The type - MO SA ÏQ UE
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The type - MO SA ÏQ UE

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Langue Français

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55
GÉRER ET COMPRENDRE
JUIN 2004
N°76
À propos du livre de Philippe Z
ARIFIAN
:
À quoi sert le travail ?
Éditions La Dispute, Paris, 2003
Les étagères des librairies ont accueilli,
ces dernières années, nombre de thèses
réputées, proclamant l’entrée dans une
ère nouvelle, celle de la «
fin du travail
»
ou de l’avènement d’une «
société de ser-
vice
». Parallèlement, le débat public
s’est focalisé sur l’emploi et le chômage,
au point de faire disparaître la question
du travail proprement dit, avec ses
conditions matérielles et sensibles, son
organisation et ses transformations.
À contre-courant, le dernier livre de
Philippe Zarifian pourrait s’avérer salu-
taire, s’interrogeant sur les contenus et les
enjeux du travail pour répondre à cette
question ingénue et terrible à la fois : à
quoi sert-il ? Pour ce faire, l’ouvrage
déploie une analyse qui, tout en faisant
référence à des enquêtes menées par l’au-
teur, invite le lecteur à s’intéresser à des
concepts philosophiques, que l’analyse
sociologique a plus rarement mobilisés. Il
en résulte une étonnante promenade qui,
de chapitres en chapitres, fait se croiser
conseillers financiers, techniciens des
télécommunications, guichetiers de la
poste, ouvrières fabriquant des bracelets
de montre, télé-opérateurs de centres
d’appel et, simultanément, Tarde,
Spinoza, Foucault, Deleuze ou Marx. Le
pari est ambitieux, car il s’agit de toucher
aussi bien à ce qu’il y a de plus intime
dans le travail - nos sentiments, notre
propre expérience - qu’aux lignes de force
qui en dessinent aujourd’hui les enjeux
socio-politiques majeurs. Ce pari n’est
peut-être pas totalement gagné - nous en
signalerons quelques limites - mais le
mouvement, la perspective qu’il indique
nous paraît essentiel.
Concrètement, l’ouvrage s’organise en
onze chapitres traitant de problèmes aux
statuts divers, tels que l’apprentissage, la
productivité, l’expérience professionnel-
le, la domination masculine, la référen-
ce au marché ou la place du conflit capi-
tal-travail. Au-delà de cette variété, c’est
à une même conception du travail que
se réfère l’auteur, l’appréhendant
comme une profonde et irréductible
puissance de pensée et d’action. Certes,
la faculté et la possibilité même d’inven-
ter demeurent variables. Mais elles n’en
demeurent pas moins premières. En
référence à Gabriel Tarde, l’auteur la
considère au fondement de l’acte même
de travailler. Cette appréhension permet
de se déprendre des traitements plus
convenus qui, en explorant les modes de
prescription et d’organisation ou en
interrogeant les stratégies des acteurs,
contribuent à réduire le travail à une
fonction ou un rapport de force, au
risque d’un effacement de cette part
créatrice inhérente à toute activité.
Ce retour à une réflexion sur le travail
débouche sur deux résultats importants.
Le premier concerne la subjectivité des
travailleurs. Les organisations de la pro-
duction ont changé. Elles mettent en
oeuvre de nouvelles formes de contrôle
impliquant désormais l’engagement
personnel des salariés dans la réalisation
du service apporté aux clients. Cette
évolution témoigne de la crise des dis-
positifs disciplinaires tels que les a
décrits Foucault et, avec elle, de la fin de
l’«
unité théâtrale
» de l’usine qui repo-
sait sur la fiction d’une unité de temps,
de lieu et d’action. Car cette propriété
du travail industriel vole littéralement
en éclat, pour laisser place à des modali-
tés différentes de contrôle et des formes
inédites de socialisation. C’est l’idée
d’un contrôle «
par modulation
», que
Zarifian emprunte à Deleuze, qui s’exer-
ce sur l’engagement des salariés, mobili-
se leur énergie, leur initiative au prix
d’une plus grande intrication entre acti-
vités professionnelles et personnelles.
C’est encore l’idée que l’expérience sub-
jective devient conjointement plus indi-
viduelle et plus collective, débouchant
sur une montée de la solitude et l’essor
des questions de responsabilité. C’est,
enfin, l’idée de tensions accrues affec-
tant la mesure du travail, tiraillée entre
une conception inchangée, procédant
d’une vision abstraite et universelle du
temps - horaires, délais, débits - et une
conception plus immanente, peuplée
d’arbitrages et de jugements, se référant
non plus à un temps de travail déréalisé
mais au temps du travail, celui qu’on
ajuste, en situation, pour s’acquitter de
sa mission selon sa conscience et le sens
qu’on lui donne. Plus libre, plus auto-
nome, plus éthique, le travailleur est
aussi plus contrôlé, plus
dépendant, plus isolé. Le
portrait qui en ressort est
à la fois plus joli et plus
effrayant, donnant une
part plus belle à la puis-
sance inventive du travail,
mais sans nécessairement
la reconnaître, ni même
en permettre, le réel
déploiement.
L’exploration de ce para-
doxe et de ses implica-
tions, y compris poli-
tiques,
caractérise
le
second élément le plus
intéressant. Distant vis-à-
vis de la rhétorique libéra-
le dont se réclament pour
une part les transforma-
tions managériales, l’au-
teur insiste au contraire
sur la «
disparition du mar-
ché
»
qui accompagne
étrangement sa consécration dans le dis-
cours, les mécanismes de captation des
clients et de détermination des prix
empruntant moins à des régularités mar-
chandes qu’à des ressources réglemen-
taires et politiques servant à clôturer des
territoires de clientèles et asseoir des posi-
tions de monopole. Le sens du travail
n’en demeure pas moins modifié. Au
rapport capital/travail qui résumait les
enjeux et les rapports de force du travail,
s’ajoute désormais le «
rapport social de
service
», qui s’immisce dans la compré-
hension du travail en imposant le client
comme figure obligée, invitant à une
interrogation éthique sur la valeur du ser-
vice réalisé.
Philippe Zarifian s’efforce ainsi d’articu-
ler une compréhension des enjeux du
travail, combinant une considération
des modes d’expérience sensible et une
prise en compte des stratégies du mana-
gement. La lecture d’
A quoi sert le travail
présente l’incomparable avantage de ne
précipiter le lecteur ni dans le catastro-
phisme déprimant, ni dans l’optimisme
béat face aux transformations en cours.
La définition du travail comme puissan-
ce inventive et proprement vitale invite
à considérer tant sa part de création et
de potentialité que sa part de rupture et
de souffrances possibles.
L’ouvrage présente un autre intérêt :
celui de poser les questions de manière à
MOSAÏQUE
POUR COMPRENDRE
LES ENJEUX DU TRAVAIL
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