Labanlieue souslefeu descaméras
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Poids de l'ouvrage 3 Mo

Extrait

1,30 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO8985
VENDREDI 2 AVRIL 2010
FMI: MARATHON STRAUSS-KAHN PAGES 10-11 FRANCE-MALAISIE: POTS-DE-VINS POUR DES SOUS-MARINS PAGES 12-13
WWW.LIBERATION.FR
Tremblay-en-France Labanlieue souslefeu descaméras La polémique enfle dans la ville après un reportage de TF1 sur le trafic de drogue, un raid policier et l’incendie d’un bus. ise pro-«Dituquam»aele.Cvaest ainsi pagande média-que les habitants de Trem-blay-en-France (Seine-Saint-Denis) ressentent le reportage diffusé lundi par TF1 sur le trafic de drogue dans leur ville. L’émission avait été précédée par un raid policier qui a déclenché des caillassages et l’incendie d’un bus mercredi. PAGES 2-4 InformtaftionepnayliegrnGeo:ogle» «ilfauaire Par LAURENT JOFFRIN «Une étrange répartitiondiaux, fournisseurs d’accès «Faut-il brûler Google ? à Internet (FAI), ou agréga- des rôles s’est instaurée : Non. Mais il faut le faire teurs de contenus, comme ceux qui transportent lesRELIGIONS, payer. En d’autres termes, Google, qui forment un contenus ou qui les agrè-il faut réformer les règles mastodonte numérique, un gent ont capté l’essentielDES HISTOIRES qui régissent le système monstre convivial qui broie du chiffre d’affaires, ceux de distribution de l’in- les autres sans même s’en qui les produisent sup-DE CONVERSION formation. Celle-ci passe de apercevoir. Face à ce pou- portent l’essentiel desPAGES 28-29 plus en plus par un petit voir mondial, il faut s’orga- coûts.» nombre d’acteurs mon- niser. […]PAGE 25 IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCEAllemagne2,10 €, Autriche2,80 €, Belgique1,40 €, Canada4,25 $, Danemark22 Kr,DOM2,20 €, Espagne2 €, Etats-Unis4,25 $, Finlande2,40 €, Grande-Bretagne1,60 £,Grèce2,40 €, Irlande2,25 €, Israël18 ILS, Italie2,20 €, Luxembourg1,40 €, Maroc15 Dh, Norvège25 Kr, Pays-Bas2,10 €, Portugal (cont.)2,10 €, Slovénie2,50 €, Suède22 Kr, Suisse3 FS, TOM400 CFP, Tunisie1700 DT, Zone CFA1 700 CFA.
2EVENEMENT
LIBÉRATIONNDVEDIRE2AVRIL2010
La cité du Grand Ensemble, à Tremblay, hier.
Après le reportage choc de TF1,tPaerARWAMIHENCNAHLLLYIWEVEDINSENTIELSEL les habitants de Tremblay regrettentPhotoJULIEN DANIEL.MYOP «Vol’aupprsoche racoleusendestmeédiazs.trqcsie«aeounfnamédl»bsis,lufaeiCl«rc,eallsmateéi»dfsp.asTrlipArlselteteoamatsamdnauirtétbebredgmlleliaadoéat»aynusént,scivfiàcélitqaréegéiliu»«naaseudets,etinlufer«peeri»eGrrrvio,tgaareha«plosniusnsçaûseqaéedmgtucn-iadnâluetEinocrnuadddir--eeunese-rbadLLLaQaapieEEplènrlaudeNCsoeidellJllereOséuEreepNàmUereidoTprrTqoilpEeecéunoXm.esertnTbnaseElseundédrécéay,peppolevrlsuF1eTedgalatitnoedtlesmédias?eénd me r que leur a laissé dans la bouche le re-parcequeçate-Seiny,eniossdqtReporoaréruocuasopoenudsllmiunsiurendiocieipslostiasrnodiffdesan,leusionatiuqstuojiletxmuomdene0036ab0hmeneeéadsnecttceérationantidrogurtagedifpoidnul,1FTrapésuficaftrleur,sirsoelruadsngoeuedrdatin.Lemtierquaroct«aeeunprsnatapjtrérosetcciluelenhrraaqnintaaauoflpgieinnsaétdlssedee.sevtuSuoorpinurlslttsoeeevcerfenoéanuptdslçoieeourmrntm,maeàbonogtpllnnseuestrsdsdaeeeuiiretsrl»uacrl,heestoiUsaqunbunus--iee,-faitvendre»tduianslan,deslliasérpernE.sineDint-Saerûldeundntbrensubxava,ssaluedésontcaildesjeuneàiejdu,imerercdetilenvesetx,eusdceorsfledroledsiértnoertcMcjieuoœtsann-invreFnaegc.lrguénaccueilunpeurudselléutieeisnousrestTnrodeubéleeamv-eecauynqeeuruénpassaladaésururcoaujoneusdL-nibpléerian-e, une -REPÈRESLundi matin, un million d’euros en soir, un bus de voyageurs Mercredi«Le bus dans une cité petites coupures ont été saisis au a été incendié et un autre caillassésensible, ça représente un dproémsiucmiléetdbuoi-eiseS(ecdnéearn-tFiecnaGyu-dlaémdberéeràlTsnamblee,uoùsarrdagnodtEnnesdepioqruéa-tarafdueuinluelsymbole, on sait qu’un bus ne-Saint-Denis). Le même jour, TF1 tion policière de lundi. Hier, les sala-qui brûle, ça fait la une des diffuse dans le cadre de son nouveau riés de la compagnie des Courriersjournaux.» magazineHaute Définitionun repor- de l’Ile-de-France (CIF) ont exercé tage sur le trafic de stupéfiants dans leur droit de retrait à Tremblay-en-M. Ben Abdelmalekchauffeur de la le même quartier. France. compagnie dont un bus a été incendié.
LIBÉRATIONERIDEVDN2AVRIL2010
Quelques heures avant la diffusion de «Haute Définition», présenté par Emmanuel Chain, la police a démantelé le réseau de drogue suivi dans le magazine. Entrebalanceetpyromane, TF1plaidenoncoupable Pnio-eedeSleilevunezenriseléuojriovadesécuacF1àTilvoEtel.tsiotutpnsie)nabci.etEcidnbnesnalatnaçsdleleeaàlrsolapolenehcuroede,gruouajzute«énpprroéecnicdpoitnCéh»icoleprcoues.Dintîan,erèioirntavlemesimpocpuelclonu-fidetcleapàlqsaeiéu,eg»nsaoplpianssgédueiiqtcueha:envloalduvasoipaxlolleozifcfve.ionMraecisste Saint-Denis. Assaisonnez d de TF1, versez une descente de voilà, sitôt les bus caillassés, et in- sif d’une«enquête de plusieurson ne voit en fait pas grand-chose. police, enflammez deux bus que cendié pour l’un d’eux, la pre-mois»qui aurait pu«tourner courtLes jeunes filmés prétendent avoir vous aurez préalablement caillas- mière chaîne accusée d’avoir al-à cause de ce reportage».des armes, mais elles resteront ca-sés et, touche finale, décorez d’un lumé le feu. Même si les lieux des deals sont chées, tout comme la drogue. «petites crapules qui ne vont pasEmmanuel Chain déclare àLibéra- C’estfacilement reconnaissables, Chain le commentaire qui fait le faire la loi dans les quartiers»signétionn’avoir«renseigné personne».dit avoir pris ses précautions : clinquant. du ministre de l’Intérieur, Brice Sauf, bien sûr, Jean-Jacques Her-«Evidemment, nous avons pris soinPourtant, selon Chain, il s’agit Hortefeux. Voilà la recette qui faitde protéger toutes lesd’une enquête de longue haleine, boum à Tremblay-en-France.«TF1, c’est un média et on veutpersonnes qui apparais-menée pendant trois mois et demi ouverte».Manière de evRonobtina,flànallineatuu.sraidsdepoliceeesocdnsécaderaméseslmfiLequnuontcied,eblafaasdeestpr,casegmeseeulrtlisedaydetu1FTesEdetenstcepdonatunersdléeverpieotpleoricrtteaodguae.nt»se«diàrecaqmueérlaes protagonistes filmés n’ont pas été trompés sur la mar-de télé et les troubles qui s’ensui-la drogue en banlieue.» avec une caméra cachée.sa boîte de prod, il a chandise neur de l’éEt, jure Chain,«sans aucune vLeunntd.iLsàoi,r,cTeFs1tduifnfupseeuHdaiuftfeérDeénfit-.Emmanuel Chaiproduct missiontaoga-ortéderiuissutiafùlsopressrleheuscontrepartie». nition, nistes apparaissent non floutés. Le producteur et présentateur deun tout nouveau magazine directeur adjoint de la police lem, produit et présenté par Emmanuel judiciaire de Paris, invité à réagirAnxiogène.Quant à l’accusationHaute Définitionrefuse d’endosser Chain. Acmé: le reportage, au titre au reportage dans une interview d’avoir joué les pyromanes, Chain, la responsabilité de ce nouvel em-ronflant, «Mon voisin est un dea- enregistrée cinq jours avant la dif- bien sûr, s’en défend :«TF1, c’estballement médiatico-policier dont ler» part à la rencontre de trafi- fusion de l’émission.«Je crois que un média et on veut tuer le messa-la banlieue fait encore une fois les quants de drogues de Tremblay ger,cette situation ne peut plus durer», c’est pas de la faute de TF1 s’ilfrais et se pose en anti-Droit de sa-exerçant leur petit commerce sans dit-il en plateau à Chain après les «Certes, ce n’est pas un sujet voir.y a de la drogue en banlieue, c’est que, visiblement, la police bouge images tournées à Tremblay. Et nouveau, mais nous avons voulupas de la faute de TF1 s’il y a de l’ex- très une oreille. Sauf que, quelques Chain de l’apostropher :«Parce clusion. quelque chose de différent, en faire J’ai le sentiment que nous heures avant la diffusion, la police ne fait les choses en responsabi- avonsqu’on l’a montrée à la télévision, suivant pas la police comme cela judiciaire de Seine-Saint-Denis ac’est ça ?»Herlem a-t-il dépêchélité.»C’est vite dit quand on voitse fait bien souvent.»Las, cette démantelé le réseau, saisissant la police sur place, histoire de ne le résultat : un reportage anxio- fois, c’est la police qui a suivi. près d’un million d’euros, de la pas être tourné en ridicule le soir gène qui avance dans la cité avecRAPHAËL GARRIGOS drogue (héroïne, cocaïne et can- de la diffusion?«Je n’en sais rien»,ses gros sabots racoleurs :«UneetISABELLE ROBERTS
taine d’habitants.Un jeune d’une blage des séquences est en revanche«LE TRAFIC DE DROGUE A EXPLOSÉ» vingtaine d’années s’énerve :«De touteunanimement contesté :«On se croirait façon, vous, les médias, vous n’êtes là que dans le Bronx avec les trucages de voix,Trois questions à François Asensi, maire PCF de Tremblay. pour mettre de l’huile sur le feu. La seule les flous, la musique. Mais vous croyezwBrice Hortefeux s’en prend aux«petites crapules» chose que vous pourriez faire pour calmer quoi ? C’est pas ça, ici. OK… le deal estvoulant«faire la loi dans les quartiers». Qu’en dites-vous? les choses, ce serait de ne pas venir. Tout une réalité, mais dans les années 80,Ce sont des propos outranciers, qui font croire que l’Etat est ça, c’est votre faute. Je suis c’était bien pire. On voyait lesbien présent et qu’il va s’attaquer aux trafics. Mais je me sûr que vous planquez uneREPGEORTAmecs cokés dans la rue. J’aiméfie des déclarations tonitruantes, non suivies d’effet. caméra,.lisrupo-tiu plein de copains qui sontA causeGardons-nous, par ailleurs, de faire l’amalgame entre les de ce film[où il apparaît en arrière-plan,morts shootés à l’héroïne. Maintenant,caïds et les jeunes en difficulté et en mal d’avenir. ndlr], toutmon père croit maintenant que je ça s’est calmé. C’est surtout le shitwQu’en est-il du trafic de drogue à Tremblay ? suis un rabatteur.»Djamel, 44 ans, mé-qui tourne»,tonne Malek, 37 ans.Il a explosé, et il est de mieux en mieux structuré, à la diateur social et professeur de boxe Aux dires de certains, le trafic sembleréseau mafieux. Les jeunes en rupture socialemanière d’un dans le quartier, essaie de le raisonner pourtant s’être amplifié depuis troisà qui on propose 50 ou 100 euros pour faire le guet ne se et tempère :«Tous les médias ne fonc-ans. Et chacun y va de son explication :posent pas la question de savoir si c’est bien ou mal, cela leur tionnent pas de la même façon.» «Maisl’arrivée d’habitants de cités voisines oufait un revenu. L’Etat doit certes démanteler ces réseaux, bien sûr que si, leur fonctionnement, c’estl’évolution de l’organisation du trafic enmais aussi promouvoir une société plus juste et égalitaire. le montage. Vous coupez, vous montez, etbandes organisées. Les problèmes ontwVous réclamez l’aide de l’Etat, mais Tremblay a un au final vous mentez parce que ça faitlieu quasi exclusivement dans les im-potentiel fiscal élevé, grâce à l’aéroport de Roissy… vendre, elle est là, la vérité»,où il y a des dealers, soit entres’emporte meubles les recettes fiscales ne corrigent pas les inégalitésMais le jeune. 3 et 6 bâtiments sur 50, selon les témoi-On redistribue certes sous la forme d’équipementssociales! gnages. Pour Rachid, la quarantaine,de qualité et d’aide aux associations, mais que faire face à la «BRONX».La majorité des Tremblay- l’entrée dans le hall apparaît alorspaupérisation croissante d’une partie de la population? Je siens n’accusent pas TF1 d’avoir diffusé comme un rituel désagréable :«C’estl’ai dit aux pouvoirs publics: si la cité du Grand Ensemble des choses fausses. Pour Saïd dur pour un père de famille d’être o, «il y aplonge, c’est toute la ville qui plonge. 80% de réalité dans ce sujet».L’assem-baisser les yeux et de fermer sade Recueilli par THOMAS HOFNUNG
Le hit-parade des voitures brûléesTINTIN DANS LA CITÉLA BANLIEUE RARE À LA TÉLÉ Grand classique des rapports entre télé et banlieue, le décompte des En novembre, TF1 inaugurait le maga- Depuis l’arrêt en 2002 deSaga-Cités(France 3) après voitures brûlées. Un bon moyen de zineEn immersion, onze ans à l’antenne (elle avait succédé àen plongeantMosaïques), il lancer un concours entre cités. Pen- Harry Roselmack à Villiers-le-Bel (où n’y a plus de magazine spécifiquement consacré au dant les émeutes de 2005, pourtant, il ne pourra rester que trois jours). thème de la banlieue et de la ville. France 5 a tout de les chaînes ont arrêté de délivrer les Résultat : un flot de sensibleries, un même lancé à la rentréeTeum Teum,qui voit des person-chiffres, cessant aussi de filmer les Roselmack présent dans chaque plan nalités partir à la découverte des quartiers et de leurs véhicules en feu. et une banlieue infantilisée. habitants.
3
ÉDITORIAL ParFABRICE ROUSSELOT Questions Un reportage sur le trafic de drogue en banlieue sur TF1, un raid policier, un bus caillassé et incendié dans une ville sous tension. La séquence des faits qui se sont déroulés à Tremblay-en-France depuis trois jours amène à se poser quelques questions. Quelle est la responsabilité de la presse dans cette affaire ? Le maire de Tremblay, François Asensi, parle d’un «guet-apens organisé en réaction à l’intervention de la police et au reportage de TF1». Les habitants, pour certains, considèrent que l’émission a mis – littéralement – le feu aux poudres. D’autres s’interrogent sur la coïncidence entre l’action policière et l’émission – qui était enregistrée et dont la police avait connaissance. Soyons clairs. Pour l’instant, aucun élément ne prouve une quelconque collaboration entre les journalistes et les forces de l’ordre. Aucun élément non plus ne permet de remettre en cause le sérieux de l’enquête de TF1. On peut néanmoins se demander pourquoi une chaîne de télévision décide de lancer une nouvelle émission en prime time avec un documentaire sur la drogue en banlieue… La réponse est simple : les médias –ébariLitnoinclus – prennent trop souvent le prisme de la violence et des trafics pour parler des cités plutôt que de relayer un quotidien qui n’est pas forcément stigmatisant. Il n’est pas question de s’autocensurer, mais à renvoyer constamment cette image destructrice, comment s’étonner que le ras-le-bol contre les journalistes se manifeste à la première occasion. A lui seul, le raid policier aurait peut-être suffi à provoquer une réponse des bandes de Tremblay. Mais, avec le reportage, tous les amalgames sont permis.
4EVENEMENT bouche. Mais après, si on ne les emmerde pas, il n’y a pas de souci. On peut tout à fait vivre normalement à Trem-blay. C’est même une cité calme par rap-port à d’autres communes, il y a plein de choses qui se passent ici.» Un homme, petites lunettes branchées sur le nez, s’invite dans le cercle :«Ça, vous n’en parlez jamais»,dit-il en dési-gnant le théâtre Louis-Aragon sur la grande place.«Il y a plein de réussites dans cette ville: un club de hand en D1, de nombreuses associations, une diversité culturelle. C’est ça aussi, la banlieue !» «Surtout, ce n’est pas vous qui allez payer les conséquences du film. Au travail, tout le monde m’appelle “un million d’euros” maintenant,lance un passant. Non mais plus sérieusement, quand on se présentera à un entretien d’embauche en disant qu’on vient de Tremblay, on va tout de suite être catalogué, maintenant.» «FACILITÉ».Malgré d’importantes res-sources fiscales, l’emploi est une in-quiétude majeure de nombreux Trem-blaysiens. En plus d’un chômage élevé, beaucoup d’habitants de la cité tra-vaillent comme intérimaires à l’aéro-port de Roissy-Charles-de-Gaulle. Ils ont été parmi les premiers à subir les effets de la crise. Depuis les attentats du World Trade Center en septembre 2001 et la psychose autour de l’islam, cela est devenu bien plus difficile. Rachid, petite cinquantaine, travaillait comme bagagiste à l’aéroport. Avec l’arrivée de badges et le renforcement des mesures sécuritaires, il a été remer-cié et ne parvient pas à retrouver un emploi.«Tout ça à cause d’une ligne sur mon casier judiciaire pour une affaire qui a plus de vingt ans. Moi, je ne suis pas un voleur, mais sans travail, je comprends que certains cèdent à des solutions de fa-cilité.»Rachid en veut particulièrement à Nicolas Sarkozy et à la police dont il estime qu’elle ne fait pas son travail. «Comme je n’ai pas de quoi me payer un verre au bistrot, le soir, on achète un pack qu’on va boire entre copains le long du ca-nal. Et tous les jours, c’est la même chose: contrôle d’identité ! Les flics me connais-sent et savent que je ne suis pas un délin-quant mais au lieu d’arrêter des dealers qu’ils connaissent, ils nous emmerdent nous.» Djamel est amer. Il regrette la banlieue des années 70-80,«celle où il y avait du lien social entre les gens». «A l’époque, il y avait des Espagnols, des Portugais, des Maghrebins, des Africains, chacun cherchait à s’enrichir de la culture de l’autre. Il y avait des relations de voisi-nage, des échanges. Aujourd’hui, chacun est retranché derrière sa porte et devient anti-tout.»Pourtant il ne perd pas es-poir :«On peut vivre et être heureux ici. Il faut le dire. On reste en France et on est content d’avoir les soins et l’école gratuite. Mais on aimerait arrêter d’être les éternels oubliés de la classe politique»,s’essouf-fle-t-il. Dans son viseur, Fadela Amara, la se-crétaire d’Etat à la Politique de la ville, vilipendée pour son immobilisme. C’est Mehmet, 45 ans, qui s’emporte à son tour :«Elle a fait quoi ? Dites-le moi ! Il est où, l’argent pour les ban-lieues ? Les pouvoirs publics savent de-puis des décennies qu’il y a de la drogue ici. Mais c’est bizarre que tout ça ressorte après la claque que la droite a reçue aux régionales. Comme s’il fallait qu’ils se montrent.»
LIBÉRATIONREDIDNEV2AVRIL2010
A Villiers-le-Bel (Val-d’Oise) en 2007 après la mort de deux adolescents percutés par une voiture de police.PHOTO LIONEL CHARRIER. MYOP Deux journalistes et un sociologue évoquent l’incompréhension presse-banlieue: «Lesentimentdeproximité aveclesjournalistesadisparu» p de filet de la police, dans un «Jadis, la presse était très lue dans les quar- y va de la cohésion de notre pays. Actuelle-UnsermneislbtdtesTeeneor,btmndoislrèllqtueanretiueouncesiren.Cporslapun-se,ictoaS-enieScianseD-tni-uFdeontty-uellaeenet,snlcprsaua-obemisil aujourd’hui. Le sentiment de proximité a tion.» tre des dealers interrogés par TF1, le tout à disparu, car les rédactions ne traitent plus quelques heures de la diffusion d’un repor- des problèmes quotidiens que vivent cesLAURENT MUCCHIELLI tage sur eux. Ce télescopage troublant sur- quartiers.»gue,Sociolo vient dans un contexte de relations passa-directeur de recherche au CNRS blement tendues entre médias et banlieues.NORDINE NABILI«De manière globale, il me semble Quel impact une telle affaire peut-elleDirecteur de l’antenne à Bondyaujourd’hui constater un peu moins de to-avoir ? Deux journalistes et un sociologuede l’école ESJ-Lillenalité alarmiste dans le traitement de la répondent aux questions deLibération. par les médias qu’à la fin des an- banlieuerompre avec le prisme par lequel on«Il faut aborde toujours la banlieue dans les mé- nées 90. J’ai l’impression que les médias ERWAN RUTYdias : le fait divers, la drogue, les bandes… sont plus sensibles aux problèmes de ghet-Responsable de l’agence de presseSes habitants souffrent de ce déséquilibre toïsation. Mais, parallèlement, les banlieues Ressources urbaines sontpermanent, ils ont l’impression qu’on ne toujours connotées islam, foulard, «On observe un rejet global des médias parle pas de ce qu’ils vivent au quotidien, burqa. dans les quartiers. Le fossé semble irrémé- ils se sentent stigmatisés. C’est comme si «Ça donne une image ambiguë : on com-diablement creusé entre les deux parties. les médias étrangers n’abordaient la France prend l’arrière-plan car le côté discrimina-Les gens n’ont plus envie de dialoguer, qu’à travers les violences des indépendan- tion est mieux relayé. Plusieurs phénomè-même avec les journalistes qui sont pré- tistes en Corse. Nombre d’habitants de nes expliquent cela : depuis la campagne sents au jour le jour sur place. Ils sont deve- banlieue ont l’impression que leur parole électorale de 2002, les journalistes tombent nus des parias. Il faut que la presse réflé- ne compte pas. Le niveau de l’abstention moins vite dans le panneau de l’insécurité. chisse d’urgence à son traitement des lors des dernières élections régionales le Et puis il y a également eu une prise de quartiers. Pourquoi serait-elle la seule à ne montre bien. conscience après les émeutes de novem-pas inventer de nouvelles approches en la «Quand on évoque la banlieue, c’est tou- bre 2005. D’un autre côté, depuis les atten-matière ? La justice, l’éducation, les PME jours en temps de crise. On ne peut pas uti- tats du 11 septembre 2001, la question de le font bien depuis des années. liser la main courante des commissariats de l’islam est régulièrement mise en avant, et «On peut certes lire des reportages intéres- police comme voie d’accès privilégiée aux ne cesse de monter. sants sur des sujets spécifiques, mais pas banlieues. C’est certes un centre d’obser- «C’est à l’image de la société, ce n’est pas d’articles de fond qui rendent justice aux vation, mais seulement de ce qui craque, de spécialement dans les médias. Le problème aspects positifs et négatifs de la vie dans ce qui ne va pas dans les quartiers. Les mé- des banlieues, c’est qu’elles cumulent les une cité. Il faudrait pouvoir parler aussi des dias n’accordent pas la même attention, ni difficultés, dont celle de se faire entendre. petites misères et des petits bonheurs ano- le même budget, aux problèmes que con- On a beau mettre plus de diversité chez les dins que vivent les gens au quotidien. On naissent les banlieues. Ce n’est pas central présentateurs dans les médias, ça ne devrait pouvoir faire des “marronniers” dans les rédactions. Or je pense qu’il faut change rien, car, politiquement, personne [sujets récurrents dans la presse, ndlr].C’est au contraire, si on veut changer les choses ne représente les quartiers. C’est un pro-ainsi qu’on parviendra à créer un senti- en profondeur dans les quartiers, mobiliser blème majeur: si on ne s’exprime pas, per-ment d’empathie et d’identification chez ce que nous avons de mieux : les policiers sonne n’ira vous chercher, et les autres le lecteur. Ce qui est urgent dans un pays les plus expérimentés, nos meilleurs ensei- continueront à parler à votre place.» en voie de ghettoïsation. gnants, les journalistes les plus aguerris. IlRecueilli parR.G., T.H.etI.R.
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