SECTE ET LAÏCITE MIVILUDES 16 juin 2004 Jacques Michel professeur à lIEP Lyon II La thèse que nous voulons ici soutenir à nouveau est que lapparition de mouvements dits sectaires, et les prétentions qui sont les leurs, contiennent tout simplement la négation dun ordre juridique, et que cette négation nest pas simplement une contestation des dispositions positives existantes, mais plus radicalement une mise en cause de toute une histoire moderne occidentale et de leffort qui fut le sien pour tendre vers un Etat qui serait le lieu de formation des valeurs civiles et civiques par la discussion démocratique. En ce sens, le phénomène dit sectaire nest pas à détacher de lambiance générale libérale dans laquelle il grandit et se développe. Son exigence souvent tacite mais toujours implicite est de refuser à la communauté civique et à lEtat la qualité de milieu éthique et de voir confié à la société que lon dit civile le soin de révéler, après essais et erreurs, tâtonnements et expériences, les vertus qui doivent être retenues. Cet appel à une société civile génératrice de bienfaits collectifs est bien évidemment celle des individus libres et autonomes, responsables de leurs choix et de leurs trajectoires spirituelles, économiques et sociales, lEtat se cantonnant dassurer a minima lordre et la sécurité, et nayant rien à dire ou à proposer en matière de spiritualité. La prétention sectaire se nourrit de cette idéologie et de son climat, qui consiste à confondre, comme le disait Lalande, lidéal daccroissement de la liberté individuelle et lidée que la diminution du rôle de lEtat est le moyen de lapprocher, comme si « la liberté de lindividu nest pas moins restreinte par des associations de tout genre que par lEtat, si celui-ci nintervient pas pour en limiter la puissance » (Lalande, 1962, p.558). Cette position du philosophe pourrait aisément être rapprochée des analyses dun sociologue comme Durkheim. Quoi quil en soit, cest donc à une conception du droit bien caractéristique dun libéralisme radical, mais aussi bien banale et bien triviale, que saccroche largumentation sectaire, lorsquelle amplifie le registre des choix personnels de vie au point de disqualifier le regard des autorités administratives ou judiciaires de lEtat, comme si ces choix personnels ne sinscrivaient pas socialement, et ne devaient avoir dautre évaluateur que la personne privée elle-même, ou quelque autorité particulière choisie par elle. Pour le sujet majeur, sa volonté suffit, et na point dautorité supérieure politique ou juridique qui puisse, ou doive, la contraindre ou la restreindre ; quant au mineur, la volonté de ceux qui le représentent est également souveraine. Ce quordinairement et très empiriquement nous tentons de désigner par le terme de secte, ce sont des groupes ou des regroupements fort divers, tant en ce qui touche à ce quil nous faut bien appeler leurs doctrines ou leurs croyances, quen ce qui concerne leur taille, leur degré de perfection administrative ou financière, leur aptitude à user de techniques tantôt fort rustiques tantôt perfectionnées et très « savantes ». Cet usage, quil faut bien avouer péjoratif, du terme de secte, signale notre condamnation de ces groupes, qui se distinguent trop, voire se séparent de notre compréhension habituelle des rapports sociaux. Leurs doctrines nous surprennent, leurs comportements nous étonnent, et surtout les propositions que ces groupes font à leurs adhérents nous semblent extrêmes et dangereuses, dommageables et peu compatibles avec les valeurs qui sont les nôtres.
Jacques MICHEL Professeur IEP Lyon II Séminaire Sectes et Laïcité juin 2004