L'énigmatique retour de Keynes - article ; n°4 ; vol.4, pg 113-122

Thierry Pouch

Description

Revue française d'économie - Année 1989 - Volume 4 - Numéro 4 - Pages 113-122
Remise en cause par bon nombre d'économistes depuis plus d'une décennie, il semblerait que la pensée de Keynes soit à nouveau au centre des débats aujourd'hui. En effet, plusieurs articles parus récemment en France soulignent la modernité de cet auteur. Dans ce texte, l'auteur propose de rechercher les raisons d'une telle résurgence de la pensée keynésienne.
Though it has been heavily questionned for over a decade, the thought of Keynes is, nevertheless, becoming again the center of today's debates. The recent publication in France of several articles underlying the modernity of that author accounts for it. In the following paper, the author intends to examine the sources of such a resurgence of keynesian thought.
10 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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• Publié par: REVUE_FRANCAISE_D-ECONOMIE
• Publié le: 01 janvier 1989
• Nombre de lectures: 21
• Langue: Français

Extrait

Thierry Pouch
L'énigmatique retour de Keynes
In: Revue française d'économie. Volume 4 N°4, 1989. pp. 113-122.
Résumé
Remise en cause par bon nombre d'économistes depuis plus d'une décennie, il semblerait que la pensée de Keynes soit à
nouveau au centre des débats aujourd'hui. En effet, plusieurs articles parus récemment en France soulignent la modernité de cet
auteur. Dans ce texte, l'auteur propose de rechercher les raisons d'une telle résurgence de la pensée keynésienne.
Abstract
Though it has been heavily questionned for over a decade, the thought of Keynes is, nevertheless, becoming again the center of
today's debates. The recent publication in France of several articles underlying the modernity of that author accounts for it. In the
following paper, the author intends to examine the sources of such a resurgence of keynesian thought.
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Pouch Thierry. L'énigmatique retour de Keynes. In: Revue française d'économie. Volume 4 N°4, 1989. pp. 113-122.
doi : 10.3406/rfeco.1989.1235
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfeco_0769-0479_1989_num_4_4_1235Thierry
POUCH
L'énigmatique
retour de Keynes
s'agissait de proclamer la e temps seconde n'est mort pas de si Keynes, éloigné d'ouoù il
blier Keynes , de montrer que l'entrée en crise des éco
nomies capitalistes reflétait la crise de l'économie
keynésienne . La décennie soixante-dix fut en effet la
période où l'hostilité envers l'économiste britannique par
vint à son acmé. De sauveur de l'économie, Keynes
connut les revers du succès et se vit attribuer la respons
abilité de l'inflation, du chômage, du malaise généralisé
rencontré par les pays industrialisés. Excepté en France
et dans quelques régions du Sud de l'Europe (Grèce et 114 Thierry Pouch
Espagne notamment), le discours libéral opposé aux prin
cipes keynésiens de politique économique entra en appli
cation, d'abord en Grande-Bretagne puis aux Etats-Unis.
Ce fut l'époque de la révolution conservatrice américaine
(pour reprendre le titre d'un best-seller célèbre en
France). Il fallait désormais s'en remettre aux forces du
marché et démanteler l'Etat-providence. La propagation
du libéralisme se fit progressivement et gagna la France.
Le reflux des idées de Keynes et de leur application,
même restreinte, en termes de politique économique, à
savoir l'interventionnisme étatique, se généralisa, malgré
les efforts de quelques économistes pour que la vision de
l'économie de Keynes soit respectée voire même
approfondie .
Mais au seuil de la décennie quatre-vingt-dix,
force est de constater que les idées keynésiennes resur
gissent et investissent les revues. Assisterions-nous à la
seconde naissance de Keynes ? Quelques textes récem
ment publiés dans nos colonnes permettent de remarquer
que le message de Keynes est l'objet de nouvelles inves
tigations. De la traduction d'une conférence de Keynes
datant de 1931 prononcée à la Harris Foundation au der
nier article paru sur ce thème de M. Herland , ce retour
à Keynes apparaît pour le moins énigmatique. Qui aurait
pu affirmer il y a seulement quelques années que la remise
en cause de l'héritage keynésien s'essouflerait, que la
retraite des idées keynésiennes pour reprendre une
expression de M. Feldstein , s'estomperait à la lecture
des résultats mitigés de la politique d'inspiration conser
vatrice ? Fondamentalement, la pérennité des travaux de
Keynes n'est pas contestable. Notre propos se situe ai
lleurs. Résoudre l'énigme du retour de Keynes consistera
à tenter d'expliquer ce revirement à travers deux hypot
hèses. La première, que nous qualifierons d'hypothèse
pragmatique, aura pour objectif de montrer que l'échec Pouch 1 15 Thierry
des politiques libérales est à l'origine de réflexions
récentes sur le keynésianisme afin de trouver (promouv
oir ?) un nouveau consensus keynésien comme première
étape à une sortie de crise. C'est donc en termes d'action,
de politique économique que le retour de balancier vers
Keynes doit être analysé. La seconde hypothèse, qualifiée
de théorique, est que la résurgence de Keynes traduit la
volonté d'extirper de l'œuvre de l'économiste de Camb
ridge des ressources théoriques cachées ou oubliées et
de faire de celle-ci la théorie révolutionnaire par excel
lence, se substituant au paradigme néo-classique. Nous
pourrons dès lors nous interroger sur le problème qui est
de savoir si, finalement, l'économie politique ne se trouve
pas stabilisée, puisque bornée de manière fondamentale
entre Keynes et la théorie néo-classique, et ce, en période
de crise.
L'impact des politiques économiques actives
durant la période de croissance fut considérable. On sait
depuis les travaux de l'école de la régulation que les trans
formations profondes des grandes économies se situent
dans une logique keynésienne, que le fordisme est étro
itement associé au keynésianisme . Mais cette adéquation
de la dynamique du système productif durant les années
soixante aux intuitions de Keynes viendra buter dès le
début de la décennie soixante-dix sur un jeu de
contraintes, jeu pesant progressivement sur l'efficacité des
actions de l'Etat. Après une période d'hésitation des gou
vernements en matière de politique économique, tradui
sant la relative confiance qu'ils avaient envers les principes
keynésiens, l'orientation générale s'est tournée vers la
politique dite de rigueur avec un triple objectif : assaini
ssement des finances publiques, orthodoxie monétaire,
ajustement des structures productives conforme aux
impératifs de concurrence internationale. De manière
symétrique après le règne de l'Etat providence, l'écono- 116 Thierry Pouch
mie de l'offre affirme que seul le retour aux forces du
marché rétablirait le processus de croissance stable et
durable. L'adoption d'une politique économique mini
male était désormais de mise. Cependant, les résultats
mitigés de ces dernières années obtenus par les économies
dominantes (chômage élevé, déficits extérieurs compro
mettant l'équilibre financier, croissance insuffisamment
rapide...) conduisent les économistes à relativiser l'effet
bénéfique qui devait provoquer le respect des lois du
marché. De plus, l'activité économique des grands pays
industrialisés a souvent présenté jusqu'à maintenant un
profil plutôt classique (hausse de la production, redre
ssement de la demande, reprise de l'investissement) .
D'où l'idée d'un retour à Keynes. Non seulement pour
montrer que les Etats éprouvent quelques difficultés à se
détacher du keynésianisme (c'est le cas des Etats-Unis de
R. Reagan), mais surtout pour réhabiliter les intuitions de
cet auteur.
On sait cependant qu'une politique de relance, à
moins qu'elle ne soit pratiquée par l'ensemble des par
tenaires, notamment européens, place les économies
devant le spectre du déficit budgétaire qu'il faut financer,
mais aussi, et c'est le cas de la France, face au risque d'une
aggravation des déficits extérieurs. La justification de la
réhabilitation des idées de Keynes doit donc être recher
chée ailleurs. L'actualité de réside très certain
ement dans l'étendue de ses propositions en matière d'ac
tions à mener pour moderniser l'économie de marché.
Puisque les principes ayant régi les économies dominantes
après la guerre, ce que l'on a appelé le « consensus key-
nésien », ont été victimes de leur succès, peut-on trouver
chez Keynes des suggestions opératoires, partie intégrante
de sa philosophie économique et politique, permettant de
réduire l'instabilité intrinsèque du capitalisme ? Les éco
nomistes jugeant particulièrement stimulante la relecture Pouch 117 Thierry
des œuvres de Keynes répondent par l'affirmative à cette
interrogation. En effet, puisque le capitalisme se