Ceci est un peu plus que l’histoire de mes années de Guyane, de mes soixante ans, transporté volontaire en terre amazonienne de 2005 à 2009. J’ai eu, très vite, le soir au bord du fleuve Maroni, dans la douceur du crépuscule, des accès d’écriture comme fièvre subite. J’ai laissé peindre à ma plume des paysages, des décors d’existence, tout un peuple du fleuve, la vie, l’amour, la mort dans un cadre sublime, sauvage et généreux qui ne saurait laisser personne indifférent !
MA GUYANE
connexions2 Henri Dumoulin
3 Préface
Ceci est un peu plu s que l’histoire de mes années de Guyane, de
mes soixante ans, transporté volontaire en terre amazonienne de
2005 à 2009.
J’ai eu, très vite, le soir au bord du fleuve Maroni, dans la douce ur
du crépuscule, des accès d’écriture comme fièvre subite. J’ai lais sé
peindre à ma plume des paysages, des décors d’existence, tou t un
peuple du fleuve, la vie, l’amour, la mort dans un cadre sublime,
sauvage et généreux qui ne saurait laisser personne indifférent !
La cour d’amour a commencé et n’a jamais cessé, Je voudrais vou s
la raconter, vous faire partager, aux jours choisis, mes émotion s,
mes intuitions, mes rêveries. Il n’y a pas d’intrigue, pas de p lan
précis, mais il y a un fil rouge, c’est une tranche de m ! a vie
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Scène I : Vendredi, 5 heures, le soir, je fais mon tour dans les
ruelles d’Apatou, deux fillettes, une dizaine d’années chacune ,
portent un lourd panier de légumes verts locaux : des conc ombres
longs et une espèce d’épinard ; j’achète un concombre et u ne
poignée de feuilles d’épinard. Elles prennent mon argent l’air
interrogateur :
-C’est toi qui fait la cuisine ! Ça te fatigue ptarsop ? Ici, les petit es
filles descendent au Maroni à 6 heures le matin avec la vaisselle et
le linge sale de la famille à laver. Plus grandes, on les voit dans les
abattis à déterrer et mettre dans des sa c signames, dachines ou
manioc, elles sont avec leur mères autour des grandes platines sur
un feu de bois, elles grillent, en le ratissant dans la chaleu r
5suffocante, le manioc moulu qui vient de passer dans les gra ndes
couleuvres tressées tendues par une pierre pour en extraire le jus
toxique.
Très bientôt, vers 15 ou 16 ans, elles auront, sans peur et sa ns
angoisse, leurs premiers enfants, elles rentreront totalement da ns
leur vie de femme, ce sont véritablement des africaines de Guya ne.
Une femme n’est réellement femme ici que par sa puissa nce
d’enfantement. Pour elle, la perte de la capacité d’enfanter est vécue
exactement comme une impuissance chez l’homme. Quand on
prend conscience de cela, on commence à pouvoir dialoguer et
parler de contraception avec elles.
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Scène II
Apatou, un Samedi vers 15h30, le soleil est encore bien haut, m ais
j’ai un rendez-vous d’amour ! J’ai enfilé mes bottes, un pantalon
fatigué mais solide, mis dans un sac à dos boussole, jumelles, lamp e
de poche, imperméable, et pris la piste qui s’enfonce plein sud dan s
la forêt primaire. Après un arrêt à la micro boulangerie derrière
chez Yannick le «pharmacien du fleuve », la grande forê t
commence après le dépôt d'ordure communal, une bifurcation à
droite me fait quitter la piste, un petite grimpette, et me voilà à
l’orée des grands bois, ici commence l’ailleurs, la forêt amazonienne
s’empare de celui qui est sensible à ses envoûtements , c’eslat cour
d’amour , elle ne vous lâchera plus .
7Aujourd’hui j’ai eu de la chance, une heure après « les ordures »
j’étais au bord de la crique Hermina, un petit affluent rive droite du
Maroni, un papillon du type M orpho barré s’est laissé placidement
photographier, une bande de perroquets est passée bruyamme nt
dans le ciel et surtout une Harpie, grand aigle des Guyanes, est
passée silencieusement au-dessus de moi, majestueuse puissance du
plus grand prédateur des airs en Amazonie
.la crique Hermina est trop large et profonde pour la traverser en
cette saison, je n’irai pas jusqu’au saut Hermina du Maroni, un
layon discret sur ma gauche me fait descendre vers un ruiss eau
encombré de rochers, facile à traverser, un autre sentier comm ence
en face, je l’explorerai une autre fois, il se fait tard, la nuit tom be ,
hors des pistes on s’égare vite dans l’obscurité profonde du sous-
bois (dans ce secteur une de mes collègues en sera quitte un jou r
pour passer la nuit assis au pied d’un arbre mangée par le s
moustiques, et réapparaitre tranquillement dans la village inquiet,
dans la matinée du lendemain) .
Le reste ne se raconte pas, il est mon intimité avec cette nat ure, ce
socle rocheux du massif des Guyanes, racine d’une des plus vieille s
montagnes du monde, toujours présent là où je suis depuis 3 ou 4
milliards d’années, bien avant l’apparition sur terre de toute vie
8animale. Ça fait tellement de bien cette force qui vient de la terre et
des arbres. Près de quatre heures de marche, pas la moindre fa tigue,
au contraire, une sensation réelle et profonde de repos
Scène II I
Dimanche 5 mars 2006, je rentre dans la minuscule gargote du
capitaine Joseph Amapaye, chef coutumier des habitants d’Apatou
jusqu’à sa mort. Son « micro resto » est situé derrière la mairie , ses
petits drapeaux français et européens en écho aux grands drapeau x
français et européens décorant la Mairie. Il est là, honora ble
vieillard assis dans l’entrée, il semblait s’attendre à mon passage, me
salut d’un « bonjour Docteur » accueillant et ferme. C’est le
troisième capitaine depuis la fondation d’Apatou par le capitaine
Joseph Apatou mort en 1895, il a succédé aux capitaines Yahoo et
Yabahaa, il pourrait avoir dans les quatre-vingt ans. Nous avons bu
ensemble un verre de vin, je lui ai dit mon plaisir de lui a voir
réservé mon premier contact officiel, nous avons parlé de la vie , de
la mort, des médecins et des guérisseurs, du quotidien e t de
l’éternel, de ma rencontre avec la Harpie, de mon désir de vivr e à
Apatou. Le contact est fait, quand j’aurai un problème délicat, je
solliciterai son conseil avant d’en parler au maire ou au x
gendarmes !
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Recette du bonheur
-Prenez un crépuscule équatorial dans les enviro ns
immédiat d’Apatou, une petite « crique » a moi tié
transmutée en « pripri » un bout de petit marécage au
détour d’un chemin creux s’obscurcissant rapidement.
- Prenezu ne paire de bottes ou bien de vieux nu-
pieds agrémentés de vieilles chaussettes, une lam pe
frontale.
- Ajoutez une grosse poignée de patience sous le c iel
rougissant à l’ouest. Accroupi au bord du « pripri »,
vous caressez lentement la surface de l’eau comme un
phare dans la nuit profonde. Vous écout ez
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