Comptabilité, discipline et finances publiques : une expérience d introduction de la partie double sous la Régence - article ; n°2 ; vol.18, pg 93-121
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Description

Politiques et management public - Année 2000 - Volume 18 - Numéro 2 - Pages 93-121
Sous l'Ancien-Régime, la collecte des impôts était une affaire privée des plus fructueuses. Utilisant les recettes fiscales, les receveurs généraux consentaient au roi de coûteuses avances. Le prétendu retard des recouvrements justifiait celui des versements et l'État payait des intérêts sur ses propres deniers. En 1716, afin d'accélérer les rentrées du Trésor et de diminuer la charge d'intérêt, le gouvernement introduisit une réforme reposant sur une intéressante innovation technique : l'utilisation de la partie double pour le contrôle des receveurs. L'expérience fut progressivement étendue aux divers secteurs de la finance, mais cette nouvelle organisation se heurta rapidement à l'hostilité affichée des financiers. Ces efforts de rationalisation furent interrompus en 1726. Les quatre frères Paris, qui avaient été les promoteurs de ces réformes, furent éloignés des finances et l'on supprima la quasi totalité des contrôles qu'ils avaient instaurés. Par delà le récit de ces événements, cette étude tente d'en apprécier la signification. L'intérêt de cette modification des méthodes comptables dépasse les aspects purement techniques, car il accompagne un changement organisationnel fondamental. Les frères Paris tentèrent de remplacer un ensemble de relations contractuelles décentralisées par une administration bureaucratique centralisée, en concevant la comptabilité comme un instrument de contrôle particulièrement sophistiqué, susceptible de modifier le comportement des financiers. On peut donc voir dans cette expérience l'une des multiples manifestations de l'émergence des disciplines au XVIIIe siècle, telles qu'analysées par Foucault. Elle préfigure les dispositifs qui seront mis en place, à partir de la fin du siècle, dans les finances françaises, et elle relève de cette ambition d'un gouvernement scientifique que partage l'Europe des Lumières. Les écrits des Paris sont d'ailleurs à ranger parmi les premières expressions d'une réflexion que l'on désignera bientôt comme la 'science de l'administration.
29 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2000
Nombre de lectures 31
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Yannick Lemarchand
Comptabilité, discipline et finances publiques : une expérience
d'introduction de la partie double sous la Régence
In: Politiques et management public, %vol. 18 n° 2, 2000. pp. 93-121.
Résumé
Sous l'Ancien-Régime, la collecte des impôts était une affaire privée des plus fructueuses. Utilisant les recettes fiscales, les
receveurs généraux consentaient au roi de coûteuses avances. Le prétendu retard des recouvrements justifiait celui des
versements et l'État payait des intérêts sur ses propres deniers. En 1716, afin d'accélérer les rentrées du Trésor et de diminuer la
charge d'intérêt, le gouvernement introduisit une réforme reposant sur une intéressante innovation technique : l'utilisation de la
partie double pour le contrôle des receveurs. L'expérience fut progressivement étendue aux divers secteurs de la finance, mais
cette nouvelle organisation se heurta rapidement à l'hostilité affichée des financiers. Ces efforts de rationalisation furent
interrompus en 1726. Les quatre frères Paris, qui avaient été les promoteurs de ces réformes, furent éloignés des finances et l'on
supprima la quasi totalité des contrôles qu'ils instaurés. Par delà le récit de ces événements, cette étude tente d'en
apprécier la signification. L'intérêt de cette modification des méthodes comptables dépasse les aspects purement techniques, car
il accompagne un changement organisationnel fondamental. Les frères Paris tentèrent de remplacer un ensemble de relations
contractuelles décentralisées par une administration bureaucratique centralisée, en concevant la comptabilité comme un
instrument de contrôle particulièrement sophistiqué, susceptible de modifier le comportement des financiers. On peut donc voir
dans cette expérience l'une des multiples manifestations de l'émergence des disciplines au XVIIIe siècle, telles qu'analysées par
Foucault. Elle préfigure les dispositifs qui seront mis en place, à partir de la fin du siècle, dans les finances françaises, et elle
relève de cette ambition d'un gouvernement scientifique que partage l'Europe des Lumières. Les écrits des Paris sont d'ailleurs à
ranger parmi les premières expressions d'une réflexion que l'on désignera bientôt comme la 'science de l'administration".
Citer ce document / Cite this document :
Lemarchand Yannick. Comptabilité, discipline et finances publiques : une expérience d'introduction de la partie double sous la
Régence. In: Politiques et management public, %vol. 18 n° 2, 2000. pp. 93-121.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pomap_0758-1726_2000_num_18_2_2628DISCIPLINE ET FINANCES PUBLIQUES : UNE EXPÉRIENCE COMPTABILITÉ,
D'INTRODUCTION DE LA PARTIE DOUBLE SOUS LA RÉGENCE
Yannick LEMARCHAND*
Résumé Sous l'Ancien-Régime, la collecte des impôts était une affaire privée des plus
fructueuses. Utilisant les recettes fiscales, les receveurs généraux consentaient au roi
de coûteuses avances. Le prétendu retard des recouvrements justifiait celui des
versements et l'État payait des intérêts sur ses propres deniers. En 1716, afin
d'accélérer les rentrées du Trésor et de diminuer la charge d'intérêt, le gouvernement
introduisit une réforme reposant sur une intéressante innovation technique : l'utilisation
de la partie double pour le contrôle des receveurs. L'expérience fut progressivement
étendue aux divers secteurs de la finance, mais cette nouvelle organisation se heurta
rapidement à l'hostilité affichée des financiers. Ces efforts de rationalisation furent
interrompus en 1726. Les quatre frères Paris, qui avaient été les promoteurs de ces
réformes, furent éloignés des finances et l'on supprima la quasi totalité des contrôles
qu'ils avaient instaurés. Par delà le récit de ces événements, cette étude tente d'en
apprécier la signification. L'intérêt de cette modification des méthodes comptables
dépasse les aspects purement techniques, car il accompagne un changement
organisationnel fondamental. Les frères Paris tentèrent de remplacer un ensemble de
relations contractuelles décentralisées par une administration bureaucratique
centralisée, en concevant la comptabilité comme un instrument de contrôle
particulièrement sophistiqué, susceptible de modifier le comportement des financiers.
On peut donc voir dans cette expérience l'une des multiples manifestations de
l'émergence des disciplines au XVIIIe siècle, telles qu'analysées par Foucault. Elle
préfigure les dispositifs qui seront mis en place, à partir de la fin du siècle, dans les
finances françaises, et elle relève de cette ambition d'un gouvernement scientifique
que partage l'Europe des Lumières. Les écrits des Paris sont d'ailleurs à ranger parmi
les premières expressions d'une réflexion que l'on désignera bientôt comme la
'science de l'administration".
* Laboratoire de Gestion des Organisations de Nantes (LAGON).
Université de Nantes, Faculté des Sciences Économiques et de Gestion.
Revue POLITIQUES ET MANAGEMENT PUBLIC, Volume 18, n° 2, juin 2000.
© Institut de Management Public - 2000. Yannick LEMARCHAND 94
Plus connus pour le rôle qu'on leur prête dans l'échec de John Law et souvent
présentés comme les défenseurs de la finance traditionnelle face au modernisme de
l'Ecossais, les frères Paris furent à l'origine d'une tentative de réforme de
l'administration financière reposant sur une intéressante innovation technique.
Important, dans le monde de la finance, un mode de comptabilité propre à l'univers
marchand - la partie double -, ils mirent en place, à partir de 1716, un contrôle de
l'activité des financiers1 qui se heurta rapidement à l'hostilité affichée de ces derniers.
Parmi eux, les receveurs généraux alliaient à leur rôle de collecteurs des impôts
directs, celui de figurer parmi les principaux bailleurs de fonds de la monarchie.
Utilisant les recettes fiscales ou leur propre crédit - jugé supérieur à celui du Trésor -,
ils consentaient au Roi de coûteuses avances. Le prétendu retard des recouvrements
justifiait celui des versements, l'Etat payait alors des intérêts sur ses propres deniers.
Le contrôle des chambres des comptes était relativement inefficace car les comptes
étaient examinés avec plusieurs années de retard, il était de toute façon inapte à
prévenir les abus. Tout comme la surveillance que le contrôle général était censé
exercer. Si les receveurs généraux étaient tenus de lui transmettre leurs états de
recettes et dépenses [G. Dent, 16, p. 95], ils ne le faisaient que plusieurs mois après la
fin de l'exercice. La comptabilité n'autorisait dès lors aucune maîtrise sérieuse des flux
de trésorerie.
La réforme introduite par les Paris visait d'abord à accélérer les rentrées du Trésor et à
diminuer la charge d'intérêt. Ils créèrent à cet effet une caisse commune des receveurs
généraux et mirent en place une organisation comptable qui permettait de connaître la
position de chacun d'eux vis-à-vis de l'Etat, ainsi que la ventilation de leurs recettes et
dépenses. Progressivement, l'expérience fut élargie à l'ensemble des secteurs de la
finance. Mais ces efforts de rationalisation furent interrompus en 1726, lorsque le
cardinal de Fleury accéda au pouvoir. Les frères Paris furent éloignés des finances et
l'on supprima alors la quasi totalité des contrôles qu'ils avaient instaurés. Il était,
semble-t-il, impossible de contrôler sérieusement le maniement des deniers publics,
dès lors que celui-ci relevait d'une activité privée, source de profits, au sein d'un
système de crédit à court terme qui faisait de l'Etat l'otage de la finance. C'est au récit
de cette tentative qu'est consacrée la première partie de ce texte.
On tentera dans la seconde partie d'en apprécier la portée et les enseignements. En
effet, si l'innovation technique - l'adaptation de la comptabilité en partie double comme
représentation du circuit financier de l'Etat - est remarquable, l'intérêt de ce
changement de méthod

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