[La fonction maternelle] On a si longtemps évoqué l amour maternel ...
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[La fonction maternelle]
On a si longtemps évoqué l’amour maternel en termes d’instinct que nous croyons volontiers un tel
comportement ancré dans la nature de la femme quel que soit le temps ou l’espace environnant. À nos yeux,
chaque femme, en devenant mère, trouve en elle-même toutes les réponses à sa nouvelle condition. Comme si
une activité préformée, automatique et nécessaire n’attendait que l’occasion pour s’exercer. La procréation
étant naturelle, on imagine qu’au phénomène biologique et physiologique de la grossesse doit correspondre une
attitude maternelle déterminée.
Procréer n’aurait pas de sens si la mère n’achevait son ouvrage en assurant jusqu’au bout la survie du foetus
et la transformation de l’embryon en un individu achevé. Cette croyance est corroborée par l’usage ambigu du
concept de maternité qui renvoie à la fois à un état physiologique momentané, la grossesse, et à une action à
long terme: le maternage et l’éducation. À la limite, la fonction maternelle ne prendrait fin que lorsque la mère
aurait enfin accouché de l’adulte.
Dans cette optique, nous avons du mal à rendre compte des ratés de l’amour maternel, comme cette froideur
et cette tendance à l’abandon qui apparaissent dans la France urbaine du XVIII’ siècle et se généralisent au
siècle suivant. À ce phénomène, dûment constaté par les historiens, on trouva nombre de justifications
économiques et démographiques. Autre façon de dire que l’instinct de vie l’emporte sur l’instinct maternel.
Tout au plus reconnut-on qu’il est malléable et peut-être sujet à éclipses.
Cette concession appelle plusieurs questions : qu’est-ce qu’un instinct qui se manifeste chez les unes et pas
chez les autres ? Faut-il considérer comme « anormales » toutes celles qui l’ignorent ? Et que penser d’un
comportement pathologique qui touche tant de femmes de conditions différentes et dure pendant des siècles ?
[…] Quant aux études sur les sociétés « primitives », on se garda bien d’en tirer les leçons nécessaires. Si
loin, si petites, si archaïques ! Que, dans certaines d’entre elles, le père soit plus maternel que la mère, ou bien
que les mères soient indifférentes et même cruelles n’a pas vraiment modifié notre vision des choses. Nous
n’avons pas su ou voulu tirer parti de ces exceptions pour remettre en cause notre propre norme.
Il est vrai que depuis un certain temps les concepts d’instinct et de nature humaine ont mauvaise presse. À y
regarder de près, il devient difficile de trouver des attitudes universelles et nécessaires. Et puisque les
éthologistes eux-mêmes ont renoncé à parler d’instinct quand ils se réfèrent à l’homme, un consensus s’est fait
parmi les intellectuels pour abandonner le vocable aux poubelles des concepts. L’instinct maternel n’est donc
plus de mise. Pourtant, le vocable jeté, il reste une idée bien vivace de la maternité qui ressemble à s’y
méprendre à l’ancien concept abandonné.
On a beau reconnaître que les attitudes maternelles ne relèvent pas de l’instinct, on pense toujours que
l’amour de la mère pour son enfant est si fort et presque général qu’il doit bien emprunter un petit quelque
chose à la nature. On a changé de vocabulaire, mais pas d illusions. […]
En réalité, la contradiction n’a jamais été plus grande. Car si on abandonne l’instinct au profit de l’amour,
on conserve à celui-ci les caractéristiques de celui-là. Dans notre esprit, ou plutôt dans notre coeur, on continue
de penser l’amour maternel en termes de nécessité. Et malgré les intentions libérales, on ressent toujours
comme une aberration ou un scandale la femme qui n’aime pas son enfant. Nous sommes prêts à tout expliquer
et à tout justifier plutôt que d’admettre le fait dans sa brutalité. Au fond de nous-mêmes, nous répugnons à
penser que l’amour maternel n’est pas indéfectible. Peut-être parce que nous refusons de remettre en cause
l’amour absolu de notre propre mère…
L’histoire du comportement maternel des Françaises depuis quatre siècles n’est guère réconfortante. Elle
montre non seulement une grande diversité d’attitudes et de qualité d’amour mais aussi de longues périodes de
silence. Certains diront peut-être que propos et comportements ne dévoilent pas tout le fond du coeur et qu’il
reste un indicible qui nous échappe. À ceux-là nous sommes tentés de répondre par le mot de Roger Vailland :
« Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. » Alors, quand les preuves se dérobent, pourquoi ne
pas en tirer les conséquences ?
L’amour maternel n’est qu’un sentiment humain. Et comme tout sentiment, il est incertain, fragile et
imparfait. Contrairement aux idées reçues, il n’est peut-être pas inscrit profondément dans la nature féminine. À
observer l’évolution des attitudes maternelles, on constate que l’intérêt et le dévouement pour l’enfant se
manifestent ou ne se manifestent pas. La tendresse existe ou n’existe pas. Les différentes façons d’exprimer
l’amour maternel vont du plus au moins en passant par le rien, ou le presque-rien.
Élisabeth Badinter,
L’Amour en plus
, 1982 [extraits]
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