Hiérarchie et pouvoir en microéconomie : histoire dun dialogue houleux entre le courant radical et lemainstream(février 2002) à paraître dansEconomies et SociétéssérieconomiaBruno Tinel*, Centre Walras (Centre Walras, ISH, 14 avenue Berthelot 69 007 Lyon, France) bruno.tinel@ish-lyon.cnrs.fr
adresse personnelle : 39 av. Wilson, 93 100 Montreuil, 01 49 88 15 27. Résumé : Les notions de hiérarchie et de pouvoir font aujourdhui partie des préoccupations de la micro-économie. La présente contribution se propose danalyser, du point de vue de lhistoire de la pensée contemporaine, la manière dont une telle intégration sest effectuée. La constitution de ce nouveau champ résulte dune série de défis et contre défis et dincorporation de thèmes, problèmes et esquisses de solutions ayant eu lieu, à partir du début des années 1970, entre le courant radical et léconomie dominante. Mots clés : autogestion ; économie politique radicale ; firme (théorie de la) ; hiérarchie ; pouvoir ; contrats incomplets. Code JEL : B21, B24, D23, J41, L23, P13. Title : « Hierarchy and power in microeconomic theory : an historical view on the debates between radical political economics and mainstream » Summary : The notions of hierarchy and power belong now to the microeconomic theory agenda. This paper analyses the historical process by which such an integration happened since the beginning of the 1970s. Those new topics emerged by a set of challenges and counter-challenges between radical political economics and mainstream economics. Keywords : labor managed firm ; radical political economics ; firm (theory of the) ; hierarchy ; power ; incomplete contracts.
*Pierre Dockès, Jérôme Maucourant et deux rapporteurs anonymes. Les erreurs nengagent que nous-Nous remercions mêmes, y compris concernant les traductions. 1
Introduction La hiérarchie et le pouvoir font aujourdhui partie intégrante des préoccupations de la micro-économie. Le terme de hiérarchie, en anglaishierarchy, désigne les rapports de subordination et dautorité entre lemployeur et lemployé1. Le terme de pouvoir, en anglaispower, a tout dabord renvoyé à la notion sociologique de domination et sest peu à peu vidé de sa connotation holiste. Lusage de tels vocables en économie est récent. Leur définition précise résulte en partie des débats dont la présente contribution rend compte. Lobjectif est ici moins de réfléchir sur les notions de hiérarchie et de pouvoir elles-mêmes que sur le processus par lequel ces termes se sont diffusés en micro-économie. Auparavant, seuls des courants hétérodoxes, tels que linstitutionnalisme ou léconomie politique radicale, sintéressaient à ces thématiques. Pourtant, avec lessor des nouvelles théories de lentreprise durant les trente dernières années, celles-ci se sont progressivement imposées au cur de lapproche dominante : théorie des coûts de transaction, théorie des contrats et des incitations, théorie des contrats incomplets etc. Comment un tel processus dintégration sest il déroulé ? Par quels mécanismes, les termes de hiérarchie et de pouvoir, qui étaient il y a peu de temps encore lapanage des hétérodoxies institutionalistes et néo-marxiennes, se sont-ils imposés dans la micro-économie ? Répondre à ces questions suppose de considérer les théories les plus contemporaines comme un objet détude inscrit dans lhistoire. Il sagit par conséquent de procéder à une histoire de la pensée contemporaine où la théorie économique, telle quelle se présente à nous aujourdhui, résulte moins dune marche rationnelle et linéaire vers un savoir toujours plus rigoureux que dun processus cumulatif dépendant des contingences de lhistoire. Comment écrire une histoire des idées économiques du temps présent ? La prise en compte de lhistoricité des théories daujourdhui nous contraint à admettre la complexité de leurs processus dévolution. Il convient tout dabord de ne pas négliger les facteursendogènes au savoir scientifique un : programme de recherche comporte des éléments qui lui confèrent une dynamique propre. Par ailleurs, sans céder totalement à la sociologie des sciences, les logiques de domination à luvre dans le monde académique, en particulier les luttes entre les courants et, à lintérieur des courants, entre les individus, doivent aussi trouver leur place dun point de vue historique. Lune des tâches de lhistorien des idées consiste à montrer comment sarticulent facteurs endogènes et facteurs sociologiques dans la singularité dun moment historique. Enfin, les idées économiques et le monde académique nétant pas séparés du reste de la société, lhistoire de la pensée économique est liée à celle de lhistoire sociale. Cest à lhistorien des idées que revient la charge de débrouiller lécheveau de ces trois facteurs (facteurs endogènes, sociologie des sciences et histoire sociale) qui sinfluencent les uns les autres à chaque instant. En particulier, la pondération de chacun dentre eux variant au cours du temps, il sagit de déterminer quand et comment lune des variables prend le pas sur les autres dans lévolution historique de la pensée économique.
1économistes néo-institutionalistes différencient nettement autorité et hiérarchie, toutefois, la plupart des Certains auteurs ne procède pas à une claire dissociation conceptuelle de ces deux termes. 2