Vladimir Poutine et la tragédie de Beslan
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Vladimir Poutine et la tragédie de Beslan

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Langue Français

Extrait

VLADIMIR POUTINE
ET LA TRAGÉDIE
DE BESLAN
1
La tragédie de l’école de Beslan
confirme que le terrorisme a pris racine
dans le Nord-Caucase. L’Ossétie du
Nord fait partie, avec la Tchétchénie et
l’Ingouchie, de la mosaïque de petites
républiques au sud-ouest de la Fédé-
ration de Russie qui sont déstabilisées
par l’occupation militaire de la Tchét-
chénie. Les bombardements, les des-
tructions, les exactions quotidiennes
de l’armée russe et des milices ont fait
des dizaines de milliers de morts en
Tchétchénie et installé la misère. La
spirale de la violence s’accélère. L’in-
sécurité en Russie est beaucoup plus
grande aujourd’hui qu’au moment où
Vladimir Poutine commence son
ascension vers le Kremlin, à l’été 1999,
alors que se prépare la seconde cam-
pagne militaire en Tchétchénie.
Pour avoir vécu ces journées dra-
matiques en Russie même, je reste
sous le choc de la barbarie de la prise
d’otages et des autres actes terroristes
qui l’ont précédée : les deux avions
explosés en vol le 24 août, l’attentat
devant une station de métro moscovite
le 31 août. Et pour avoir vécu le drame
de Beslan en contact direct avec de
hauts responsables russes, des dépu-
tés, des experts et des journalistes, je
suis consternée devant les contradic-
tions du discours officiel et la censure
imposée aux médias russes.
Incapacité
des forces de l’ordre
En nous recevant le 6 septembre –
une trentaine de spécialistes occiden-
taux de la Russie –, le président russe
a précisé d’entrée de jeu que les évé-
nements ne prêtaient pas à la discus-
sion mais qu’il répondrait du mieux
possible à nos questions. Et il a
répondu, courtoisement et très longue-
ment, à chacune de nos questions.
Mais il était, bien sûr, impossible de
rebondir sur ses affirmations.
Concernant le déroulement de la
tragédie, le président russe a choisi de
prendre la défense des forces spéciales
qui « ont courageusement été à l’at-
taque, au mépris de leur vie » ; il n’a
fait aucune réserve sur la conduite de
l’opération, en décalage avec son dis-
cours télévisé du 4 septembre, plus cri-
tique. Pourtant, l’impréparation était
flagrante, la confusion inouïe alors que
les autorités avaient disposé de plus de
quarante-huit heures pour préparer le
sauvetage. La présence des familles,
certaines en armes, autour de l’école,
a contribué à la panique et au carnage
qui a suivi. Aucun périmètre de sécu-
rité solide n’avait empêché la popula-
tion de rester massée sur le lieu du
drame. Des civils en armes ont parti-
cipé à l’assaut.
Lors de notre rencontre le 6 sep-
tembre, la position de Vladimir Pou-
tine était de réfuter tout lien entre ce
dernier drame et le conflit en Tchét-
chénie. D’ailleurs, le président a repris
l’un d’entre nous qui l’interrogeait sur
l’inquiétante prolongation de la guerre :
« La guerre ne continue pas, il n’y a
plus d’offensives. » Il a ajouté que la
politique de transfert de responsabilité
aux Tchétchènes avançait de manière
satisfaisante. Interrogé sur son refus de
négocier avec les chefs tchétchènes, il
a répondu qu’il avait bien réussi à s’en-
1. Une première version de cet article est
parue dans
Libération
le 13 septembre 2004.
Novembre 2004
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Journal
2
tendre avec le « président » Akhmad
Kadyrov, alors que celui-ci avait com-
battu l’armée russe en 1994-1996. Vla-
dimir Poutine s’est bien gardé de pour-
suivre la belle histoire et de rappeler
que cet homme brutal, propulsé par
Moscou à la suite d’une mascarade
électorale six mois plus tôt, a été assas-
siné lors d’un attentat très meurtrier le
9 mai dernier et que, depuis lors, les
violences se sont multipliées.
La plus grande faiblesse de l’argu-
mentaire présidentiel porte sur la cause
des attentats et l’identité des terro-
ristes. Plutôt que de dire « nous ne
savons pas encore », le président et son
ministre de la Défense nous ont affirmé
qu’aucun des preneurs d’otages n’était
tchétchène et qu’il y avait des
« Arabes » parmi eux. Deux jours plus
tard, les propos du président étaient
corrigés par le F
SB
, puis par le procu-
reur général, qui établissait l’identité
de quelques-uns des preneurs d’otages,
tchétchènes, dont certains auraient
participé à de précédentes attaques.
Enfin, le F
SB
a mis à prix la tête de
Chamil Bassaiev, chef extrémiste tchét-
chène, et Aslan Maskhadov, élu prési-
dent de la Tchétchénie en 1997. Puis
Bassaiev a revendiqué la prise d’otages
et d’autres actes terroristes précédents.
L’explication par le
terrorisme international
En niant la relation de cause à effet
entre la terrible guerre commencée en
1994 et les attentats, certains menés
par des femmes kamikazes tchét-
chènes, le président russe cherche à
imposer sa lecture des événements.
Selon lui, la Russie est devenue la
cible du terrorisme international,
comme d’autres pays.
La Russie n’a pas créé le terrorisme tout
comme l’U
RSS
n’avait pas été la pre-
mière à produire des armes nucléaires.
Qui était derrière les rebelles en Afgha-
nistan dans les années 1980 ? L’U
RSS
n’était pas un ange mais le génie de la
terreur est sorti de cette bouteille. […]
Le terrorisme international a choisi la
Russie, pour l’affaiblir.
Ainsi, selon Poutine, il n’y aurait pas
de différence de nature entre le 11 sep-
tembre 2001 aux États-Unis et le
3 septembre 2004 à Beslan. Mais il ne
dit pas que le commando qui a occupé
l’école d’Ossétie avait exigé, au cours
d’une négociation avortée, la fin de
l’occupation militaire de la Tchétché-
nie. Il ne mentionne pas non plus la
médiation de l’ancien président de la
république d’Ingouchie, Rouslan Aou-
chev, qui a réussi à libérer 26 otages la
veille de l’assaut (le Kremlin avait
forcé Aouchev à la démission en 2001).
Le Kremlin se refuse à reconnaître
les déficiences de ses propres poli-
tiques. Je pense à l’impréparation des
forces de l’ordre alors que la prise
d’otages au théâtre de la Doubrovka à
Moscou en octobre 2002 aurait dû mar-
quer le départ d’une réorganisation des
forces de l’ordre. Je pense aussi à l’en-
têtement avec lequel les dirigeants
russes présentent la Tchétchénie
comme une affaire « en voie de nor-
malisation ».
Vladimir Poutine dirige le pays, est
le chef des armées et a assumé la
reprise des hostilités en Tchétchénie
en 1999. Comment peut-il chercher
encore à nous convaincre que la Rus-
sie est simplement la nouvelle victime
du terrorisme international enclenché
par Al-Qaida ? Cette obstination à ne
pas reconnaître que l’état de guerre et
de désolation en Tchétchénie est à
l’origine du terrorisme empêche le pré-
sident russe de s’attaquer aux racines
de la violence. Même si cette violence
est aujourd’hui utilisée et exploitée par
des réseaux islamistes étrangers.
Depuis le 11 septembre 2001, Poutine
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se sert du discours américain de guerre
totale contre le terrorisme pour nier les
causes du terrorisme en Russie.
La Russie n’est plus la forteresse
soviétique aux frontières imperméables
et refermée sur sa propre propagande.
Les médias étrangers sont présents, les
journalistes indépendants de la presse
écrite russe font un travail remarquable
dans un climat de censure sévère. Au-
delà du contrôle de l’information et du
durcissement du régime, le plus pré-
occupant est l’absence de propositions
pour sortir de l’engrenage de la vio-
lence. Les mesures annoncées par Vla-
dimir Poutine le 13 septembre 2004, et
qui visent à affaiblir encore le fédéra-
lisme et le suffrage universel, n’ont
aucun rapport avec la lutte antiterro-
riste. En effet, il propose d’annuler
l’élection au suffrage universel direct
des gouverneurs de provinces et prési-
dents de républiques (la Fédération de
Russie est composée de 89 provinces)
et de réviser le mode d’élection des
députés à la Douma. Tous les députés
seront désormais élus au scrutin de
liste et seuls les partis qui franchiront
la barre des 7 % de votes exprimés
entreront à la Douma (donc les partis
du Kremlin, ou tolérés par lui). Poutine
saisit ainsi l’occasion de renforcer le
contrôle et « l’unité de l’État », au
mépris des principes démocratiques.
Selon les sondages, les Russes doutent
de plus en plus que la répression en
Tchétchénie leur apporte la sécurité.
Le régime se replie sur lui-même et sur
ses certitudes.
Marie Mendras
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