunisie
» puis suit une longue et singulière démonstration pour expliquer que
l’on peut être juif et tunisien (?) et qu’il aimerait (comme beaucoup d’entre nous) être enterré
au cimetière du BORGEL à Tunis et peut-être alors que depuis l’au-delà, autre souhait de
Serge MOATI, nous assisterons «
à la séparation du profane et du sacré
», inch Allah.
Un dernier mot. Serge MOATI nous dit aujourd’hui combien il regrette de n’avoir rien dit.
Dont acte. Mais alors que des journalistes et un directeur de publication ont été emprisonnés à
Tunis il y a quelques semaines, pour avoir publié la photo d’un joueur de foot-bal tunisien en
compagnie de sa fiancée dénudée, dont il protège la poitrine avec son bras, photo qui a été
publiée dans toutes les revues sportives du monde, je n’ai pas entendu Serge MOATI
journaliste et fils de journaliste tunisien s’en émouvoir. Non, décidément, je pense que Serge
MOATI aurait mieux fait de s’abstenir d’écrire ce livre, on ne doit pas mélanger l’Amour
surtout quand il est passionnel et le travail, c’est bien connu.
*Des enfants de Tunis
** Ragout de bœuf aux haricots
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